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Open data
/ Tribune


27/08/2020


L'open data des décisions de justice et le droit au juge



 

Le décret de mise en application de ce qu'on appelle désormais « l'open data des décisions de justice » est enfin paru, au Journal officiel, le 30 juin dernier. Il vient mettre en œuvre les principes posés par la loi Lemaire du 7 octobre 2016, revue par la loi de programmation de la justice du 23 mars 2019, sur la publicité des décisions de justice, tant celles judiciaires qu'administratives. Elles devront toutes être accessibles en ligne ; dans les deux mois du jour où ils sont rendus, pour les jugements et arrêts administratifs, et dans les six mois de leur mise à disposition au greffe pour les décisions judiciaires. Il appartient à présent au Conseil d'État et la Cour de cassation, sous la responsabilité respective desquels cette publicité sera organisée, de donner le go, lorsque le portail (dénommé Portalis) sera au point, et surtout que le système d'occultation des noms sera automatisé.

Cela va être un grand bouleversement. Le juriste aura désormais accès, non plus seulement à la jurisprudence publiée par les éditeurs, dont la Cour de cassation elle-même, mais aux milliers de décisions rendues tous les jours par les tribunaux et cours de toute la France, à l'exception de celles prises à huis clos.

C'est sans doute un grand progrès pour la connaissance du droit, et même pour son accès. Mais l'exploitation des données par des algorithmes de plus en plus intelligents suscite légitimement des inquiétudes. Il faut en effet protéger la vie privée des personnes visées dans ces décisions, ainsi que la tranquillité des magistrats qui les ont rendues.

Le décret prévoit, à ce titre, un régime « d'occultation » des données sensibles ; c'est-à-dire d'anonymisation, ou de « pseudonymisation » des noms figurant sur les jugements. Mais l'anonymisation n'est pas toujours exclusive d'identification. C'est classique dans le contentieux de presse. Une désignation peut résulter d'éléments intrinsèques à l'écrit. Tel est le cas lorsqu’y figurent l'adresse, la profession, l'âge ou tous autres éléments distinctifs. Les critères de sélection et de tri retenus par les algorithmes devraient permettre assez facilement de telles identifications. C'est le premier sujet d'inquiétude.

L'autre préoccupation de ce grand chamboulement de l'accès aux décisions de justice, c'est l'utilisation que l'on va en faire. N'est-ce pas la porte ouverte à la justice prédictive voire au « profilage » des juges ? Certes la loi de 2019 a instauré une interdiction, pénalement sanctionnée, « d'évaluer, d'analyser, de comparer, ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées ». Mais en compilant toutes les décisions rendues, on saura tout de même comment et où on juge, dans tel ou tel sens. Ça, les algorithmes des legaltechs sauront faire.

Cela mène à une dernière interrogation. Celle de la nécessaire humanité des décisions de justice, la part indispensable, même si infime, qu'elles doivent garder d'imprévisibilité, celle de la liberté qui doit être laissée au juge d'innover, d'inventer le droit. Y aura-t-il encore, avec la connaissance exhaustive de tout ce qui a été jugé grâce à « l'open data », un juge Magnaud, l'inventeur au xixe siècle de l'état de nécessité comme fait justificatif du vol ? Y aura-t-il toujours cette part d'intelligence de l'homme, qui ne pourra jamais être artificielle, sans laquelle il n'y a pas de justice ?

27 août 2020 - Légipresse N°384
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