Les proches d'une personne peuvent s'opposer à la reproduction de son image après son décès, à la condition d'en éprouver un préjudice personnel établi. En l'espèce, la diff usion de photographies d'un pensionnaire d'une maison de retraite, le montrant avachi dans son fauteuil roulant, sans réaction, visiblement très diminué et sans conscience de ce qui se passe autour de lui, sur le site internet de l'établissement, est jugée attentatoire à la dignité humaine et constitutive d'un trouble manifestement illicite. La cour d'appel confi rme la condamnation de la maison de retraite au retrait des clichés litigieux et au paiement d'un euro de dommages-intérêts à la veuve du pensionnaire.
La société Ch'ti Paradis, exploitant une maison de retraite, publie sur son site un certain nombre de photographies de ses pensionnaires ; parmi celles-ci figurent plusieurs clichés de M. Calimé le montrant « avachi dans son fauteuil roulant, sans réaction, visiblement très diminué et sans conscience de ce qui se passe autour de lui ». La veuve assigne la maison de retraite en justice, se prévalant d'atteintes à sa propre vie privée, à la mémoire du défunt et à la dignité ...
Cour d'appel, Douai, 3e ch., 21 octobre 2010, S. Budka et SARL Ch'ti Paradis c/ Mme Moreau, veuve Calimé
Alexandre ZOLLINGER
Maître de conférences à l'IUT de Poitiers, Centre d'Étude et de Coopération ...
(2) V. par exemple, au sujet de l'accident du téléphérique du Pic de Bure, TgiNanterre, 1re ch., 26 févr. 2003 : Légipresse 2003, n° 200, I, p. 42.
(3) V., au sujet de la représentation du corps du préfet Erignac, Cass. civ. 1re, 20déc. 2000 : Bull. civ. 2000, I, n° 341 ; Jcp G 2001, II, 10488, concl. J. Sainte-Rose, noteJ. Ravanas ; Comm. com. électr. 2001, comm. 117, obs. A. Lepage ; Rtd civ. 2001,p. 329, obs. J. Hauser.
(4) V. concernant l'attentat de la station de Rer Saint-Michel, Cass. civ. 1re, 20 févr.2001 : Bull. civ. 2001, I, n° 25 ; Jcp G 2001, II, 10533, note J. Ravanas ; D. 2001,p. 1199, note J.-P. Gridel.
(5) V. à propos de l'affaire Halimi Cass. civ. 1re, 1er juillet 2010, Jcp G 2010, 942, noteG. Loiseau.
(6) En l'occurrence, M. Calimé était atteint d'une atrophie multi-systématisée(Ams), maladie dégénérative sévère ayant entraîné, entre 2008 et 2009, unedégradation rapide de l'état de santé de l'intéressé. Malgré les spécificités de lamaladie et le caractère visible des symptômes, la problématique nous sembleidentique quelle que soit la forme de déchéance du corps.
(7) L'articulation des divers fondements de l'action semble tout aussi incertainedans l'arrêt de la Cour de cassation rendu récemment au sujet de l'affaireHalimi (Cass. civ. 1re, 1er juillet 2010, op. cit.). La Cour de cassation se contente eneffet d'évoquer que la photographie litigieuse, « contraire à la dignité humaine,( ) constituait une atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort et dès lors àla vie privée des proches, justifiant ainsi que soit apportée une telle restriction àla liberté d'expression et d'information ». Fondements et effets semblent alorsappréhendés globalement, sans qu'il apparaisse nécessaire de dissocier lesconséquences de chaque droit invoqué et d'expliciter les relations existant entredignité humaine, atteinte à la mémoire des morts et respect de la vie privée.
(8) V. tout particulièrement E. Dreyer, « Dignité de la personne », J.-Cl. Communication,Fasc. 3740, notamment au § 51.
(9) Ibidem, § 61.
(10) V. notamment, au sujet de la poupée vaudou attentatoire à la dignitéhumaine de Nicolas Sarkozy, CA Paris, 28 nov. 2008 : JurisData n° 2008-003581 ;Jcp G 2009, II, 10026, note E. Derieux ; Rev. Lamy dr. immat. 2009/45, n° 1485, noteT. Hassler ; Comm. com. électr. 2009, comm. 17, note A. Lepage ; D. 2009, p. 610,note B. Edelman ; Jcp E 2009, 1918, § 7, chron. A. Zollinger.
(11) Si l'on retient l'acception retenue par le Conseil d'État dans son fameuxarrêt Commune de Morsang-sur-Orge : CE Ass., 27 octobre 1995, Commune deMorsang-sur-Orge, Gaja, n° 100. Signalons toutefois que cette notion de dignitéhumaine comme composante de l'ordre public était ab initio appelée à nes'appliquer qu'exceptionnellement, et que la jurisprudence administrative n'ya effectivement eu recours que de manière rarissime. Le principe affirmé en1995 n'a-t-il dès lors pas perdu de sa force ? L'arrêt Commune de Morsang-sur-Orge n'a-t-il pas plutôt été dicté par des circonstances d'espèce particulières ?V. notamment sur le sujet M. Canedo-Paris, « La dignité humaine en tant quecomposante de l'ordre public : l'inattendu retour en droit administratif françaisd'un concept controversé », Rfda 2008, p. 979.
(12) E. Dreyer, op. cit., § 19.
(13) Tgi Nanterre, 1re ch., 26 févr. 2003, op. cit. ; v. également, soulignant que « lapublication de la photographie litigieuse (d'Ilan Halimi), qui dénotait une recherchede sensationnel, n'était nullement justifiée par les nécessités de l'information », Cass.civ. 1re, 1er juillet 2010, op. cit.
(14) Sur cette question, v. notamment E. Dreyer, op. cit., § 8.
(16) V. notamment, relevant l'écart des solutions selon qu'il s'agisse de protégerla liberté d'expression en matière commerciale, artistique ou de presse, M. Levinet,in Les Grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, Paris : Puf,5e édition, 2009, comm. n° 57, p. 611 ; J.-P. Marguenaud, La Cour européenne desdroits de l'Homme, Paris : Dalloz, 3e édition, 2005, pp. 82-84.
(17) V. notamment, manifestant une protection croissante de la liberté artistiquepar la Cour de Strasbourg, Cedh, 16 février 2010, Akdas c/ Turquie, Légipresse2010, n° 271, III, p. 78, note A. Zollinger.
(18) On peut ainsi penser que les représentations jugées non nécessaires enmatière de presse comme dans l'affaire sus-évoquée de l'accident du Pic deBure seront tout aussi invalidées si elles poursuivent un but artistique ou, afortiori, commercial. La finalité de l'information du public est en effet celle quifait l'objet de la plus grande considération de la part de la Cedh. Ne s'approcherait-on pas alors, à travers ces cas de figures, de situations d'atteintes objectiveset absolues au principe de dignité humaine, dans la mesure où aucune considérationne semble à même de les justifier ?
(19) Cass. civ. 1re, 22 octobre 2009, Comm. com. électr., janvier 2010, comm. n° 7,note A. Lepage ; Droit de la famille n° 6, juin 2010, comm. 106, comm. Ch. Assimopoulos.
(20) V. notamment Cass. civ. 1re, 14 décembre 1999, D. 2000, p. 372, note B. Beignier; Jcp G 2000, II, 10241, concl. C. Petit ; Rtd civ. 2000, p. 291, obs. J. Hauder ;Légipresse 2000, n° 169, III, p. 27, note E. Derieux. V. également, généralisant lasolution, Cass. civ. 1re, 15 février 2005, Rtd civ. 2005, p. 363, obs. J. Hauser ; Rjpf2005-6/14, note E. Putman.
(21) Pour une critique sur cette question de l'indifférence de la volonté exprimée,v. notamment E. Dreyer, « La dignité opposée à la personne », D. 2008,p. 2730.
(22) Cf. supra note n° 10.
(23) V. notamment, affirmant de manière explicite que l'application de l'article1382 n'exige pas l'existence d'une intention de nuire, Cass. civ. 2e, 2 avril 1997,Bull. civ. II, n° 113 ; D. 1997, p. 411, note B. Edelman.
(24) Depuis qu'il est établi que l'article 1382 ne peut être invoqué pour desfaits relevant de la loi de 1881 (v. notamment Cass. civ. 1re, 27 septembre 2005,D. 2005, p. 485, note T. Hassler ; Légipresse avril 2006, n° 230, III, p. 57, note F.Watrin ; Rtd civ. 2006, p. 126, obs. P. Jourdain), le juge a en effet le pouvoir derequalifier l'action pour la soumettre aux règles spéciales en matière de presse :v. notamment sur le sujet N. Mallet-Poujol, « De la cohabitation entre la loidu 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et l'article 1382 du Code civil »,Légipresse septembre 2006, n° 234, II, p. 93.
(25) Caa Douai, 12 nov. 2009, Jcp Administrations et Collectivités territoriales 2010,2112, comm. M.-E. Baudoin et C.-A. Dubreuil.
(26) Si l'on estime postulat discuté que le consentement exprimé par la personneest indifférent en matière d'atteinte à la dignité humaine, le droit posépar l'article 16 apparaît alors comme un droit de nature mixte, sa dimensionde pur droit objectif pouvant en effet prévaloir sur la volonté du sujet de droit.Pour une démonstration de la nécessaire qualité de droit subjectif du droità la dignité humaine, et du caractère non déterminant de l'impossibilité derenoncer audit droit, v. notamment E. Dreyer, « Dignité de la personne », op. cit.,§ 70-74.
(27) E. Dreyer, « Dignité de la personne », op. cit., § 59.
(28) Cass. civ. 1re, 20 déc. 2000, op. cit.
(29) V., pour un constat similaire porté au sujet de l'article 16-1-1 du Code civilà l'occasion de l'affaire de l'exposition Our Body, G. Loiseau, « Des cadavres maisdes hommes », Jcp G 2009, 12 : « On conviendra que l'organisation de la protectiondu corps humain donne lieu, du vivant de la personne, à d'importantes délégationsà la volonté de celle-ci. Mais il n'est pas discutable que, à sa mort, cette protectionse retrouve entièrement placée sous l'égide du droit objectif : c'est une concentrationde directives et d'interdits qui s'imposent à tous sans passer par le canal de droitssubjectifs, lesquels n'auraient d'ailleurs plus de titulaire pour les exercer. »