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Compétence de la commission arbitrale des journalistes pour statuer sur le montant des indemnités de licenciement des journalistes d'agence
Les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail sont applicables aux journalistes professionnels au service d'une entreprise de presse quelle qu'elle soit. Dès lors la cour d'appel, saisie d'un recours en annulation formé contre la décision de la commission arbitrale des journalistes ayant fixé l'indemnité de licenciement d'un journaliste professionnel, écarte à bon droit le moyen tiré de l'incompétence de cette commission fondé sur le fait que l'employeur était une agence de presse.
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 déc. 2018), M. X… a été engagé, le 29 juillet 1981, en qualité de journaliste rédacteur stagiaire par l'Agence France Presse (l'AFP) puis titularisé le 1er février 1982.
2. Licencié pour faute grave le 14 avril 2011, il a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir paiement de diverses indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. L'AFP s'est désistée de l'appel qu'elle avait formé contre le jugement de condamnation au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, rendu le 24 septembre 2014.
3. Le 28 août 2012, le journaliste a saisi la commission arbitrale des journalistes. Celle-ci a retenu sa compétence pour statuer sur sa demande d'indemnité de licenciement et condamné l'AFP au paiement d'une certaine somme.
4. L'AFP a formé un recours en annulation contre cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Énoncé du moyen
[…]
Réponse de la Cour
7. Il n'y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas. Les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail sont applicables aux journalistes professionnels au service d'une entreprise de presse quelle qu'elle soit.
8. Ayant rappelé que l'article L. 7111-3 du code du travail qui fixe le champ d'application des dispositions du code du travail particulières aux journalistes professionnels définit ceux-ci comme toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes ou périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources et relevé que les articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du même code ne prévoyaient pas expressément que leur champ d'application serait limité aux entreprises de journaux et périodiques, la cour d'appel, qui a retenu, à bon droit, que si une restriction apparaissait dans l'article L. 7112-2 du code du travail relatif au préavis, elle ne saurait être étendue aux articles L. 7112-3 et L. 7112-4, en a exactement déduit que la demande d'annulation de la sentence, qui avait accueilli la demande de fixation de l'indemnité de licenciement du salarié en application de ce dernier texte, devait être rejetée.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Par ces motifs, la Cour :
Rejette le pourvoi ;
Prés. : M. Cathala, Rapp. : Mme Monge, Av. gén. : M. Desplan, Av. : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Lyon-Caen et Thiriez
Commentaire
Prétendant, au moins sur le point de la détermination, en cas de rupture du contrat de travail(1), des indemnités de licenciement dues par l'employeur, tenir compte de la spécificité de l'activité de journaliste professionnel, l'article L. 7112-4 du code du travail confie à une commission arbitrale(2) particulière le soin d'en fixer le montant, soit lorsque l'ancienneté de l'intéressé dans l'entreprise « excède quinze années », soit, quelle que soit alors son ancienneté, lorsque la rupture dudit contrat intervient pour « faute grave » ou « fautes répétées » imputées à la personne concernée.
Compte tenu de la date de son élaboration d'origine par la loi du 29 mars 1935, l'article L. 7112-2 du même code, premier article de la section consacrée à la « rupture du contrat », n'évoque explicitement, à la différence d'autres articles, s'agissant de « la durée du préavis », que « les entreprises de journaux et périodiques »(3). En conséquence, convient-il de réserver, aux seuls journalistes y travaillant, l'application des dispositions relatives à cette indemnité de licenciement, ou, au contraire, de l'étendre aussi aux journalistes d'agences(4) et à l'ensemble des journalistes professionnels, quel que soit le type de média dans lequel ou pour lequel ils travaillent ? En effet, s'agissant de la définition du « journaliste professionnel », l'article L. 7111-3 mentionne également, comme lieu d'exercice de cette activité, les « agences de presse », et l'article L. 7111-5 pose que « les journalistes exerçant leur profession dans une ou plusieurs entreprises de communication au public par voie électronique » (radio, télévision, et la sous-catégorie des services de communication au public en ligne que sont les services de presse en ligne) « ont la qualité de journaliste professionnel ». À ce titre, ne doivent-ils pas pouvoir se prévaloir de l'ensemble des éléments de ce statut spécifique ?
Après divers atermoiements et errements antérieurs (I) de la jurisprudence, la présente décision (II) clarifiera-t-elle et stabilisera-t-elle définitivement le droit à l'égard de la compétence de ladite commission arbitrale et, plus largement, sur divers autres aspects du statut des journalistes professionnels ?
I - Errements antérieurs
La nature particulière de l'entreprise, dès lors qu'elle est de celles au sein desquelles des journalistes professionnels sont susceptibles d'exercer leur activité, quel que soit le mode d'expression ou support de diffusion de l'information utilisé, doit-elle servir à entraîner, ou non, la compétence de la commission arbitrale ? Jusqu'à la présente décision, la jurisprudence a comporté des hésitations, sinon quelques errements et revirements à cet égard.
Se référant à la numérotation antérieure des dispositions du code du travail, alors en vigueur, la Cour de cassation a posé, en 1996, que seuls les journalistes professionnels liés « à une entreprise de journaux et périodiques peuvent prétendre à l'indemnité de congédiement instituée par l'article L. 761-5 du code du travail ». Dans le cas d'espèce, elle a considéré que « la cour d'appel, qui a constaté qu'une société n'était pas une entreprise de presse » (dont l'activité principale est d'éditer une publication périodique), « a décidé exactement que la commission arbitrale n'était pas compétente pour statuer sur la demande d'un salarié en paiement d'indemnité de congédiement, peu important que le salarié ait été titulaire d'une carte de journaliste professionnel ». Elle a ajouté que « la compétence de la commission arbitrale des journalistes a un caractère exceptionnel qui ne saurait être étendu à des cas autres que ceux prévus par la loi »(5) .
En sens contraire, encore sur la base de la précédente numérotation des articles du code du travail, la Cour de cassation a retenu que, ayant fait ressortir que l'employeur était une agence de presse, la cour d'appel(6) « a décidé à bon droit que les salariés, en leur qualité de journalistes professionnels, pouvaient prétendre à l'indemnité de licenciement prévue par l'article L. 761-5 du code du travail »(7).
Dans un arrêt plus récent, d'avril 2016, pour casser l'arrêt(8), la Haute juridiction, se livrant, à l'inverse, à une interprétation restrictive des dispositions légales, a posé « qu'il résulte de l'article L. 7112-2 du code du travail que seules les personnes mentionnées à l'article L. 7111-3 et liées par un contrat de travail à une entreprise de journaux et périodiques peuvent prétendre à l'indemnité de congédiement instituée par l'article L. 7112-3 ». Elle en a conclu que « la cour d'appel, qui a relevé que le salarié travaillait pour le compte d'une agence de presse, a violé ces textes » en condamnant l'employeur à verser à l'intéressé une indemnité de licenciement calculée sur la base des dispositions spécifiques du code du travail(9).
Par un arrêt du 14 février 2018, de rejet d'un pourvoi contre un arrêt de la Cour d’appel de Paris, du 31 août 2016, la Haute juridiction a, par contre, reconnu la compétence exclusive de la commission arbitrale pour fixer le montant de l'indemnité de licenciement d'un journaliste de télévision.
Saisie d'une demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la Cour de cassation, pour conclure qu'il n'y avait pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel, a elle-même relevé qu'il n'existait pas, « en l'état, d'interprétation jurisprudentielle constante des dispositions législatives » sur la base desquelles est refusé « au journaliste salarié d'une agence de presse le bénéfice de l'indemnité de licenciement prévue aux articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail ».
Dans un arrêt de la même année, il a été posé qu'il « résulte de l'article L. 7112-2 du code du travail que seules les personnes mentionnées à l'article L. 7111-3 », définissant les journalistes professionnels, « et liées par un contrat de travail à une entreprise de journaux et périodiques peuvent prétendre à l'indemnité de congédiement instituée par l'article L. 7112-3 » et qu'il « ne peut donc être fait droit à la demande » d'un journaliste « qui a travaillé pour une agence de presse et non une entreprise de journaux et périodiques ».
Mais, moins d'un mois plus tard, il a été considéré, en sens contraire, dans l'arrêt qui a été l'objet du pourvoi sur lequel la Haute juridiction statue dans la présente décision, que les articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail, « issus de la scission de l'ancien article L. 761-5 du code du travail après sa recodification, ne prévoient pas expressément que leur champ d'application serait limité aux entreprises de journaux et périodiques ; que si une telle restriction apparaît dans l'article L. 7112-5 relatif à la rupture à l'initiative du journaliste » faisant jouer ladite clause de conscience, « et à supposer qu'elle doi[ve] s'interpréter comme excluant les agences de presse, elle ne saurait, en toute hypothèse, être étendue aux articles L. 7112-3 et L. 7112-4 alors que l'article L. 7111-3, qui fixe le champ d'application des dispositions particulières aux journalistes professionnels, définit ceux-ci comme « toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes ou périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.
Dans un arrêt de mai de 2019, il a été posé, à nouveau différemment, que, si la qualité de journaliste professionnel « englobe les journalistes travaillant pour des agences de presse », cela « ne saurait pour autant avoir pour effet de les faire bénéficier des dispositions des articles L. 7112-2 à L. 7112-4 du code du travail réservées aux seuls journalistes salariés d'entreprises de journaux et périodiques et dont ceux qui le sont par des agences de presse sont donc exclus ».
Il conviendrait de mettre un terme à ces hésitations et contradictions jurisprudentielles. La présente décision y parviendra-t-elle durablement ?
II - Présente décision
Dans le présent arrêt, la Cour de cassation, saisie d'un pourvoi contre l'arrêt de la Cour d’appel de Paris, du 4 décembre 2018, ci-dessus mentionné, considérant qu'« il n'y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas », pose que « les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail sont applicables aux journalistes professionnels au service d'une entreprise de presse quelle qu'elle soit ».
La Haute juridiction considère que, ayant rappelé que l'article L. 7111-3 du code du travail, qui définit le « journaliste professionnel » en mentionnant, comme lieu d'exercice de son activité, les « publications quotidiennes et périodiques » et les « agences de presse », fixe le champ d'application des dispositions particulières à cette profession, et relevé que « les articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du même code ne prévoyaient pas expressément que leur champ d'application serait limité aux entreprises de journaux et périodiques », la cour d'appel, « qui a retenu, à bon droit, que, si une restriction apparaissait dans l'article L. 7112-2 » (relatif à la durée du préavis), « elle ne saurait être étendue aux articles L. 7112-3 et L. 7112-4 » qui fixent le mode de détermination de l'indemnité de licenciement.
Il en résulte que, contrairement à certaines des décisions précédemment mentionnées, les journalistes professionnels travaillant pour des agences de presse ou pour des entreprises de communication au public par voie électronique, comme ceux qui exercent leur activité au sein d'entreprises de presse, éditrices de publications périodiques et de services de presse en ligne, peuvent prétendre aux indemnités de licenciement dont le montant doit être fixé sur la base des dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail.
***
La présente décision parviendra-t-elle à stabiliser et uniformiser la jurisprudence sur ce point particulier de l'admission de l'ensemble des journalistes professionnels, quels que soient leur mode d'expression et le type de média auquel ils apportent leurs contributions, au bénéfice de l'indemnité de licenciement, déterminée selon les modalités du code du travail relatives à leur statut spécifique, pour autant que, au-delà de constituer un avantage acquis, celles-ci soient considérées comme nécessaires et justifiées ? Une clarification et harmonisation de ces éléments et de quelques autres (journalistes admis ou non, selon le type d'entreprise dans laquelle ils exercent leur activité, à faire jouer la dite « clause de conscience » ; distinction entre journalistes salariés, permanents ou mensualisés, d'une part, et pigistes ou occasionnels, d'autre part), atteints dans leur cohérence par l'insertion de dispositions destinées à en assurer l'adaptation à l'évolution des techniques, ou dont l'état actuel est la conséquence de malfaçons dans un travail de codification de portée plus générale, appelleraient une intervention du législateur. Le mieux étant parfois l'ennemi du bien, il ne faudrait cependant pas que celle-ci, mal préparée, ne fasse qu'accroître les défauts du texte !