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Statut professionnel
/ Cours et tribunaux
30/01/2025
Démission d'un journaliste, pour fait de cession de la publication, au titre de la clause de conscience
Par un arrêt de rejet du pourvoi en cassation d'une société éditrice de presse, la Haute juridiction confirme les raisons et les conditions dans lesquelles un journaliste professionnel salarié peut, pour donner sa démission et prétendre aux indemnités de licenciement, se prévaloir de ladite « clause de cession ». Par ailleurs, l'arrêt déclare les dispositions du code du travail en cause conformes aux exigences du droit de l'Union européenne, sans estimer nécessaire de saisir, d'une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne.
Faire valoir ses droits à la retraite ou se prévaloir de la cession de la publication : indemnités différentes. Au titre de la dite « clause de conscience » et, plus spécifiquement, de la « clause de cession », l'article L. 7112-5 du code du travail(1) prévoit la possibilité, pour les journalistes professionnels salariés, tenant compte des spécificités supposées de leur activité(2), de rompre(3), par leur démission, le contrat de travail qui les lie à une entreprise ...
Cour de cassation, (ch. soc.), 4 décembre 2024, Sté Le Courrier cauchois
Emmanuel Derieux
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2)
Frédéric Gras
Avocat au Barreau de Paris
30 janvier 2025 - Légipresse N°432
3806 mots
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(1) « Si la rupture du contrat de travail survient à l'initiative du journaliste professionnel, les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 sont applicables, lorsque cette rupture est motivée », not. par la « cession du journal ou périodique » ou de tout autre média.
(2) Cons. const. 14 mai 2012, no 2012-243/244/245/246 QPC, Légipresse 2012. 350, qui évoque le fait que « le législateur a mis en place un régime spécifique pour les journalistes qui, compte tenu de la nature particulière de leur travail, sont placés dans une situation différente des autres salariés », et que les dispositions en cause « visent à prendre en compte les conditions particulières dans lesquelles s'exerce leur profession ».
(3) E. Derieux, Rupture du contrat de travail du journaliste professionnel, in Droit des médias. Droit français, européen et international, 9e éd., LGDJ, 2023, p. 403-419 ; E. Derieux et F. Gras, Statut des journalistes, panorama annuel, Légipresse 2024. 446.
(4) Le journaliste salarié a alors « droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d'année de collaboration, des derniers appointements. Le maximum des mensualités est fixé à quinze ».
(5) « Lorsque l'ancienneté excède quinze années, une commission arbitrale est saisie pour déterminer l'indemnité due […] La décision de la commission arbitrale est obligatoire et ne peut être frappée d'appel ».
(6) G. Bourdon, secrétaire général du SNJ, la justifiait ainsi dans sa réponse au questionnaire de la commission des travailleurs intellectuels du BIT : « Que lui soient à jamais épargnés ces cruels conflits que trop de journalistes ont connus, même pour les avoir surmontés, entre sa conscience et son intérêt, c'est cela que nous appelons son indépendance », Le Journaliste, n° 75, mai 1931, p. 6.
(7) Aux termes de l'art. 51 de la Convention collective nationale de travail des journalistes, le journaliste faisant valoir ses droits à la retraite perçoit alors « une indemnité de départ en retraite fixée, en fonction de son ancienneté comme journaliste dans l'entreprise, à : - 1 mois de salaire après deux ans de présence ; / - 2 mois de salaire après cinq ans de présence ; / - 3 mois de salaire après dix ans de présence ; / - 4 mois de salaire après vingt ans de présence ; / - 5 mois de salaire après trente ans (et plus) de présence ».
(8) Incontestable, en l'espèce, s'agissant, selon les termes de l'arrêt, de la « prise de contrôle du journal » par une autre société, à la différence des cas où ladite « cession » ne concerne qu'une part minoritaire du capital.
(9) Soc. 8 juill. 2020, n° 18-21.460, Sté Groupe France Agricole, Légipresse 2020. 473 et les obs. ; ibid. 613, étude F. Gras ; ibid. 2021. 552, chron. E. Derieux et F. Gras.
(10) M. Lachaze, Commentaire de la loi du 29 mars 1935 relative au statut professionnel des journalistes, D. 1936. IV. 57. Sur le transfert des contrats de travail et le possible refus du salarié transféré, v. E. Schaeffer, L'envers de l'article 23, 7°, livre I, du code du travail, JCP 1963, n° 1753, qui évoque les effets de la décolonisation sur les contrats de travail du personnel sanitaire et évoque la clause de cession par laquelle « le refus d'être cédé est de droit puisqu'un droit moral ou intuitu personæ spécifique du journaliste n'est pas à démontrer » (§ 24 bis).
(11) Cons. const. 14 mai 2012, no 2012-243/244/245/246 QPC, préc.
(12) Soc. 21 juin 1984, n° 83-63.328.
(13) JO, ch. des députés, Doc., ann. n° 1653, sess. ord., 1re séance du 28 mars 1933, p. 748 et s.
(14) Les trois contrats, Le Journaliste, n° 89, mars 1933, p. 15.
(15) L.-M. Barc, Le délai congé des journalistes, Arts Graphiques Diderot, 1935, p. 43 ; M. Brachard, Rapport fait au nom de la commission du travail sur la proposition de loi relative au statut professionnel des journalistes, JO, ch. des députés, Doc. n° 4516, sess. 1935, p. 21
(16) G. Bourdon, préc., p. 5 ; pour une conclusion actuelle similaire, v. E. Hadjadj, La clause de cession des journalistes en droit du travail, village-justice.com, 6 mai 2020.
(17) F. Valentin, Le statut des journalistes. Étude critique de la loi du 29 mars 1935, Berger-Levrault, 1936, p. 97 et 99.
(18) J. Meynaud, Le statut professionnel des journalistes, Les Presses Modernes, 1937, p. 104-108.
(19) Dans des dispositions relatives au « droit d'établissement », l'art. 49 pose not. que « les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites ». L'art. 50 détermine les modalités selon lesquelles les instances européennes interviennent « pour réaliser la liberté d'établissement ».
(20) Sur le fondement de l'art. 267 TFUE selon lequel la « Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel : / a) sur l'interprétation des traités ; / b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union. / Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question ». Avant de conclure – sans s'engager ! – que la chambre sociale de la Cour de cassation « devra[it] dire si elle doit surseoir à statuer et poser à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle », Mme Thomas-Davost, conseillère référendaire, avait pris soin de mentionner, dans son rapport, que « la justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d'opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d'un litige », et que, « comme il ressort des termes mêmes de l'[art. 267 TFUE], la décision préjudicielle sollicitée doit être “nécessaire” pour permettre à la juridiction de renvoi de “rendre son jugement” dans l'affaire dont elle se trouve saisie » ; et que, « dans le cadre de la procédure instituée à l'[art. 267 TFUE], la Cour n'est compétente pour se prononcer ni sur l'interprétation de dispositions législatives ou réglementaires nationales ni sur la conformité de telles dispositions avec le droit de l'Union. En effet, il ressort d'une jurisprudence constante que, dans le cadre d'un renvoi préjudiciel au titre de l'[art. 267 TFUE], la Cour peut uniquement interpréter le droit de l'Union dans les limites des compétences attribuées à l'Union ».
(21) Sous réserve cependant de la réalité du fait de « cession » de la publication ou de l'entreprise éditrice !
(22) Art. 11 : « 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression ? […] / 2. La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés ».
(23) Adoptée, en mai 2009, par des organisations professionnelles de journalistes européens, donc sans autre valeur, elle pose (sans qu'il semble en exister une version en langue française, à la différence d'autres langues), en son art. 1er, que la « liberté de la presse est essentielle à une société démocratique », que « la soutenir, la protéger et respecter sa diversité et sa fonction politique, sociale et culturelle est une mission de tous les gouvernements » ; et, en son art. 6, que « la vie économique des médias ne doit pas être menacée par l'État ou des institutions publiques. La menace de sanctions économiques est également inacceptable. Les entreprises éditrices privées doivent respecter la liberté journalistique. Elles ne doivent jamais exercer de pression sur les journalistes ni tenter de mêler des contenus à caractère commercial avec des contributions de journalistes ». Dans son rapport, Mme Thomas-Davost, conseillère référendaire, prend soin de relever, pour en limiter la force ou la portée, s'agissant de ce qu'elle qualifie de « document », qu'« il ne s'agit pas d'un traité ou d'un accord international, et n'a aucun effet en droit interne » ! S'agissant d'un texte d'adoption récente, la référence qui aurait pu être faite au dit « règlement européen sur la liberté des médias » (règl. [UE] 2024/1083 du 11 avr. 2024, établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur), ayant cette valeur juridique, aurait été plus pertinente. Ledit règlement énonce not., en son considérant 1er, que : « Les services de médias indépendants jouent un rôle unique dans le marché intérieur […] tout en permettant aussi bien aux citoyens qu'aux entreprises d'avoir accès à une pluralité de points de vue et à des sources d'information fiables, remplissant ainsi la fonction d'intérêt général d'“observateur critique” et constituant un élément indispensable dans le processus de formation de l'opinion publique » ; en son considérant 2, que : « Compte tenu du rôle unique que jouent les services de médias, la protection de la liberté et du pluralisme des médias en tant que deux des principaux piliers de la démocratie et de l'État de droit constitue une caractéristique essentielle du bon fonctionnement du marché intérieur des services de médias » ; en son considérant 8, que :« Les destinataires de services de médias dans l'Union […] devraient pouvoir disposer dans le marché intérieur de contenus médiatiques pluralistes produits dans le respect de la liberté éditoriale. Cela est essentiel pour encourager le débat public et la participation citoyenne, étant donné qu'un large éventail de sources d'information fiables et un journalisme de qualité permettent aux citoyens de faire des choix éclairés », et que : « Cette approche fait écho au droit de recevoir et de communiquer des informations et à l'obligation de respecter la liberté et le pluralisme des médias, en vertu de l'article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne » ; en son considérant 14, que : « Dans un marché intérieur qui fonctionne bien, les destinataires des services de médias devraient pouvoir accéder à des services de médias de qualité, qui ont été produits par des journalistes de manière indépendante et conformément aux normes éthiques et journalistiques, et qui fournissent par conséquent des informations fiables » ; en son considérant 18, au titre de « la protection de l'indépendance et de la liberté éditoriales », que : « Les actionnaires et les autres parties privées possédant une participation dans une société fournissant des services de médias pourraient agir d'une manière qui rompt l'équilibre nécessaire entre leurs propres libertés d'entreprise et d'expression, d'une part, et la liberté d'expression éditoriale et les droits à l'information des utilisateurs, d'autre part » ; et en son considérant 68, il se préoccupe « de préserver les normes éthiques et professionnelles ainsi que l'indépendance des décisions éditoriales prises au sein des entreprises de médias ». En conséquence, il pose, en son art. 3, relatif au « droit des destinataires de services de médias », que : « Les États membres respectent le droit des destinataires de services de médias d'avoir accès à une pluralité de contenus médiatiques indépendants sur le plan éditorial […] dans l'intérêt d'un discours libre et démocratique » ; et, en son art. 21, que : « Les mesures législatives, réglementaires ou administratives prises dans un État membre qui sont susceptibles d'avoir une incidence sur le pluralisme des médias ou l'indépendance éditoriale des fournisseurs de services de médias opérant dans le marché intérieur sont dûment justifiées et proportionnées ».
(24) Comp. C. trav., art. R. 1234-2 et L. 7112-3, les décisions de la CAJ, prévue par l'art. L. 7112-4, se calant peu ou prou sur le principe du mois par année que le législateur de 1935 a voulu affirmer.
(25) Cons. const. 14 mai 2012, no 2012-243/244/245/246 QPC, préc.
(26) Circ. Unedic n° 2023-08 du 26 juill. 2023, p. 122.