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Accueil > Droit d'auteur > Les directeurs de collection exclus du régime social des auteurs par le Conseil d'État : de la nécessité impérieuse de leur définir un statut - Droit d'auteur

Edition
/ Cours et tribunaux


04/03/2020


Les directeurs de collection exclus du régime social des auteurs par le Conseil d'État : de la nécessité impérieuse de leur définir un statut



Le champ d'application du régime de sécurité sociale des artistes-auteurs est défini par les articles L. 382-1 et R. 382-2 du code de la sécurité sociale. Il résulte de ces dispositions que les directeurs de collection ne sont susceptibles d'entrer dans le champ de ce régime que dans la mesure où leur activité permet de les regarder comme auteurs ou co-auteurs des ouvrages de collection qu'ils dirigent. Ces dispositions conduisent à distinguer, dans le cas où l'activité de directeur de collection comporterait une activité d'auteur, l'activité salariée ou indépendante du directeur de collection de l'activité d'auteur, pouvant seule donner lieu à une rémunération en droits d'auteur et aux charges sociales qui y sont rattachées.

Conseil d'Etat, 21 octobre 2019, n° 424779 SNE c/ AGESSA et a.
 

La menace est devenue réalité : le Conseil d'État a entériné une sorte de mise à mort des directeurs de collection initiée par l'Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (AGESSA), tout en fragilisant le secteur de l'édition déjà mal en point, au motif qu'il y aurait un manque à gagner dans les caisses de l'État.

Par un arrêt du 21 octobre 2019, la juridiction administrative a ainsi rejeté le recours pour excès de pouvoir formé par le Syndicat national de l'édition (SNE), auquel s'était jointe la Société des gens de lettres (SGDL), contre la décision unilatérale prise par l'AGESSA visant à exclure par principe les directeurs de collection du régime spécifique aux auteurs.

Pour mémoire, le 5 mai 2017, l'AGESSA avait, sans information préalable, modifié sa doctrine selon laquelle les directeurs de collection pouvaient être affiliés audit régime au regard de leur statut hybride, à mi-chemin entre l'auteur et l'éditeur. Cette affiliation était possible sous réserve d'une appréciation individuelle et à condition que leur participation intellectuelle à la création des œuvres soit suffisamment établie. Cette décision était applicable immédiatement.

Le 19 avril 2018, le ministre de la Culture et de la communication, le ministre de l'Action et des comptes publics et le ministre des Solidarités et de la santé avaient entériné la décision de l'AGESSA. Son entrée en vigueur avait toutefois été différée au 1er janvier 2019, afin de permettre aux éditeurs de modifier les contrats en cours et se mettre en conformité avec la nouvelle réglementation.

Pour l'AGESSA, seuls les directeurs de collection faisant œuvre de création pouvaient être affiliés au régime des auteurs suivant la conclusion de contrats d'auteur distincts de leurs autres attributions (harmonisation des ouvrages de la collection, apports de nouveaux projets, etc.…) et en devenant alors des coauteurs de chaque ouvrage de la collection.

Cette interprétation impérative emportant de graves conséquences pour les directeurs de collection mais également pour les éditeurs des ouvrages individuels eux-mêmes, le SNE a introduit un recours pour excès de pouvoir afin d'obtenir l'annulation de ces deux décisions et également sollicité la suspension de leur exécution en référé. Par une décision du 7 novembre 2018, le Conseil d'État a ordonné la suspension de l'exécution de la seule décision des autorités de tutelle, en déclarant la requête contre celle de l'AGESSA irrecevable compte tenu de son caractère tardif(1).

Le Conseil d'État avait retenu la condition d'urgence au regard des « difficultés administratives, juridiques et financières » engendrées par la décision brutale de l'AGESSA pour les professionnels de l'édition. Ces derniers pouvaient alors légitimement espérer que les juges du Palais-Royal tranchent en leur faveur puisque les discussions entre les parties avaient achoppé.

La décision au fond rendue le 21 octobre 2019 apparaît dès lors surprenante et en contradiction avec l'esprit qui avait animé le Conseil d'État à l'automne 2018, les difficultés élevées n'étant d'ailleurs toujours pas réglées. Elle est également décevante à plusieurs égards car elle ne tient pas compte de la spécificité ni de la réalité de l'activité des directeurs de collection, pas plus que du rôle crucial de ces derniers dans la chaîne éditoriale. Elle ne se soucie guère plus de l'insécurité économique et juridique dans laquelle ils sont désormais plongés (I). Cette décision n'étant pas susceptible de recours, le rôle des directeurs de collection tel qu'on l'a connu jusqu'à maintenant va en conséquence devoir évoluer, en espérant qu'il puisse être préservé par la recherche concertée de solutions durables et pratiques, comme la création d'un statut spécifique (II).

I - Une décision déconnectée du contexte du secteur de l'édition

Sans se pencher sur le fond du litige, le Conseil d'État considère que les directeurs de collection pourront continuer à être affiliés au régime des auteurs s'ils font œuvre de création et seront alors considérés comme coauteurs de chaque ouvrage de la collection. Ils devront en ce cas conclure des contrats d'auteur distincts de leurs attributions relevant de l'activité, indépendante ou salariée, de directeur de collection.

Pour le Conseil d'État, l'AGESSA n'a pas fixé de règle nouvelle mais a simplement interprété les articles L. 382-1 et R. 382-2 du code de la sécurité sociale qui fixent l'étendue du régime des artistes-auteurs. Il paraît cependant pour le moins étrange de décider de manière soudaine et non concertée d'interpréter le droit différemment et en contradiction avec la doctrine mise en place depuis plusieurs décennies, sans considération de la portée de la décision sur un secteur déjà fragilisé.

De manière assez extraordinaire, le Conseil d'État a en effet rejeté la requête du SNE sans même avoir jugé utile de préciser quelle était l'activité du directeur de collection, alors que cette démarche est pourtant essentielle et indispensable à la compréhension des enjeux du litige. La Haute assemblée s'est seulement contentée de définir ce qu'est le travail créatif selon lui (participation à la rédaction d'un ouvrage) sans citer les dispositions du code de la propriété intellectuelle qui en définit les règles et en procédant par une interprétation autonome, comme le fait la Cour de justice de l'Union européenne notamment en cette matière(2).

Pourtant, le travail d'auteur d'un directeur de collection ne s'arrête pas à la rédaction d'une préface ou de la quatrième de couverture. Il peut être auteur de la maquette, de l'index, de la couverture, du titre de la collection… et cela indépendamment du travail créatif appliqué aux ouvrages individuels de la collection(3). Il peut arriver qu'un directeur soit aussi coauteur d'un ou plusieurs des volumes, mais c'est très loin d'être la règle. Comme le souligne René de Ceccatty, auteur chez Gallimard et directeur de collection au Seuil : « Le travail d'un directeur de collection est de créer un certain esprit, une certaine famille littéraire, un espace de liberté, peut-être plus grand que sous les couvertures « généralistes » de la maison d'édition qui l'héberge »(4). Il est le garant en toute indépendance d'une harmonie de la collection à la fois visuelle mais également et surtout intellectuelle.

L'AGESSA commet une importante erreur d'interprétation(5) : les directeurs de collection ne sont pas coauteurs des ouvrages de la collection auxquels ils n'ont pas collaboré, au regard de leur spécialité ; de même, il est rare qu'ils en réécrivent le contenu, sans en être des coauteurs à part entière. Ils assurent le travail autour des ouvrages pour faire vivre la collection. Ils sont donc selon nous auteurs de la collection et nous ne sommes pas convaincue qu'il faille être si catégorique, comme peut l'être la jurisprudence depuis l'arrêt Mazenod, en affirmant qu'une collection ne serait qu'une idée et à ce titre non protégeable par le droit d'auteur(6). Nous y reviendrons dans la seconde partie du présent article.

Scinder l'activité des directeurs de collection en leur faisant signer à la fois des contrats de professionnels libéraux (avec le statut correspondant : TVA, facture d'honoraires, auto-entrepreneur, etc.) ou de salariés et distinctement des contrats d'auteur, revient encore à demander à ces derniers de prouver aux éditeurs ce qui relève ou non d'un travail créatif, et est par conséquent original au sens du droit d'auteur. C'est irréaliste, injuste, et s'apparente à une preuve impossible d'autant que les auteurs rédacteurs des ouvrages individuels auraient des raisons de protester. Cela conduirait en effet à diminuer leurs droits et à les contraindre notamment à partager la propriété des ouvrages avec un tiers et prendre des décisions à l'unanimité sur le sort de ceux-ci. Cela n'est pas acceptable et c'est même totalement irréaliste.

Il est intéressant de relever à cet égard un arrêt de la Cour de cassation, rendu le 10 octobre 2019, quelques jours avant l'arrêt commenté(7). Dans cette espèce, un éditeur faisait l'objet d'un redressement par l'URSSAF eu égard au versement de redevances de droits d'auteur à ses directeurs de collection qui auraient la qualité de salariés et relèveraient donc pour les cotisations sociales, du régime général. La cour d'appel a annulé le redressement en validant le principe d'une rémunération en redevances d'auteur tout en confirmant la décision du tribunal des affaires de sécurité sociale qui avait jugé que les directeurs de collection n'étaient pas des auteurs. La Cour de cassation a alors censuré cet arrêt pour des motifs procéduraux, dès lors que les directeurs de collection n'avaient pas été appelés dans la cause, alors qu'il convenait de vérifier la réalité de leur statut. Il conviendra de suivre la motivation de la cour d'appel de renvoi.

Identifier le travail créatif auquel s'adonne le directeur de collection est par conséquent essentiel et on ne peut que s'étonner que le Conseil d'État ait fait l'impasse sur ces développements pour entériner la décision de l'AGESSA, dans une indifférence à la situation concrète de l'édition et des qualifications juridiques qui s'y rapportent.

La décision du Conseil d'État, aussi critiquable soit-elle, aura le mérite de poser la question de l'existence d'un statut spécifique de directeur de collection, afin de clarifier une situation aujourd'hui très confuse et disparate.

II - La nécessaire création d'un statut spécifique pour les directeurs de collection

Les directeurs de collection se trouvent aujourd'hui dans une impasse et la question de leur statut, au-delà de la seule question de leur mode de rémunération, doit être nécessairement abordée.

La disparité des situations prédomine en effet, avec des directeurs de collection qui sont toujours rémunérés en redevances d'auteur, d'autres en honoraires, d'autres encore en salaire et enfin certains qui ont dû abandonner leurs fonctions eu égard à la lourdeur des formalités, à d'éventuelles incompatibilités de statuts, etc… La réalité des difficultés rencontrées par les directeurs de collection et les éditeurs actuellement n'est pas vaine : comment modifier les contrats en cours ? Comment rémunérer des directeurs de collection dont le statut est incompatible avec la perception d'un salaire ou des ayants droit de directeur de collection ? Comment absorber l'accroissement des charges sociales… ce qui peut conduire à des situations de blocage, au plus grand détriment de l'édition et donc, de la culture et de la diversité ?(8)

Définir un statut est par conséquent essentiel. Cela est d'autant plus important que la confusion entourant la fonction même du directeur de collection peut provoquer des incompréhensions, voire des frustrations légitimes chez les auteurs eux-mêmes.

Certains comme la Ligue des auteurs professionnels, collectif d'auteurs qui réunit également plusieurs organisations, ont en effet soulevé un point important(9) : rémunérer en redevances d'auteur le directeur de collection peut conduire, selon le soin apporté à la rédaction du contrat, à faire de lui un coauteur de l'ouvrage comme évoqué plus haut. Dans cette hypothèse, il est alors placé sur le même plan que son auteur, partage la propriété de l'œuvre, etc.… ce qui n'est pas concevable juridiquement, ni moralement. Selon les retours d'expérience qu'aurait eus la Ligue, le directeur de collection est, dans certains cas, rémunéré directement sur l'à-valoir des auteurs ou leurs redevances proportionnelles. Les auteurs percevraient ainsi moins de droits et ne pourraient renégocier leur pourcentage en raison du mode de rémunération des directeurs de collection, le plus souvent imposé par l'éditeur. Les contrats d'édition sont en effet des contrats d'adhésion où la marge de négociation est infime voire nulle dans certains cas. Et ne parlons même pas de la situation d'indivision entre eux (CPI, art. L. 113-3).

Au vu des conséquences excessives engendrées par la décision de l'AGESSA entérinée par le Conseil d'État, le SNE a de nouveau appelé de ses vœux à favoriser des discussions avec les ministères de tutelle. À ce jour, aucune décision n'aurait émergé alors que les éditeurs ont dû, le 15 janvier 2020, remplir la première déclaration sociale annuelle des auteurs pour le dernier trimestre 2019.

Plusieurs pistes sont toutefois évoquées par les professionnels de l'édition pour s'adapter et se mettre en conformité.

Certains directeurs de collection ont tout d'abord annoncé qu'ils entendaient évoluer vers un rôle d'agent littéraire, en présentant aux éditeurs des manuscrits quasi publiables et en percevant une rémunération identique à celle d'un agent, soit un pourcentage assis sur les redevances de droits d'auteurs (entre 10 % et 20 %). Si cela arrangeait peut-être les directeurs de collection et les éditeurs qui ne seraient alors plus en infraction supposée avec la loi, il n'est pas certain que les auteurs voient cela d'un bon œil au regard de ce qui a déjà été exposé (le pourcentage serait sans doute prélevé sur les redevances d'auteur). D'autant qu'il n'apparaît pas évident qu'un agent littéraire puisse se comporter comme un directeur de collection et garantir l'harmonie de la collection, s'il ne représente pas l'ensemble des auteurs d'une même collection ou si plusieurs d'entre eux interviennent en concurrence. Il est encore permis de douter de la viabilité du processus pour l'édition scientifique et technique.

Les directeurs de collection pourraient ensuite être rémunérés en redevances d'auteur au titre de revenus connexes prévus par la circulaire du 16 février 2011 sur les rémunérations artistiques et les activités dites « accessoires », laquelle est en cours de révision. Ce texte, dont le périmètre pourrait être élargi, définit les activités et recettes artistiques par nature (ex. conception d'une exposition des œuvres de l'auteur, produits de ventes d'œuvres originales, etc.…) et celles connexes au métier d'auteur mais qui ne sont pas intrinsèques à celui-ci. Par exception, ces activités entrent dans le champ du régime social des auteurs. C'est ce qu'a préconisé la SGDL dans un communiqué du 14 décembre 2019. Cela va dans le sens du rapport remis au gouvernement le 22 janvier dernier par Bruno Racine sur « l'auteur et l'acte de création ». Au titre de sa recommandation no 3, le conseiller maître à la Cour des comptes suggère ainsi d'« étendre le champ des activités accessoires et rehausser le nombre annuel des activités permises ainsi que le plafond des revenus associés, afin de mieux tenir compte de l'activité de l'auteur au sein de la cité. » S'il ne vise pas directement le cas des directeurs de collection, on pourrait l'envisager. Certains éditeurs ont décidé de se plier à cette formule.

Encore faut-il que ceux-ci soient auteurs et que leur travail créatif constitue une partie importante sinon majeure de leur activité pour pouvoir prétendre à ce rattachement, ce qui n'est pas toujours le cas. Les activités accessoires ne peuvent en outre dépasser un plafond annuel de 80 % de 900 fois le Smic horaire, ni un seuil de 50 % des rémunérations totales perçues (principales et accessoires) ce qui limite l'éligibilité de certains directeurs de collection au régime social des auteurs et perpétuerait la disparité actuelle.

La solution est donc intéressante, mais imparfaite.

Lors de son discours du 18 février dernier, le ministre de la Culture Franck Riester a fait part de ses propositions en réponse au rapport « Racine ». Il a ainsi indiqué qu'un décret serait présenté aux auteurs pour mieux refléter la réalité de leur situation avec l'extension du champ de leurs activités principales, en y intégrant notamment la direction de collection, sans condition particulière. Tous les directeurs de collection pourraient alors être rémunérés en redevances d'auteur. Si cette proposition va dans le bon sens, il convient de rester méfiant, car le décret devra passer l'avis du Conseil d'État. Cela supposera également de définir le rôle du directeur de collection, ce qui a soigneusement été évité jusqu'à présent. De l'URSSAF au Conseil d'État, personne ne s'y est jamais penché.

De sorte qu'un juge judiciaire, non tenu par les qualifications administratives (et en vérité exclusivement compétent sur ces questions de droit d'auteur) pourrait démentir la position de l'URSSAF et du Conseil d'État.

À moins qu'un texte législatif ou réglementaire, à l'occasion d'une loi en discussion, définisse les attributions du directeur de collection, au regard de sa contribution décisive à l'élaboration, au développement et au rayonnement de la collection, constituant en soi un travail créatif, d'autant que le droit d'auteur ne s'attache pas au mérite. Ni l'AGESSA, ni les éditeurs, ni le juge administratif, ne peuvent décider de façon abstraite que les diligences des directeurs de collection ne relèveraient pas de ce champ d'autant que la jurisprudence, spécialement européenne, a une acception assez large de ce qui peut relever du travail d'auteur (« effort créatif », etc.)

Qu'est-ce d'autre qu'une collection qui rassemble sous l'impulsion de son directeur, et fort de moyens financiers et matériels certains, des ouvrages et des auteurs ayant comme point commun un thème, des maquettes, formes de présentation, etc., en les réunissant, harmonisant leurs contributions dans un but de cohérence et de continuité ? Un travail d'auteur, une œuvre en soi.

4 mars 2020 - Légipresse N°379
3302 mots
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