PENDANT LONGTEMPS, LA LIBERTÉ d'expression consacrée à l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (Convention EDH) profitait essentiellement à la presse et aux débats politiques, beaucoup moins à l'expression artistique ou à finalité commerciale (1). Deux espèces récentes les arrêts Vereinigung Bildender Kunstler (2) et Ulusoy (3) laissaient à penser que la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) accorde ...
Cour européenne des droits de l'homme, 16 février 2010, Akdas c/Turquie (requête no 41056/04)
Alexandre ZOLLINGER
Maître de conférences à l'IUT de Poitiers, Centre d'Étude et de Coopération ...
(2) V. notamment, relevant cet écart de solution, M. Levinet, in Les Grands arrêts de la Coureuropéenne des droits de l'Homme, Paris : PUF., 5e édition, 2009, comm. n° 57, p. 611 ;J.-P. Marguenaud, La Cour européenne des droits de l'Homme, Paris: Dalloz, 3e édition, 2005,pp. 82-84.
(3) CEDH, 25 janvier 2007, Vereinigung Bildender Kunstler c/Autriche, Auteurs & Media, 2007/4,note D. Lefranc.
(4) CEDH, 3 mai 2007, Ulusoy c/Turquie, Légipresse Octobre 2007, n° 245, p. 205, noteA. Zollinger.
(5) Article 10 de la Convention EDH:« 1 Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinionet la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse yavoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent articlen'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévisionà un régime d'autorisations ».« 2 L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumisà certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituentdes mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégritéterritoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime,à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui,pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité etl'impartialité du pouvoir judiciaire ».
(6) CEDH, 3 mai 2007, Sapan c/Turquie, n° 36075/03.
(7) CEDH, 24 mai 1988, Müller et autres c/Suisse, Série A vol. 133, p. 18, § 35, Les grandsarrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, op. cit., comm. n° 58, p. 625.
(12) À l'instar de celles qui peuvent être prononcées, en France, en application de l'article 14de la loi du 16 juillet 1949.
(13) Cette mention du temps qui passe remplit à notre sens une double fonction : laisser àentendre que l'immoralité de l'oeuvre doit être appréciée plus souplement, et appuyer la démonstrationselon laquelle l'oeuvre appartiendrait à un patrimoine culturel.
(16) Convention de Grenade du 3 octobre 1985 révisée par la Convention de La Valette du16 janvier 1992.
(17) V., au sujet notamment des propositions du « groupe de Fribourg », notre thèse, Droitd'auteur et droits de l'Homme, Paris : LGDJ, 2008, pp. 164 à 176.
(18) Pour des manifestations, en droit français, d'une telle excuse, v. notamment P. Mbongo,« Réflexions sur l'impunité de l'écrivain et de l'artiste », Légipresse Juillet/Août 2004, n° 213,p. 85.
(19) TGI Paris, 25 juin 2007, Association Espace Tutelles et M. Dolibois c/François-Marie Banieret Editions Gallimard, Légipresse, novembre 2007, n° 246-III, p. 235, note A. Fourlon.
(20) Cf. notamment http://www.larecherche.fr/content/recherche/article?id=18237
(21) Coluche, «Et puis y'a la télé», 1977 : « Mais on s'autorise à penser dans les milieux autorisés...Alors ça ! Le milieu autorisé c'est un truc, vous y êtes pas vous hein! Vous êtes mêmepas au bord; vous y êtes pas du tout ».
(22) L'idée même de protection du patrimoine implique une sélection (parfois subjective) desbiens en relevant, et un régime juridique spécifique. Nous ne remettons nullement en causeces principes. Est par contre dérangeant le fait de déterminer a posteriori, c'est-à-dire en coursde litige, si une oeuvre mérite telle ou telle protection, si elle est soumise ou non à telle ou telleobligation. L'appréciation de la valeur de l'oeuvre semble alors présenter moins de garanties(si ce n'est d'objectivité, du moins de sérieux) qu'en matière de protection du patrimoine, et,surtout, le principe de prévisibilité du droit apparaît quelque peu battu en brèche.
(23) Il est d'ailleurs surprenant de remarquer qu'au titre de « sa jurisprudence constante enmatière ( ) de liberté de la diffusion des oeuvres d'art et des limites imposables à celle-ci dansle but de protéger la morale » (§25), la Cour mentionne les arrêts Müller et Vereinigung BildenderKünstler. Ce dernier arrêt ne confronte en effet pas la liberté artistique à la moralité publique ;comme cela a été évoqué plus haut, l'ingérence se fondait sur le droit à l'image d'une personnereprésentée sur un tableau obscène. L'argument de la protection de la morale, soulevé à contretempspar l'État défendeur devant la CEDH, a été explicitement rejeté puisqu'on ne peut découvrira posteriori de nouvelles causes d'ingérence. Sur cette question, v. les références donnéessupra aux notes n° 2 et 3.
(30) CEDH, 20 septembre 1994, Otto-Preminger-Institut c/Autriche, RUDH 1994, p. 441, noteP. Wachsmann.
(31) Ceci est un euphémisme; v. notamment M. Oetheimer, L'harmonisation de la liberté d'expressionen Europe : contribution à l'étude de l'article 10 de la Convention européenne desdroits de l'Homme et de son application en Autriche et au Royaume-Uni, thèse, Paris: EditionsA. Pedone, 2001, p. 106, pour qui cet arrêt fait partie des « plus mauvais arrêts de la Coureuropéenne des droits de l'homme dans le domaine de la liberté d'expression ».