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Décompte du temps de parole d'Éric Zemmour : à propos de la décision du CSA
Le collège du CSA, réuni le 8 septembre en assemblée plénière, a décidé de demander aux médias audiovisuels de décompter les interventions d’Éric Zemmour, ce dernier devant dorénavant être considéré comme un « acteur du débat politique national ». Mais comment définir cette notion et quel est le fondement d’une telle décision ?
Le 8 septembre 2021, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a demandé aux services de radio et de télévision, par la voie d'un simple « communiqué de presse », de « décompter les interventions de M. Éric Zemmour portant sur le débat politique national ». Le 13 septembre, la chaîne CNews se séparait d'Éric Zemmour, chroniqueur phare de l'émission « Face à l'info » animée par Christine Kelly.
S'il est vrai que la décision du CSA n'imposait pas formellement le départ du journaliste, la chaîne n'avait en réalité guère le choix. Ce n'est pas le cas du CSA qui, faisant le choix d'exiger le décompte du temps de parole d'Éric Zemmour, porte atteinte au principe de représentation pluraliste des courants de pensée et d'opinion.
I - Les effets de la décision du CSA
Le CSA contrôle le respect du pluralisme des opinions politiques sur les chaînes de radio et de télévision chaque trimestre en fonction de la durée totale des interventions politiques relevées à l'antenne, quel que soit le programme. Le cadre juridique est posé par la décision du CSA no 2017-62 du 22 novembre 2017. Elle prévoit qu'un tiers du temps total doit être réservé à la retransmission des interventions du président de la République, des ministres et de leurs collaborateurs(1). Pour le reste (c'est-à-dire les deux tiers du total), le II de l'article 1er de la décision précitée prévoit que « les éditeurs veillent à assurer aux partis et groupements politiques qui expriment les grandes orientations de la vie politique nationale un temps d'intervention équitable au regard des éléments de leur représentativité ».
Dès lors qu'Éric Zemmour est décompté, son temps d'intervention doit être affecté à cette enveloppe fourre-tout des deux tiers. Il se produit alors l'effet mécanique voulu par la décision de 2017. Plus le temps d'intervention augmente dans cette catégorie, plus celui de l'exécutif doit être rehaussé pour s'assurer qu'il conserve bien, au final, sa proportion d'un tiers du total.
Par ailleurs, au sein même de cette enveloppe, le principe d'équité doit gouverner les équilibres entre les formations politiques compte tenu de leur représentativité. Mais Éric Zemmour n'en a aucune. Il n'a jamais été élu, il n'est pas à la tête d'un parti et aucun parlementaire ne se réclame de son action. Pour chaque chaîne qui lui donne la parole, cela impose donc de rehausser aussi le temps d'intervention de toutes les formations politiques qui animent le débat national.
Autrement dit, la moindre retransmission des interventions du chroniqueur suppose ensuite de courir après les représentants de l'exécutif et de tous les partis politiques.
C'est sans doute possible de le faire si Éric Zemmour est l'invité ponctuel d'une émission au cours du trimestre. C'est impossible de « compenser » en quelque sorte son temps de parole si, comme sur CNews, il intervient du lundi au jeudi tous les soirs à l'antenne.
Le travail de CNews était rendu encore plus difficile par la formulation retenue dans le communiqué de presse du CSA. En effet, seules devaient être décomptées celles des interventions du journaliste « portant sur le débat politique national ». Certains propos pourraient donc ne pas être décomptés, mais lesquels ? Ainsi, lorsqu'il renvoie à l'œuvre millénaire des rois de France, à l'épopée bouleversante des croisades ou au génie napoléonien, Éric Zemmour se place-t-il sur le terrain historique ou sur le terrain politique ? Et si le CSA et la chaîne ne sont pas d'accord sur la qualification de telle ou telle intervention, qui l'emporte ?
Dans ces conditions, on peut comprendre que CNews ait fait le choix de la facilité.
II - La fragilité juridique de la décision du CSA
La forme d'abord. Il faut regretter que la décision litigieuse ne soit pas une vraie décision juridique avec des visas, une motivation digne de ce nom et peut être même une signature. Le CSA a glissé ses mauvaises règles dans un communiqué de presse fuyant. Et comme souvent, on sait avec Victor Hugo que « la forme c'est le fond qui remonte à la surface ».
Le CSA ne peut en effet ignorer la très grande fragilité juridique de sa décision.
Étant donné qu'Éric Zemmour n'est pas à lui seul un parti politique(2), le cadre réglementaire posé par la décision du 22 novembre 2017 précitée n'est pas suffisant pour donner une base juridique à la décision critiquée du 8 septembre.
D'ailleurs ce n'est pas la justification avancée par le CSA. Le régulateur préfère inventer, pour Éric Zemmour, au regard de « ses prises de position et ses actions », l'étrange catégorie d'« acteur du débat politique national ».
C'est une véritable boîte de Pandore que le CSA vient d'ouvrir.
Désormais tout intellectuel ou chroniqueur qui présentera sur les antennes un discours historique et politique construit, même s'il choque(3), est susceptible d'être décompté(4). Ce qui revient, en pratique – au vu des règles subtiles d'équilibre des temps de parole qui s'appliquent – à être exclu des plateaux de radio et de télévision. La liberté d'opinion des auditeurs et des téléspectateurs se trouve réduite d'autant.
Pourtant rien de tout cela ne serait arrivé si le CSA était resté ferme sur les principes.
Ce n'est pas la première fois qu'une personnalité organise une pré-campagne pour créer une forme d'attente dans l'opinion et susciter l'intérêt des médias(5). On pense à Nicolas Sarkozy ou à Emmanuel Macron qui se sont déclarés très tardivement en 2007 et en 2017.
Dans ces deux cas, le CSA avait dès le mois de novembre 2006 et le mois de septembre 2016 adopté des textes pour encadrer leurs interventions(6). Ils étaient décomptés en qualité de « candidats présumés » afin de garantir l'équité des temps de parole avec les autres candidats.
Plutôt que d'adopter en catastrophe une décision entachée d'un doute sérieux quant à sa légalité, le CSA aurait pu mettre en place le cadre juridique connu et prévu pour réglementer les temps de parole en période électorale.
On ne peut s'empêcher de penser que s'il ne l'a pas fait c'est que la catégorie du « candidat présumé » est d'un maniement difficile lorsqu'elle doit s'appliquer au président de la République en exercice.