Les travaux académiques ou scientifiques peuvent donner prise au droit d'auteur dès lors que la condition d'originalité est remplie. Cette dernière ne devrait toutefois pas être requise pour apprécier le plagiat qui est, en matière académique à tout le moins, une notion autonome du délit de contrefaçon. À la différence de celle-ci qui est un délit reconnu uniquement par une juridiction, le plagiat est une notion qui relève de l'éthique ou de la morale, et de l'intégrité académique. Quel que soit le fondement, diverses sanctions disciplinaires et judiciaires peuvent être prononcées à l'encontre des chercheurs indélicats.
L'intégrité de la recherche scientifique est au cœur de l'actualité avec la démission très médiatisée, en janvier dernier, de la présidente de l'université d'Harvard(1), arrivée à peine six mois auparavant, ou encore la confirmation de la radiation d'un avocat parisien en décembre(2), tous les deux accusés de plagiat au sein de leur thèse de doctorat.
Dans le second cas, la radiation de l'avocat intervenait après l'annulation de l'obtention de son diplôme de doctorat, celui-ci ...
Krystelle Biondi
Avocat au Barreau de Paris
10 mars 2024 - Légipresse N°422
4109 mots
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(1) Cette dernière était également accusée d'antisémitisme.
(2) Paris, 14 déc. 2023, n° 23/07060.
(3) Cette dispense a été limitée par le décr. n° 2023-1125 du 1er déc. 2023 relatif à la formation professionnelle des avocats et sera désormais conditionnée à une pratique professionnelle des docteurs en droit.
(4) CNESER 14 mars 2022, n° 1658, décision définitive après désistement par l'avocat de son recours devant la CAA.
(5) Conseil de l’ordre de Paris, 27 avr. 2021, n° 334366 : « Or, même si la juridiction disciplinaire n'est pas le juge du plagiat, et n'est pas non plus l'instance chargée de dire si la thèse doit être annulée, elle considère en l'espèce disposer de suffisamment d'éléments pour juger que l'avocat a obtenu le titre d'avocat sur le fondement d'une thèse manifestement obtenue en fraude des principes d'honneur, dont celui de l'égalité face au concours d'accès à la profession d'avocat relève évidemment » ; CE 26 juill. 2022, n° 463338.
(6) Paris, 9 juin 2022, n° 21/07726.
(7) P.-Y. Gautier, Droit de la propriété littéraire et artistique, 2e éd., LGDJ, 2023, nos 76 et 85 ; A. Lucas, A. Lucas-Schlotter et C. Bernault, Traité de la propriété littéraire et artistique, 5e éd., LexisNexis, 2017, n° 92.
(8) L. Marino, Repenser le droit du plagiat de la recherche, JCP 2011. 1396 ; G. J. Guglielmi et G. Koubi (dir.), Le plagiat de la recherche scientifique, LGDJ, 2012.
(9) H. Maurel-Indart, De l'emprunt servile à la réécriture créative, in G. J. Guglielmi et G. Koubi (dir.), op. cit., p. 58.
(10) H. Desbois, Le droit d'auteur en France, 3e éd., Dalloz, 1978, § 33.
(11) Ibid., § 34 : « […] à moins de manquer à leur mission, les historiens ne peuvent trahir la vision de la réalité » ; ibid., § 35 : « […] de ce fait, un ouvrage historique pourra être investi d'une originalité absolue à l'égard d'un précédent, malgré l'identité des événements et de leur succession, à cause du détail de la composition et du tour de la rédaction ».
(12) Bordeaux, 11 mai 2021, n° 18/02506 : un chirurgien-dentiste et maître de conférences estimait qu'un ouvrage, coécrit notamment par son ancienne directrice de thèse, contrefaisait ses travaux antérieurs par la présence de photographies lui appartenant, d'extraits de sa thèse et d'une conférence au cours de laquelle il était intervenu. L'originalité de l'ensemble de ses travaux n'avait pas été reconnue de sorte que le grief de contrefaçon avait été rejeté. Le parasitisme n'avait pas été évoqué et aurait pu être soulevé.
(13) Paris, 26 mars 2014, n° 13/14300 : un maître de conférences en droit public avait soutenu une thèse de doctorat dont il reprochait la reproduction illicite partielle par un docteur en droit dans sa propre thèse soutenue, deux ans plus tard, sur un sujet similaire portant sur les crimes d'État.
(14) CAA Paris, 6 févr. 2018, n° 16PA01133 : « Que si ces deux paragraphes sont écrits dans un style littéraire travaillé, les propos qu'ils contiennent sur la côte ouest des États-Unis et l'urbanisme de la ville de New York se caractérisent par leur généralité et ne présentent pas, quant à leur contenu, une originalité patente. » En l'espèce, c'est le grief de plagiat qui était analysé, et non celui de contrefaçon, mais la méthode poursuivie par les juges était la même et consistait à rechercher l'originalité, ce qui est critiquable. La CAA a annulé le jugement du TA et la décision de l'établissement qui avait sanctionné l'étudiant en 2e année de master, en annulant son épreuve et le contraignant à se réinscrire en 2e année pour valider certains enseignements.
(15) P.-Y. Gautier, op. cit., n° 849.
(16) Paris, 25 sept. 1987, RIDA 1/1988. 107, cité in A. Lucas, A. Lucas-Schlotter, C. Bernault, op. cit., n° 328.
(17) E. Pierrat, Le droit d'auteur et l'édition, 4e éd., éd. du Cercle de la librairie, 2013, p. 111 : « Il est à noter que chaque fois que l'auteur aura à subir une reproduction illicite du type que l'on appelle communément “plagiat”, il pourra attaquer le contrefacteur sur la base de la contrefaçon. »
(18) E. Pierrat, op. cit., p. 382.
(19) L. Marino, préc., §§ 15 et s.
(20) V. par ex., Paris, 25 sept. 1987, préc.
(21) CNESER 14 mars 2022, préc.
(22) COMETS 27 juin 2017, avis n° 2017-34, Réflexion éthique sur le plagiat dans la recherche scientifique.
(23) L. Marino, préc., § 17 : « C'est, de façon plus complète, la méconnaissance de la paternité de tout ou partie des travaux originaux d'un chercheur par un pair, lequel s'approprie par ce biais cette paternité dans ses propres travaux et trompe la communauté scientifique sur la véritable paternité des travaux qu'il plagie. »
(24) L. Marino évoque un « crime fratricide », préc., § 15.
(25) Conseil de l’ordre de Paris, 27 avr. 2021, préc.
(26) CAA Paris, 6 févr. 2018, préc.
(27) CNESER 14 mars 2022, préc. : « L'existence d'une faute disciplinaire ne dépend pas du constat d'une faute ayant fait l'objet d'une détermination légale. »
(28) CNESER 14 mars 2022, préc. ; Conseil de l’ordre de Paris, 27 avr. 2021, préc. : « Par la suite, C… a procédé à la vérification informatique de la thèse via le logiciel COMPILATIO. Au terme de cette vérification, un taux de plagiat est apparu à hauteur de 76 %. C… a également procédé à une vérification manuelle de la thèse sur 498 pages. Au terme de celle-ci le taux de plagiat était de 100 % sur 258 pages et de 47 % sur 52 pages. »
(29) Responsabilité professionnelle, Charte européenne du chercheur, Comm. UE, 2005.
(30) P. Malaurie ry P. Morvan, Introduction au droit, 9e éd., LGDJ, 2022, n° 30 ; F. Terré et N. Molfessis, Introduction générale au droit, 15e éd., Dalloz, 2023, n° 62.
(31) TGI Paris, 19 déc. 2013, n° 08235090030 : l'auteur d'une thèse condamné pour contrefaçon était marié au doyen de l'université, directeur du laboratoire de recherche dont le plaignant faisait partie et codirecteur de son mémoire contrefait. Ce dernier était accusé de complicité de contrefaçon pour avoir not. facilité les agissements de son épouse, ce qu'a rejeté le tribunal en considérant que cela relevait de l'éthique et de la déontologie et non du champ pénal : « Néanmoins ces éléments qui relèvent de l'éthique et de la déontologie ne caractérisent pas une complicité au sens pénal. » Les prévenus ont été relaxés en appel (Paris, 23 sept. 2015) mais également la section disciplinaire de l’Université Paris V puis par le CNESER (9 oct. 2018, n° 1181).
(32) J. Moret-Bailly, Plagiat et déontologie académique, in J. Guglielmi et G. Koubi (dir.), op. cit.
(33) Un pourvoi a été formé mais, n'étant pas suspensif, la sanction est immédiatement exécutoire.
(34) T. corr. Paris, 5 févr. 2024, un ancien avocat, radié du tableau parisien pour manquements déontologiques, a été condamné à 18 000 € de jours-amendes pour exercice illégal de la profession après avoir plaidé à 6 reprises devant les juridictions françaises et alors même qu'il invoquait s'être inscrit depuis sa radiation au barreau d'Alger. Un appel a été formé.
(35) V. aussi, CNESER 13 févr. 2020, n° 1291, pour une annulation de thèse assortie d'une exclusion de l'étudiante pour une période de 2 ans de l'établissement concerné après avoir plagié largement un ouvrage.
(36) CNESER 10 mai 2023, n° 1478.
(37) Crim. 15 juin 2010, n° 09-84.034, RTD com. 2010. 722, obs. F. Pollaud-Dulian.
(38) TGI Paris, 19 déc. 2013, préc. : le contrefacteur avait reproduit dans sa thèse d'odontologie près de 45 pages d'un mémoire qui en contenait 61, hors bibliographie et annexes. 5 000 € d'amende et 25 000 € de dommages-intérêts ont été ordonnés.
(39) C. pr. pén., art. 368.
(40) L. Marino, préc, § 20 : « Le plagiat nuit à la recherche. On peut donc concevoir qu’il existe un préjudice collectif des chercheurs (…). Or l’intérêt de la communauté des chercheurs rejoint l’intérêt supérieur de la société à protéger l’innovation et le système de recherche ».
(41) CJUE 14 sept. 2023, aff. C-27/22, D. 2023. 1588, qui rappelle le caractère expansif de l'application du principe non bis in idem en droit de l'Union.
(42) En 2006, ce dernier a conçu avec le ministère de l'Éducation nationale un guide officiel à l'usage des doctorants, qui ne comprend pourtant aucun développement sur ce que sont le plagiat et la contrefaçon. Il précise seulement que le rédacteur doit obtenir « l'autorisation des ayants droit si la thèse comporte des œuvres ou extraits significatifs d'œuvres relevant de la propriété d'autres auteurs » (Guide pour la rédaction et la présentation des thèses à l'usage des doctorants, 2006, § 1.2). Une charte nationale de déontologie de la recherche a par ailleurs été élaborée en janvier 2015 mais elle aborde à peine la question du plagiat.