Enews Legipresse

Recevez la newsletter et entrez dans le Club Légipresse
Valider
Valider l'adresse e-mail pour inscription à l'E-news

Le club Légipresse

Les 2 derniers inscrits
Pierre COLLINET

Global Director of Research & ...

Vidéos

02/09/2016
Fabrice Arfi, Médiapart

Forum 2015 - Informer n'est pas un délit

Toutes les vidéos
Accueil > Publicité > Incitation et objectivité dans la publicité des alcools : rappel de quelques évidences - Publicité

Publicité
/ Cours et tribunaux


24/04/2019


Incitation et objectivité dans la publicité des alcools : rappel de quelques évidences



Le tribunal considère qu'un visuel associant une marque de bière à l'Euro de football, compétition sportive particulièrement populaire, crée entre elles un lien festif, et valorise ainsi la boisson Heineken, incitant directement à la consommation d'alcool. Le message ne se limitait pas aux indications autorisées par la loi, et ne faisait aucune référence objective aux caractéristiques gustatives ou à l'historique du produit conformément à l'article L. 3323-4 du code de la santé publique. Le visuel en cause constitue, de ce fait, une publicité illicite en faveur de l'alcool. (décision définitive)

Tribunal de grande instance, Paris, (5e ch.), 22 janvier 2019, ANPAA c/ SA Atac
 

1. Il est surprenant de constater à quel point l'application de règles juridiques apparemment évidentes peut être compliquée à mettre en œuvre pour certaines juridictions. Il est parfois épuisant – et peut-être lassant pour les plus fidèles des lecteurs – de rappeler sans cesse les mêmes principes qui ne devraient souffrir aucune discussion.

On devrait laisser à Sisyphe ou à Pénélope la tâche de recommencer sans cesse leur ouvrage. Ces deux références viennent de Grèce, c'est-à-dire déjà presque de l'Orient compliqué dans lequel il est bon pourtant, comme chacun sait, d'arriver avec des idées simples. Il devrait en être de même ici.

2. La publicité des alcools est réglementée par les dispositions des articles L. 3323-2 et suivants du code de la santé publique dans une rédaction qui résulte de la loi du 10 janvier 1991, dite loi Evin et des quelques amendements qui y ont été apportés.

Au contraire de ce qui est prévu en matière de tabac, la publicité en faveur des alcools n'est pas interdite. Elle est autorisée dans son principe tout en étant encadrée dans des limites fixées par les textes ci-dessus. Ces textes peuvent à certains égards être délicats à interpréter mais il est deux principes qui sont extrêmement simples à énoncer et juridiquement incontestables. Ceci n'empêche pas les tribunaux de régulièrement les méconnaître, ce qui est encore le cas dans la décision commentée.

Pour le dire d'un mot, on ne peut reprocher à la publicité d'être incitative et on ne peut l'obliger à être objective au-delà de ce qu'a prévu le législateur.

3. L'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) poursuivait la société Atac et la société de distribution Dupleix (ci-après « Atac ») exploitant un magasin à l'enseigne Simply Market du fait de la diffusion d'un dépliant promotionnel au mois de juin 2016 présentant un pack de bières Heineken sur une pelouse avec l'indication « 40 % de remise immédiate » apparaissant sur un ballon placé dans le coin supérieur droit de l'annonce et qui portait la mention « À gagner deux voyages par semaine ».

Le fond bleu du dépliant portait également deux lignes blanches dans lesquelles l'ANPAA puis le tribunal verront une cage de football.

Atac a été condamnée, le tribunal lui reprochant une combinaison d'un ensemble d'éléments faisant référence au football et à l'Euro 2016 qui se déroulait à la période de diffusion du catalogue.

L'association de ce visuel à l'Euro 2016 organisée par l'UEFA n'était peut-être pas évidente et il n'apparaît d'ailleurs pas que cet organisme, pourtant particulièrement vigilant sur ses droits, ait critiqué la diffusion de ce dépliant et l'association qui aurait ainsi été créée entre Heineken et le Championnat.

Il était sans doute excessif d'écrire comme le tribunal qu'un tel visuel « associe donc incontestablement la consommation d'une boisson alcoolisée à une compétition sportive très appréciée d'un sport particulièrement populaire créant même entre elles un lien festif » alors que cette image n'a objectivement rien de festif et qu'au pire, c'est la marque de bière qui aurait été associée à la compétition sportive et non la consommation de ce produit.

Ces points pouvaient cependant se discuter, l'association d'un alcool et d'un sport dans la publicité pouvant le plus souvent être critiquée. On observera cependant que des exceptions légales ou conventionnelles sont expressément prévues, par exemple le Code de bonne conduite pour la retransmission d'évènements sportifs contenant des panneaux publicitaires pour les boissons alcoolisées, publié par le CSA le 22 mars 2005, ou même en matière de tabac, l'article L. 3511-5 du code de la santé publique qui autorise la retransmission télévisée des compétitions de sports mécaniques qui se déroulent dans des pays où la publicité pour le tabac est permise.

4. Le tribunal ne répond pas précisément sur les griefs liés à la mise en place d'un jeu et à une remise immédiate de 40 %. Il se contente d'écrire : « Cette dernière (l'incitation directe à consommer de la bière) est encore renforcée par l'association de la bière Heineken à un jeu pour gagner des voyages combiné à une remise immédiate de 40 % insérés en évidence dans le visuel, ce qui en fait une offre particulièrement attractive. Un tel jeu ne peut d'ailleurs pas être considéré comme une modalité de vente… ».

Le moins que l'on puisse dire est que cette motivation est sobre. On ne comprend pas en particulier à quel titre la remise de 40 %, qui constitue incontestablement une modalité de vente, c'est-à-dire l'un des éléments autorisés par l'article L. 3323-4 du code de la santé publique, serait irrégulière.

5. Mais ce qui choque le plus dans la décision, ce sont les références au caractère incitatif et donc interdit de ce dépliant ainsi qu'au non-respect du critère d'objectivité qui serait indispensable. On peut ainsi lire que la publicité des alcools « est autorisée mais strictement encadrée afin d'éviter qu'elle soit incitative à la consommation d'alcool pour répondre efficacement à la légitime préoccupation de santé publique du législateur ».

Le tribunal réitère cette critique quand, après avoir rappelé le lien entre la compétition sportive et la consommation d'une boisson alcoolisée, il juge que le dépliant « constitue, de ce fait, une incitation directe à consommer de la bière ».

L'incitation n'est pourtant pas un critère permettant de sanctionner une publicité, fût-elle mise en œuvre en faveur d'une boisson alcoolisée. L'incitation est une notion consubstantielle à la publicité. Interdire à une publicité d'être incitative, c'est comme interdire à un avocat de plaider ou à un magistrat de juger, peut-être dans l'air du temps, mais certainement contraire à nos principes essentiels.

C'est pour les juges aller à l'encontre de la volonté du législateur qui a autorisé la publicité pour les alcools et non uniquement l'information en leur faveur. C'est heurter de front la séparation des pouvoirs en se substituant au législateur.

On comprend que tout ceci est fait avec d'excellentes intentions. On a relevé ci-dessus que le Tribunal se référait à « la légitime préoccupation de santé publique du législateur ». Cependant, cette préoccupation en effet légitime a été mise en œuvre dans un cadre déterminé qu'il ne revient pas aux juges de déformer au nom d'une morale qui ne doit pas être confondue avec le droit.

La décision est à cet égard d'autant plus décevante qu'elle va à l'encontre de ce qu'avait jugé la Cour d'appel de Paris le 13 décembre 2018(1) pour laquelle : « la publicité se définissant comme toute forme de communication faite dans le cadre d'une activité commerciale industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou services, il ne saurait être retenu que la publicité pour l'alcool est illicite au seul motif qu'elle serait attractive ou qu'elle inciterait à l'achat ou à la consommation de boissons alcoolisées, seule l'incitation à une consommation excessive contrevenant à l'objectif de santé publique de lutte contre l'alcoolisme défini par le législateur ».

La Cour rejoignait ainsi la position du Conseil constitutionnel qui, dans sa décision du 8 janvier 1991(2), énonçait : « Considérant que les restrictions apportées par le législateur à la propagande ou à la publicité en faveur des boissons alcooliques ont pour objectif d'éviter un excès de consommation d'alcool, notamment chez les jeunes ; que de telles restrictions reposent sur un impératif de protection de la santé publique, principe de valeur constitutionnelle ; que le législateur qui a entendu prévenir une consommation excessive d'alcool, s'est borné à limite la publicité en ce domaine, sans la prohiber de façon générale et absolue ».

La cour d'appel dans cette décision rappelait d'ailleurs également que le contenu du message publicitaire « par nature ne saurait être purement informatif ».

6. Le tribunal reproche également au dépliant de ne faire « aucune référence objective aux caractéristiques gustatives du produit, à son origine historique, à un mode de consommation ou à des modalités de vente » avant de conclure que ledit dépliant « en ne respectant pas le critère d'objectivité imposé par les dispositions de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique constitue une publicité illicite en faveur de l'alcool ».

Sur ce point également, la décision est juridiquement surprenante. Si l'article L. 3323-4 prévoit que la publicité pour les boissons alcoolisées « peut également comporter des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit », cette objectivité n'est en revanche prévue pour aucun autre des éléments pouvant apparaître dans de telles publicités aux termes de l'article L. 3323-4.

C'est une erreur d'analyse manifeste qui amène à considérer que la présentation dans la publicité d'un alcool de son origine historique, d'un mode de consommation ou de modalités de vente devrait être faite de manière objective.

Là encore, la cour d'appel, dans sa décision susvisée, avait rappelé ce principe simple : « qu'il s'ensuit que les mentions doivent être purement objectives que lorsqu'elles sont relatives à la couleur, aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit, ce qui laisse la place à l'imagination des concepteurs des messages publicitaires lorsque la communication porte sur d'autres éléments de communication tels que l'origine, la dénomination ou la composition du produit ».

7. Le tribunal n'était évidemment pas contraint de suivre par principe l'argumentation développée par la cour d'appel dans sa décision du 13 décembre 2018 dont il n'était d'ailleurs peut-être pas informé.

Il n'en reste pas moins que le raisonnement suivi par la cour sur la question de l'objectivité et du caractère incitatif était la simple application de dispositions incontestables du code des débits de boissons que, pour notre part, nous rappellerons et reprendrons sans interruption tant que la loi sera ce qu'elle est.

E. A.

24 avril 2019 - Légipresse N°369
1876 mots
> Commenter
Ajouter un commentaire
Titre du commentaire :
Message :
Envoyer