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Tribune


01/05/2009


Le temps de parole présidentiel Une querelle de Ramus?



 

1. Le Conseil d'État a jugé le 8 avril 2009 que « (…) le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne pouvait, sans méconnaître les normes de valeur constitutionnelle qui s'imposent à lui et la mission que lui a confiée le législateur, exclure toute forme de prise en compte (des interventions du président de la République) dans l'appréciation du respect du pluralisme politique par les médias audiovisuels » (1). On voudra montrer dans quelle mesure les non-dits et les présupposés de cette affaire la font ressembler à la querelle qui partagea les grammairiens en des temps immémoriaux sur la manière de prononcer la lettre Q: comme un C ou comme un K? Paralogismes 2. Existe-t-il un rapport d'engendrement entre les prescriptions constitutionnelles et législatives visées par le Conseil d'État et la conclusion de la Haute juridiction administrative ? On répondra par la négative. Existe-t-il un rapport d'engendrement entre les prescriptions constitutionnelles et législatives d'une part et la délibération contestée du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'autre part? On répondra par la négative. Existe-t-il un rapport d'engendrement entre les prescriptions constitutionnelles et législatives d'une part et le principe du décompte du temps de parole politique à la radio et à la télévision d'autre part? On répondra encore par la négative.
3. Soit d'abord les énoncés constitutionnels invoqués par le Conseil d'État: l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen; l'objectif de valeur constitutionnelle du « pluralisme des courants de pensée et d'opinion »; les articles 4 et 34 de la Constitution dans leur rédaction issue de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Il est clair qu'aucun de ces énoncés ne prescrit un décompte du temps de parole des groupements et autres acteurs politiques dans les services de communication audiovisuelle relevant de la compétence du CSA. Cette observation est encore plus vraie de la référence à la liberté, au pluralisme et à l'indépendance des médias introduite à l'article 34 de la Constitution en 2008. Le “pouvoir constituant” entendait-il amender ainsi la “jurisprudence” du CSA? Rien n'est moins sûr, car dans la discussion parlementaire de 2008 relative à la modification de l'article 34 de la Constitution, certains parlementaires étaient déterminés plutôt par la question du temps de parole, d'autres par la question des concentrations des entreprises de presse et de communication audiovisuelle, etc. À quoi il faut ajouter que le gouvernement pour sa part trouvait proprement inutile la modification envisagée de l'article 34 de la Constitution puisque, soutenait-il avec raison, les principes de liberté, de pluralisme et d'indépendance des médias étaient déjà « constitutionnalisés » à travers certaines «grandes décisions» du Conseil constitutionnel.
Mais rien n'y a fait : une majorité de parlementaires a voulu une constitutionnalisation textuelle de la liberté, du pluralisme et de l'indépendance des médias. Mais ces parlementaires ne se sont pas avisés de ce que cette adjonction s'est faite au titre des dispositions constitutionnelles relatives au “domaine de la loi”, c'est-à-dire à un titre de compétence législative.
Or la compétence législative ne dit rien des obligations substantielles de la loi dans la mise en oeuvre des prescriptions constitutionnelles.
La conclusion qui s'impose est donc que le texte de l'article 34 de la Constitution modifié ne dit absolument rien quant aux conditions de mise en oeuvre du pluralisme politique à la radio et à la télévision et encore moins quant au décompte du temps de parole.
4. Il faut ainsi faire l'hypothèse que c'est plutôt le législateur qui a peut-être défini ce décompte, en tant que garantie fondamentale des prescriptions constitutionnelles précitées.
Mais il n'en est rien. Ni l'article 1er, ni l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 ne dit strictement rien de tel. Quant à l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986, il prévoit certes un décompte du temps de parole, mais sans en inférer d'autre obligation pour le CSA que vis-à-vis des présidents des assemblées parlementaires (obligation d'information). Tout le système en débat du temps de parole politique à la radio et à la télévision repose donc sur un paralogisme juridicoadministratif puisque ce système est une construction purement administrative du CSA légitimée seulement de manière rétrospective par des dispositions constitutionnelles et législatives.
Apories 5. De fait, le principe du décompte du temps de parole des acteurs et groupements politiques à la radio et à la télévision et l'obligation subséquente pour les radios et les télévisions d'assurer une certaine économie du temps de parole entre les acteurs et groupements politiques sont

antérieurs au CSA et même à certains énoncés constitutionnels et législatifs auxquels il est aujourd'hui adossé : la règle des “trois tiers” (gouvernement, majorité, opposition) a été instituée en 1969 et renouvelée en 2000 sous le nom de “principe de référence”, une redéfinition qui prend en compte à la fois des éléments quantitatifs et qualitatifs et qui aménage le droit d'accès équitable aux programmes audiovisuels des partis non-représentés au Parlement. Avec, en toute hypothèse, une non-imputation de la parole présidentielle.
6. Ce qu'il faut bien voir c'est que le débat que vient de trancher le Conseil d'État est lié au fait que la parole “politique” se voit accorder en France, depuis pratiquement les débuts de la radio et de la télévision, une originalité statutaire au sein de la communication sociale.
Cette différenciation statutaire se déploie d'ailleurs dans d'autres registres : à travers les règles limitatives de la publicité politique à la radio et à la télévision (2) ou en matière de presse écrite (les règles limitatives des concentrations sont applicables par référence, notamment, aux « quotidiens d'information politique et générale »).
Or cette différenciation statutaire de la parole politique et de l'information politique parmi les différents types de communication sociale repose sur des présupposés pour le moins discutables: celui du caractère objectif de la distinction entre une parole politique et une parole non-politique (3); celui selon lequel la parole politique serait le monopole des professionnels de la politique (politiques, journalistes) ; celui selon lequel toute parole politique est nécessairement partisane ou, tout au moins, objectivement rattachable à la “droite” ou à la “gauche” ; celui selon lequel les opinions politiques professées à la radio et à la télévision par les professionnels de la politique concourent seules – ou beaucoup plus que toute autre source d'information – à la formation des opinions politiques des citoyens-électeurs.
C'est à cet ensemble de présupposés (4) corollaires d'une conception théologique de la politique (5), qu'il faut rapporter aussi bien le principe même du décompte du temps de parole politique, que la distinction faite par le CSA entre la parole du “gouvernement”, de la “majorité” et de “l'opposition”, et même la distinction suggérée au CSA par le Conseil d'État entre la parole “présidentielle” du président et celles des « interventions du président de la République qui, en fonction de leur contenu et de leur contexte, relèvent du débat politique national » (autrement dit les interventions partisanes du président) et doivent donc être “imputées”. C'est cet ensemble de présupposés qui, somme toute, donne un caractère quelque peu instrumental à l'exégèse – sur laquelle le Conseil d'État s'est appuyé pour fonder sa décision – du statut du président de la République sous la Ve République et de la “pratique institutionnelle” (6).
7. On a lu ici ou là que le système du décompte du temps de parole était en quelque sorte une survivance du monopole initial de l'État sur la télévision. Si cela était vrai, autrement dit si ce système n'était pas plutôt une résonance de cette conception théologique de la politique caractéristique de la culture politique française, le CSA ne devrait pas avoir de difficultés à tirer comme conséquence de l'arrêt du Conseil d'État du 8 avril 2009, la suppression non pas du décompte du temps de parole (il est prévu par la loi), mais de son aménagement normatif sous quelque “principe de référence” ou sous quelque forme de règle des “trois tiers”. Le Conseil d'État ne dit pas, en effet, que le “principe de référence” est un impératif légal catégorique mais que si c'est lui que retient le CSA, alors ce dernier doit-il y définir autrement le statut de la parole présidentielle en imputant une partie au moins de cette parole.
Le CSA pourrait donc décider de mettre fin à son “principe de référence” et s'en remettre à l'intelligence politique des chaînes de télévision et du téléspectateur (système de plaintes). Il suffirait pour lui de s'approprier ce présupposé que le téléspectateur est un acteur rationnel qui, par sa connaissance des conditions d'exploitation économique et éditoriale de chaque média, peut exercer librement son jugement sur l'information qu'il reçoit et choisir l'offre qui lui convient ou/et qui respecte le pluralisme.
8. L'on fait ici l'hypothèse que le CSA voudra plutôt trouver après les élections européennes (7) un nouveau meccano sophistiqué (8) et aussi peu consensuel que celui en vigueur jusqu'à la décision du Conseil d'État. Ce meccano ne s'émancipera donc pas du présupposé français fondamental selon lequel le téléspectateur est un sujet passif ou apathique qu'il faut en quelque sorte “obliger” à prêter attention à toutes les opinions politiques; comme si l'individu électeur pouvait se voir imposer une telle disponibilité psycho-intellectuelle et comme si toutes les opinions politiques étaient également représentables. La question est de savoir si un tel paternalisme – qui a partie liée avec le fétichisme animiste auquel se prête particulièrement la télévision en France (avec cette idée courante que “c'est la télévision qui fait l'élection”) – est adapté à un contexte doublement caractérisé par: la démultiplication de l'offre audiovisuelle et le recul tendanciel et relatif des parts de marché et/ou des parts d'audience des opérateurs historiques.
1er mai 2009 - Légipresse N°261
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