Enews Legipresse

Recevez la newsletter et entrez dans le Club Légipresse
Valider
Valider l'adresse e-mail pour inscription à l'E-news

Le club Légipresse

Les 2 derniers inscrits
Maina Belhocine

Etudiant
Adrien Dargent

Intervenant

Vidéos

02/09/2016
Fabrice Arfi, Médiapart

Forum 2015 - Informer n'est pas un délit

Toutes les vidéos
Accueil > La lutte des parlements: les droits de l'Homme opposés à la riposte graduée -

Tribune


01/06/2009


La lutte des parlements: les droits de l'Homme opposés à la riposte graduée



 

Le 26 mars 2009, le Parlement européen a adopté à une écrasante majorité (1) une recommandation à l'intention du Conseil sur le renforcement de la sécurité et des libertés fondamentales sur internet. Cette recommandation vise essentiellement à concilier la lutte contre la cybercriminalité et les droits fondamentaux des internautes (notamment en matière de données personnelles).
Elle affirme l'importance de l'accès à internet du point de vue de la participation démocratique, de la liberté d'expression et du droit à l'éducation.
En associant ainsi l'accès à internet à divers droits fondamentaux, la recommandation semble clairement s'inscrire contre le principe de riposte graduée prévu en France par la loi “Diffusion et protection de la création sur internet” (2) (dite loi HADOPI, du nom de la Haute Autorité qu'elle institue). L'étude comparée des deux textes révélera ainsi la perception qu'ont le Parlement européen et le Parlement français des droits de l'Homme, du droit d'auteur et de l'importance pour le citoyen de pouvoir accéder à internet. Ces deux textes ne seront toutefois pas appréhendés de la même manière. La loi française ne sera pas analysée isolément, mais plutôt à travers les questions soulevées par le Parlement européen dans sa recommandation du 26 mars 2009. Diverses déductions peuvent en effet être tirées de ce regard extérieur porté sur la loi HADOPI. En premier lieu, la recommandation accorde un rôle et un statut privilégié à l'accès à internet, qui remet en question la pertinence de certaines sanctions pouvant toucher l'internaute et des garanties juridictionnelles les entourant. En second lieu, le Parlement européen semble faire trop peu de cas du nécessaire respect du droit d'auteur dans sa recommandation.
I. L'accès à internet valorisé La loi HADOPI récemment votée par le Parlement français prévoit un dispositif de riposte graduée pour lutter contre le phénomène de piratage massif sur internet.
Ainsi, en cas de récidive du contrefacteur (ou plutôt de l'internaute imprudent ayant permis la réalisation d'une contrefaçon par l'intermédiaire de son abonnement), une suspension temporaire d'accès à internet pourra être décidée. Une telle sanction sera prise sans intervention préalable du juge, mais du seul fait d'une nouvelle autorité administrative indépendante, la HADOPI (Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet). À plusieurs reprises, le Parlement européen a manifesté son hostilité envers ce mécanisme de riposte graduée et sa sanction maximale, la suspension de l'accès à internet. Ces diverses critiques conduisent à s'interroger sur la suffisance des garanties juridictionnelles octroyées à l'internaute par la loi HADOPI.
A. Une hostilité manifeste envers la riposte graduée La recommandation du Parlement européen du 26 mars 2009 insiste sur l'importance de pouvoir accéder à internet du point de vue des droits de l'Homme. Dans son Considérant Q notamment, elle indique ainsi que « garantir l'accès de tous les citoyens à internet équivaut à garantir l'accès de tous les citoyens à l'éducation et (…) qu'un tel accès ne devrait pas être refusé comme une sanction par des gouvernements ou des sociétés privées ».
L'affirmation de tels principes à une telle date – à savoir concomitamment à l'ouverture des débats sur le projet de loi HADOPI devant l'Assemblée nationale en première lecture – n'apparaît pas anodine.
Le communiqué de presse émis par le Parlement européen à propos de sa recommandation évoque d'ailleurs explicitement le projet de loi français : l'opposition du Parlement européen aux sanctions prévues par le mécanisme de riposte graduée est donc indubitable.
Le Parlement européen n'affirme toutefois pas que l'accès à internet est, en soi, un droit de l'Homme ; il indique simplement que cet accès est pour le citoyen un

moyen privilégié d'exercer ses droits et libertés inaliénables (participation active à la démocratie, liberté d'expression et d'accès à l'information, droit à l'éducation…).
Parce que l'accès à internet n'est pas qualifié intrinsèquement de droit fondamental, le Parlement européen n'ose affirmer que la mesure de riposte graduée n'est pas conforme au droit européen.
Dans le communiqué de presse sus-évoqué, il précise ainsi in fine que « si l'accès à internet était considéré comme un droit fondamental dans l'Union, la France pourrait se trouver en contradiction avec le droit européen ». Le conditionnel reste donc de mise. Mais cela n'enlève rien au coeur du propos, qui est vraisemblablement de souligner que la suspension d'accès à internet n'est pas une mesure anodine.
Elle constitue une véritable sanction et nécessite à ce titre de véritables garanties juridictionnelles.
Le Parlement européen s'était déjà montré hostile au dispositif de riposte graduée en adoptant, en septembre 2008, l'amendement 138 au projet de directive dite « paquet Télécom ».
Cet amendement, initialement déposé par le député européen Guy Bono, prévoyait qu'« aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l'autorité judiciaire en application notamment de l'article 11 de la charte des droits fondamentaux (…) ». Retirée par le Conseil de l'Union Européenne, cette disposition a ensuite été réintroduite dans un amendement n° 46 lors de la seconde lecture du projet de directive devant le Parlement européen, puis adoptée par ce dernier le 6 mai 2009. S'il est peu probable que le projet de directive reste en l'état suite aux futures conciliations avec le Conseil, il est toutefois remarquable que les parlementaires européens aient ainsi réitéré, à une très large majorité, leur position initiale.
La question d'une incompatibilité entre la riposte graduée de la loi française et le droit européen (des droits de l'Homme, essentiellement) a été soulevée initialement à l'occasion de cet amendement 138. La ministre de la Culture Christine Albanel soutient depuis lors que les deux textes ne se contredisent nullement. Affirmation ne vaut cependant pas démonstration. Le Parlement européen ayant rappelé dans sa recommandation du 26 mars que l'accès à internet implique à de multiples titres les droits fondamentaux de l'Homme, il apparaît utile de pousser plus avant l'analyse et de ne plus se contenter de postulats. L'accès à internet ne constitue peut-être pas, en soi, une liberté fondamentale ; les modalités de sa suspension peuvent toutefois être porteuses de restriction aux droits de l'Homme. Par exemple, le fait que l'internaute suspendu doive continuer de payer son abonnement (3) ne constitue-t-il pas une restriction au droit au respect des biens ? À tout le moins ne peut-on pas balayer d'un revers de manche la question de l'incompatibilité entre l'amendement 138/46 et la loi HADOPI.
Plus largement, la recommandation commentée cumulée à cet amendement 138/46 incitent à réfléchir sur la pertinence des garanties juridictionnelles offertes au justiciable affecté par la riposte graduée.
B. Les garanties juridictionnelles en question Est-il normal que la mesure de suspension d'abonnement – sanction véritable à multiples facettes (4) – soit prononcée par une autorité administrative indépendante? Certes, la Commission de protection des droits, composante de la HADOPI amenée à prononcer ces sanctions, n'est composée que de magistrats, ce qui constitue un gage de neutralité non négligeable. Offre-t-elle pour autant suffisamment de garanties juridictionnelles ? Plusieurs auteurs ont rappelé à juste titre que « le juge judiciaire est le gardien naturel des libertés individuelles et du droit de propriété » (5). Pourquoi donc l'avoir écarté (du moins pour le prononcé de cette sanction que constitue la suspension d'accès)? Par ailleurs, est-il normal que les recours en justice effectués contre une décision de coupure d'accès à internet ne soient pas, par principe, suspensifs? Les conditions d'obtention d'un sursis à exécution, qui seront déterminées par un décret en Conseil d'État, restent en effet incertaines. Or les risques d'erreurs semblent non négligeables dans cette lutte contre le piratage massif: notamment, l'auteur des contrefaçons peut être sans lien avec le titulaire de l'abonnement (ce dernier peut par exemple posséder une connexion Wi-Fi insuffisamment sécurisée, utilisée malicieusement par l'un de ses voisins) (6). La preuve ne sera pas facile à rapporter pour le titulaire de l'abonnement qu'il n'est en rien responsable des contrefaçons effectuées. S'il n'arrive à se disculper suffisamment rapidement (dans l'hypothèse où il n'aurait

pas acquis préalablement un logiciel de sécurisation labellisé) (7), il peut alors avoir à supporter la suspension d'abonnement. La possibilité d'introduire un recours non suspensif contre la décision de coupure de l'abonnement semble alors d'une utilité toute limitée puisque, en attendant une éventuelle décision annulant la sanction, l'internaute subit de facto la suspension. La riposte graduée semble donc faire peser sur certains internautes – pouvant être étrangers à la contrefaçon et novices en informatique – une responsabilité disproportionnée. N'est-ce qu'un moindre mal, si par ailleurs le piratage massif recule? Nous n'en sommes pas si sûrs.
La recommandation commentée ne vise pas à rejeter en bloc le principe d'une riposte graduée. Elle participe simplement au débat en insistant sur un point particulier, l'importance de l'accès à internet. Les implications d'une suspension d'accès sont certainement plus lourdes que celles évoqués par les instigateurs de la loi HADOPI, conçue à l'origine comme essentiellement préventive et pédagogique. De tels rappels sont utiles et amènent à examiner avec plus de rigueur les garanties juridictionnelles encadrant ces mesures de suspension. Il est toutefois dommage que le Parlement européen ait abordé cette question complexe du piratage sur internet en se positionnant principalement du point de vue de l'internaute.
Alors que la recommandation prétendait défendre une « vision globale » (8) d'internet et de ses différents impératifs, elle n'accorde qu'une très faible importance au droit d'auteur.
II. Le droit d'auteur galvaudé Le droit d'auteur, et plus généralement la propriété intellectuelle, n'est que très rarement évoqué dans la recommandation commentée. Lorsqu'il ne brille pas par son absence, il est mentionné du bout des lèvres, avec réserve.
Le Parlement européen, ne semblant voir ici en la propriété littéraire et artistique qu'un droit économique désincarné (c'est-à-dire détaché de toute considération de la personnalité de l'auteur), manifeste à son égard une certaine méfiance. Il en oublie que le droit d'auteur est avant tout un droit de l'Homme.
A. L'oubli d'un droit fondamental La recommandation procède à plusieurs reprises à l'énoncé des droits de l'Homme concernés par internet.
La propriété intellectuelle aurait pu, ou plutôt aurait dû, figurer dans ces listes par l'intermédiaire du droit au respect des biens. Plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme ont en effet reconnu expressément la qualité de droit de l'Homme de la propriété intellectuelle au titre de l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention (9). La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne vise quant à elle spécialement la propriété intellectuelle dans son article 17 § 2. Toutefois, la recommandation passe ici sous silence cette qualité de droit fondamental du droit d'auteur. Ainsi, dans son second visa, la recommandation fait référence à « la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH) et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et en particulier leurs dispositions relatives à la protection des données à caractère personnel, la liberté d'expression, le respect de la vie privée et familiale ainsi que le droit à la liberté et la sécurité ». De même, dans son considérant O, la recommandation rappelle que « la série de droits fondamentaux qui sont affectés dans le monde d'internet comprend, entre autres, le respect de la vie privée (y compris le droit de supprimer définitivement une empreinte digitale personnelle), la protection des données, la liberté d'expression, de parole et d'association, la liberté de la presse, l'expression et la participation politiques, la non-discrimination et l'éducation » (10).
Ces listes ne sont pas limitatives, comme en attestent les termes « en particulier » et « entre autres ». Toutefois, cet oubli réitéré de toute référence au droit de propriété, et donc au droit d'auteur, n'apparaît en rien anodin ou fortuit.
Ce faisant, le Parlement européen affiche un certain parti pris. Sous couvert de défendre les droits de l'Homme, noble cause s'il en est, il fait le tri entre les droits fondamentaux méritant d'être mentionnés et ceux ne le méritant pas… La propriété intellectuelle n'est toutefois pas entièrement passée sous silence. Mais lorsqu'elle est évoquée, c'est avec méfiance.
Ceci s'explique par la vision que le Parlement européen semble se faire de ce droit : une vision purement économique et désincarnée.
B. La méfiance envers un droit économique désincarné La recommandation du 26 mars 2009 fait référence à plusieurs reprises à la propriété intellectuelle. Tout d'abord, dans son considérant T, elle rappelle que « l'ac-

tivité économique est importante pour la poursuite du développement dynamique d'internet, tandis qu'il convient d'assurer la sauvegarde de son efficacité économique au moyen d'une concurrence loyale et de la protection des droits de propriété intellectuelle, comme étant nécessaires, proportionnés et appropriés ». Outre le fait que la syntaxe adoptée in fine laisse perplexe, on doit remarquer que ce considérant réduit la propriété intellectuelle à sa simple dimension économique.
Le considérant U évoque quant à lui la nécessité de « maintenir l'équilibre entre la réutilisation des informations du secteur public qui ouvre des possibilités sans précédent d'expérimentations et d'échanges créatifs et culturels et la protection des droits de propriété intellectuelle ». Là encore, des questions se posent: que recouvrent ces « informations du secteur public » à la diffusion desquelles la propriété intellectuelle ferait obstacle ? S'il s'agit simplement de données brutes, factuelles, à caractère public ou à destination du public, il faut alors rappeler qu'elles ne font vraisemblablement pas l'objet d'une protection par le droit d'auteur ; aucune opposition n'existe donc sur ce plan. On peut aussi comprendre l'expression comme faisant référence au domaine public, mais cela aurait encore moins de sens puisque, par définition, les oeuvres du domaine public sont celles ne faisant plus l'objet de protection au titre des droits patrimoniaux d'auteur. À tout le moins doit-on donc reconnaître le caractère flou et ambigu de ce considérant U.
La propriété intellectuelle est enfin mentionnée dans la recommandation 1) dont le dernier passage est, là encore, particulièrement éloquent. En effet, le Parlement y appelle à « respecter la liberté d'expression et d'association des utilisateurs individuels et lutter contre les incitations aux cyber-violations des droits de propriété intellectuelle, y compris certaines restrictions d'accès excessives imposées par les titulaires de droits de propriété intellectuelle eux-mêmes ». S'il apparaît donc nécessaire de faire respecter les droits de propriété intellectuelle, une certaine réserve, voire méfiance est toutefois exprimée à l'encontre de leurs titulaires. Que doit-on entendre ici par « restrictions d'accès excessives »? Cela peutil s'appliquer à un auteur désirant ne pas procéder à certaines formes d'exploitation de son oeuvre? Une telle interprétation serait fâcheuse, voire dangereuse. Si cette formule vise plutôt les mesures techniques de protection abusives (s'appliquant par exemple à un support comportant des oeuvres du domaine public), on ne peut alors qu'approuver. À tout le moins doit-on dénoncer, une nouvelle fois, le caractère imprécis et ambigu de la recommandation.
À plusieurs titres, le Parlement européen montre donc, dans cette recommandation, une défiance à l'égard de la propriété intellectuelle. Il eut été plus satisfaisant d'affirmer l'égale valeur fondamentale des différents intérêts en présence (dont le droit d'auteur), et de rappeler que la conciliation entre ces divers droits de l'Homme s'effectue en application d'une appréciation de proportionnalité.
Il est bien fait référence à cette dernière condition en plusieurs points de la recommandation, mais souvent à contretemps, ou de manière maladroite (comme dans le considérant T précité). La personne même de l'auteur et ses intérêts spécifiques semblent ici totalement oubliés ; la propriété intellectuelle visée dans la recommandation semble surtout celle du producteur, de l'investisseur, titulaire initial de droits voisins au droit d'auteur et/ou titulaire à titre dérivé de droits patrimoniaux d'auteur. Mais il faut ici rappeler que le droit d'auteur est, ou plutôt devrait rester avant tout un droit de l'auteur. Oublier l'auteur revient à déshumaniser son droit et à rentrer effectivement dans une logique d'opposition: les droits de l'Homme contre le droit d'auteur. Recentrer le droit sur l'auteur conduit au contraire à privilégier une logique de conciliation entre intérêts fondamentaux complémentaires.
Mais le Parlement européen n'est pas ici le seul à blâmer d'avoir oublié l'auteur. La loi HADOPI est également condamnable. En effet, cette dernière accorde la possibilité de saisir la HADOPI aux sociétés de gestion collective, pour l'essentiel, mais nullement aux auteurs et artistes- interprètes (11). De nombreux membres de la doctrine ont contesté cette exclusion du créateur (12) qui, conjuguée à la fustigation de l'internaute, risquait d'accentuer le schisme existant entre l'artiste et le public et le défaut de compréhension et d'acceptation du droit d'auteur par ce dernier. Nous ne pouvons sur ce point que souscrire à leur analyse, et condamner de concert cette « évolution inquiétante qu'il faut endiguer en réintroduisant le créateur au centre du droit d'auteur et le public dans sa dimension positive de destinataire des contenus culturels » (13).
La loi HADOPI exacerbe des antagonismes – pourtant réductibles – entre les intérêts fondamentaux en présence en n'accordant pas suffisamment de garanties de bonne justice à l'internaute et en désincarnant le droit qu'il s'agit de faire respecter par des procédures excluant le créateur. Le Parlement européen, dans sa recommandation, ne fait guère mieux : il s'inscrit en effet dans cette même logique fausse de confrontation en glorifiant d'une part la liberté de l'internaute – de manière peut-être insuffisamment circonstanciée – et en négligeant d'autre part le droit fondamental de l'auteur.
1er juin 2009 - Légipresse N°262
3297 mots
> Commenter
Ajouter un commentaire
Titre du commentaire :
Message :
Envoyer