La question prioritaire de constitutionnalité vient de passer sa première année d'application. Or, le contentieux des médias en général et celui de la presse en particulier sont susceptibles d'en être des objets importants. Qu'en est-il à l'heure du premier anniversaire de la Qpc ?
La procédure créée en 2008 (1) et ultimement qualifiée de Question prioritaire de constitutionnalité (Qpc) est entrée en vigueur le 1er mars 2010 (2). On se rappellera que l'idée d'une telle réforme était débattue en France depuis les années 1990 puisque par deux fois, en 1990 et en 1993, deux projets de loi constitutionnelle ayant notamment cet objet ont été discutés au Parlement. L'échec de ces tentatives initiales suggère que l'introduction de cette procédure en France a ...
Pascal MBONGO
Professeur des facultés de droit à l'Université de Poitiers Président de ...
1er mai 2011 - Légipresse N°283
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(2) Article 61-1 de la Constitution dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelledu 23 juillet 2008 portant modernisation des institutions de la Ve République.
(3) Pour faire suite à la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution (les dispositions ensont consolidées dans l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portantloi organique sur le Conseil constitutionnel ou codifiées au chapitre Ier bis dutitre VII du livre VII du Code de justice administrative, au titre VI du livre IV duCode de l'organisation judiciaire, au titre Ier bis du livre IV du Code de procédurepénale) et au décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loiorganique. Voir également le décret n° 2010-1216 du 15 octobre 2010 relatif àla procédure d'examen des questions prioritaires de constitutionnalité devantla Cour de cassation.
(4) Voir infra, III.
(5) On n'oublie certes pas que certaines de ces polices (injures, diffamations,offenses, outrages, etc.) s'appliquent y compris à des discours tenus dans desespaces non médiatiques.
(6) CC n° 85-196 DC du 8 août 1985, Loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie,Rec. p. 170 ; CC n° 2005-512 DC, 21 avril 2005, Rec. p. 72 ; CC n° 2010-605 DC,12 mai 2010, Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteurdes jeux d'argent et de hasard en ligne (JO 13 mai 2010, p. 8897). Voir égalementCE, Ass., 5 mars 1999, Rouquette et autres, Rec. p. 37.
(7) Loi du 19 mars 1889, art. 1 al. 2 et art. 2.
(8) Article 34 al. 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation desÉglises et de l'État.
(9) Article 4-VI de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfancedélinquante.
(10) Cour de cassation, arrêts Qpc n° 12009, 12019, 12020, 12021, 12023 du 19 mai2010, arrêt de la Chambre criminelle du 11 juin 2010 n° 09-87884.
(11) Décision n° 2010-39 Qpc du 6 octobre 2010, Mmes Isabelle D. et Isabelle B.(Adoption au sein d'un couple non marié).
(13) La Cour de cassation est supposée préciser sa position puisque le tribunalcorrectionnel de Nanterre, celui de Paris, ainsi que la cour d'appel de Versaillesont décidé de la saisir de Qpc sur les dispositions des articles 7, 8 et 9 du Codede procédure pénale telles qu'interprétées par elle en matière de point de départdu délai de prescription de l'abus de confiance et de l'abus de bien socialet s'agissant des effets d'un acte interruptif de prescription par rapport auxinfractions connexes (saisines des 14 et 15 mars 2011 et du 14 avril 2011).
(14) CC n° 2009-595 DC, 3 décembre 2009, Loi organique relative à l'applicationde l'article 61-1 de la Constitution, Rec. p. 206.
(15) Étant rappelé qu'en matière de Qpc, les avocats aux Conseils ont le monopolede la représentation et de l'assistance des parties devant le Conseil d'État,la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel (voir dans ce sens : Cass. crim.29 mars 2011, n° 11-90.007).
(17) On y trouve : la sauvegarde de l'ordre public ; le pluralisme des courantsd'expression socioculturels ; la recherche et la condamnation des auteurs desinfractions ; la possibilité pour toute personne de disposer d'un logementdécent ; l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi ; la préservation de la libertéd'autrui ; le droit à un recours juridictionnel effectif ; la lutte contre la fraudefiscale ; l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et auxfonctions électives ; l'équilibre financier de la sécurité sociale ; le bon usage desdeniers publics ; la bonne administration de la justice.
(18) Décision n° 2010-4/17 Qpc du 22 juillet 2010, M. Alain C. et autre (Indemnitétemporaire de retraite outre-mer) : à propos de l'objectif de valeur constitutionnelled'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ; Décision n° 2010-77 Qpc du10 décembre 2010, Mme Barta Z. (Comparution sur reconnaissance préalablede culpabilité) : à propos de l'objectif de valeur constitutionnelle de bonneadministration de la justice.
(19) Marc Guillaume, « Qpc : textes applicables et premières décisions », Lesnouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 29, 2010, p. 29.
(20) Décision n° 2010-3 Qpc, Union des familles en Europe (Associations familiales).
(21) Sont entre parenthèses les dispositions constitutionnelles qui énoncent ledroit ou la liberté en question, ou auxquelles le Conseil constitutionnel le (la)rattache.
(22) Étant précisé que le Conseil constitutionnel peut très bien accéder à ladeuxième demande sans en inférer l'inconstitutionnalité de la dispositionlégislative litigieuse.
(23) L'énonciation de cette liberté par l'article 1er de la loi du 29 juillet 1881 surla liberté de la presse remplit les « critères de dégagement » des principes fondamentauxreconnus par les lois de la République : l'énoncé est dans un actelégislatif (ce n'est en effet ni une loi ni même un article de loi qui devient Pfrlr) ;cet acte législatif a été édicté par un législateur républicain (la définition enest très large) ; ce législateur républicain a statué avant la Constitution de 1946(puisque c'est son préambule qui consacre l'existence de Pfrlr) ; cet énoncé aun caractère fondamental ; cet énoncé n'a jamais été déjugé par un législateurrépublicain.
(24) Arrêt n° 12008 du 7 mai 2010 (09-80.774). Sur les raisons de fond etd'opportunité pour lesquelles, toute considération de préférence personnellemise à part, l'incrimination du négationnisme n'aurait sans doute pas été jugéecontraire à la Constitution si le Conseil constitutionnel avait été saisi, nous nouspermettons de renvoyer à notre ouvrage La régulation des discours en France. Laliberté d'expression, entre nouvelles questions et nouveaux débats, Mare et Martin,2011, (sp. le chap. III : « Le juge judiciaire et les vérités historiques notoires », p.109 et suiv.).
(25) Mutatis Mutandis, tel qu'il a été présenté le 29 mars 2011, le programme législatifdu parti socialiste en matière de médias est susceptible de produire plusde ruptures immédiates (la question n'étant pas ici de savoir si ces transformationsseraient bonnes ou non, d'un point de vue substantiel ou légistique) encas d'alternance que la Qpc. Le « Projet Médias » du parti socialiste prévoit notamment: la substitution au Csa d'un « Conseil du pluralisme » ; la révision de laloi de 2010 sur le secret des sources des journalistes ; la « reconnaissance légalede l'équipe rédactionnelle dans chaque entreprise de presse » et l'exigence « d'unecharte éditoriale et déontologique précise » pour chaque entreprise de presse ;l'abrogation des règles relatives à la nomination par le président de la Républiquedes dirigeants des entreprises publiques de communication audiovisuelle ;la définition de nouvelles règles anti-concentrations ; la définition de nouvellesrègles d'acquisition ou de lancement de chaînes de radio ou de télévision (ainsique pour les renouvellements de licence) ; énonçant les garanties d'indépendanceéditoriale et les engagements souscrits à l'égard des lecteurs par tousceux qui concourent à la publication.
(26) CC n° 2010-45 Qpc du 6 octobre 2010 (M. Mathieu P.), D., 2010, n° 35,p. 2285, note C. Manara ; Gazette du Palais, 2010, n° 351-352, p. 35-38, noteFrançois Gilbert ; Communication commerce électronique, 2010, n° 12, noteChristophe Caron.
(27) Quant à la question de savoir si les incompétences négatives du législateurétaient susceptibles d'être invoquées dans le cadre de la Qpc, le Conseilconstitutionnel avait déjà précisé que cela pouvait être le cas si cette méconnaissancepar le législateur de sa propre compétence « affecte un droit ouune liberté que la Constitution garantit » (CC n° 2010-5 Qpc du 18 juin 2010, SncKimberly-Clark).
(28) Celle qui a consisté pour lui à se décharger au profit des autorités administrativesde la définition précise et complète du régime d'une activité qui,pour intéresser les libertés, est néanmoins assortie à des données techniquescomplexes et évolutives.
(29) Voir les décisions du 19 mars 2010 (n° 12001) : sur la limitation par l'article59 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse à trois jours de la durée du délainon franc de pourvoi en cassation (Irrecevabilité) ; du 31 mai 2010 (n° 12029) :à propos de la présomption de mauvaise foi en matière de diffamation quirésulte de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 tel qu'interprété par la Cour decassation ; du 16 juillet 2010 (n° 12184) : sur la différence de traitement (amendeplus élevée) entre la diffamation publique envers un fonctionnaire public et ladiffamation publique envers un particulier (non-lieu à renvoi) ; du 28 septembre2010 (n° 5356) : l'article 35 ter I de la loi du 29 juillet 1881, créé par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence etles droits des victimes (non-lieu à renvoi) ; du 7 décembre 2010 (n° 7080) : sur lalimitation par l'article 59 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse à trois jours de ladurée du délai non franc de pourvoi en cassation (non-lieu à renvoi).
(30) Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, Recueil, p. 107.
(31) Sur cette question, voir supra les développements terminaux de notrepartie I.
(32) Cour d'appel de Toulouse, 1re chambre section 1, 14 mars 2011.
(33) Cass. Crim., n° 1707 du 15 mars 2011 (renvoi).
(34) Pour tout dire, les travaux parlementaires ne laissent pas voir que lelégislateur était déterminé par une différence de perception des conséquencespour la victime d'une atteinte à la présomption d'innocence et d'une atteinte àl'intimité de la vie privée.
(35) Ce droit peut être subsumé sous l'objectif de valeur constitutionnelle de« préservation de la liberté d'autrui ».
(36) C'est cette doctrine de la conciliation entre droits et libertés constitutionnelsqui donne à penser que ce ne sont pas les incriminations de la loi de1881 qui peuvent souffrir de la Qpc mais plutôt certaines règles (de fond ou deprocédure) attachées à ces incriminations.
(37) Voir à ce propos la surabondance de commentaires et les surinterprétationsauxquelles s'est prêtée la décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009 (Loifavorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, Rec., p. 107).
(38) Pour une analyse des ressorts intellectuels de l'hostilité que ces objetspeuvent rencontrer dans une partie du champ juridique français, on nouspardonnera de renvoyer à notre étude « Jean Carbonnier et le droit public », LaRevue administrative, mai-juin 2011.
(39) Ce refus est d'autant mieux revendiqué par le Conseil constitutionnel qu'illui permet de se mettre à l'abri de spéculations sur d'éventuels revirements dejurisprudence et que lui seul s'autorise à décoder ses propres ellipses à traversle commentaire de son Secrétaire général aux Cahiers du Conseil constitutionnel.Sur cette question, Voir Guy Carcassonne, « L'intelligibilité des décisionsdu Conseil constitutionnel », in La qualité des décisions de justice (dir. PascalMbongo), éd. du Conseil de l'Europe, 2008, p. 145.