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Tribune


01/09/2006


LOI DADVSI : éclipse et scintillements au Conseil constitutionnel



 

« Les batailles se perdent dans la précipitation » (1). Ainsi se résume l'histoire de la loi sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (DADVSI).
L'élaboration précipitée de ce texte aura conduit à une réforme inattendue, quelques jours après son adoption finale en commission mixte paritaire. Saisis par plus de soixante députés d'un recours dirigé contre la loi, les sages en ont extirpé, par leur décision du 27 juillet 2006, les propositions clés dont s'était félicité le gouvernement : l'interopérabilité et la contraventionnalisation des téléchargements sur les réseaux peer-to-peer.
La loi remaniée, finalement promulguée le 1er août 2006, se voit ainsi amputée de ses dispositions phares, celles-là même qui devaient répondre à deux problématiques centrales.
Il s'agissait tout à la fois d'assurer le succès des plateformes de téléchargement payant, entaché par les problèmes de compatibilité entre fichiers numériques et dispositifs de lecture, et de réguler le phénomène d'échange gratuit d'oeuvres sur internet. Cette censure met en lumière le manque de préparation dont le projet de loi DADVSI a fait l'objet avant le commencement des débats ainsi que les conséquences de l'“état d'urgence” dans lequel le gouvernement a souhaité qu'il soit discuté.
Il s'agit donc désormais de deviner le nouveau visage que prend la loi DADVSI. Or, si le filtre constitutionnel semble avoir poursuivi l'oeuvre du législateur en satisfaisant aux attentes d'une partie de l'industrie, il est également parvenu, de manière subtile et détournée, à annihiler les effets pervers de dispositions potentiellement liberticides.
Une propriété renforcée, des intérêts industriels satisfaits Répondant favorablement à la logique propriétaire des grandes industries informatiques et culturelles, la décision du Conseil constitutionnel semble aggraver les déséquilibres initialement instaurés par le législateur. C'est, du moins, la conclusion que l'on peut tirer à travers deux exemples : le maintien du “test en trois étapes” et la mutilation de l'interopérabilité.
Le test en trois étapes a été intégré à la loi. Il apparaît désormais aux articles L. 122-5, L. 211-3 et L. 342-3 du Code de la propriété intellectuelle consacrés aux exceptions. Ce test, issu de conventions internationales, subordonne le bénéfice de toute exception au droit d'auteur et aux droits voisins à trois conditions : l'exception doit être limitée à un cas spécial, elle ne doit pas porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des ayants droit (2).
Autant dire que l'application de ce test, dont les différents critères conduisent les utilisateurs d'oeuvres sur les sentiers d'une redoutable “extrospection” destinée à déterminer la légitimité de l'exception convoitée, n'est pas des plus aisées. Les requérants soutenaient donc que le législateur avait méconnu le principe de légalité des délits et des peines en imposant à toute personne qui se prévaut d'une exception d'établir, sauf à encourir les sanctions pénales réprimant la contrefaçon, que cet usage satisfait aux conditions peu précises du “test en trois étapes” et dont la preuve du respect est impossible à rapporter pour un particulier. Le Conseil constitutionnel a toutefois battu en retraite. Il ne lui appartient pas, a-t-il estimé, de se prononcer sur des dispositions qui « se bornent à tirer les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises » de la directive du 22 mai 2001. Le Conseil avait fait usage de cette formule dans sa décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 portant sur la Loi pour la confiance dans l'économie numérique transposant la directive “Commerce électronique” du 18 juin 2000 (3).
Son silence de censeur avait toutefois été assorti d'une réserve d'interprétation destinée à répondre aux inquiétudes légitimes des requérants. Il est regrettable que cet exercice n'ait pas été pratiqué pour la loi DADVSI, alors même que le triple test crée une “pénalisation indirecte” pour tout bénéficiaire d'exceptions, pourtant inscrites dans la loi, qui ne l'aurait pas respecté.
L'instauration de critères tortueux conditionnant la mise en oeuvre d'une responsabilité pénale pour contrefaçon – applicable à tout justiciable français – est inacceptable, au regard de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Le refus du Conseil constitutionnel de censurer la transposition littérale du test, de l'interpréter ou d'en réduire la portée devant les juridictions est d'autant plus étonnant qu'il est difficile de s'accorder sur le caractère « inconditionnel

et précis » des dispositions de la directive dont il s'agit.
D'une part, la nécessité de transposer le test tel quel en droit interne n'est pas évidente (4). L'Allemagne, la Belgique, l'Irlande et la Grande Bretagne s'en sont d'ailleurs abstenus.
D'autre part, les dispositions de ce test sont, comme le démontre la doctrine, tout sauf “précises” (5).
Le silence du Conseil a donc été fatal pour les exceptions, tout comme sa loquacité l'a été pour l'interopérabilité.
Plusieurs garanties avaient été données à ce principe fondamental qui conditionne la compatibilité entre les différents formats de fichiers numériques proposés dans le commerce et les dispositifs de lecture (logiciels d'écoute, baladeurs numériques…). Or, elles ont été supprimées ou estropiées. En effet, toutes les dispositions qui faisaient échec à l'incrimination de contournement des mesures techniques de protection d'une oeuvre, pour les actes réalisés à des fins d'interopérabilité ou de sécurité informatique (art. 22 et 23 al. 8 et 16), ont été effacées par les sages. Ces derniers reprochaient au législateur l'absence de précisions sur le terme « interopérabilité » qui portait, selon eux, atteinte au principe de légalité des délits et des peines. Cette décision eût échappé à la critique s'il n'existait aucune définition de l'interopérabilité en droit positif. Or, il en existe une au sein de la directive 91/250/CEE du 14 mai 1991 à laquelle il était nécessaire de se reporter.
Le Conseil a, en outre, émis une importante réserve d'interprétation sur l'article 14 consacré à la mission de l'Autorité de régulation des mesures techniques sur l'interopérabilité. Par cette réserve, qui s'appuie sur l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen relatif à la protection de la propriété privée, le Conseil ajoute une condition à la communication des informations nécessaires à l'interopérabilité : son indemnisation. Cet obstacle financier vide ainsi de sa substance l'une des rares dispositions à avoir été adoptée dans l'intérêt du public.
Une mansuétude inattendue à l'égard du public Semblant ne plus pouvoir s'arrêter, le Conseil constitutionnel a également rejeté la demande des requérants portant sur la censure de l'amendement Vivendi (art. 21) qui incrimine, notamment, l'édition et la distribution de logiciels « manifestement destinés » à l'échange d'oeuvres contrefaites. Qui pis est, les sages se sont appuyés sur cette requête pour censurer l'exception qui permettait aux logiciels de travail “collaboratif” d'échapper à cette infraction (art. 21 al. 4).
En réalité, de cette exception le Conseil a censuré la lettre, mais non l'esprit. Il énonce en effet que l'article 21 al. 4 n'est « ni utile à la délimitation du champ de l'infraction définie par les trois premiers alinéas de cet article, ni exhaustif quant aux agissements qu'ils excluent nécessairement ». Ce faisant, il souligne l'évidence selon laquelle les logiciels destinés au travail collaboratif sortent du cadre de l'infraction. Et, à en croire les sages, ce ne sont pas les seuls… Cette censure permet de mieux comprendre la portée que le Conseil constitutionnel confère à l'amendement Vivendi qu'il a refusé de censurer. L'article 21 n'a vocation à s'appliquer qu'aux logiciels destinés dès l'origine à un usage illicite. Il ne peut concerner les logiciels destinés à d'autres utilisations, quand bien même ces derniers seraient, par la suite, utilisés à des fins illicites. Il devient clair que ce n'est pas l'usage qui déterminera la destination du logiciel mais la volonté initiale du concepteur ou du distributeur.
L'article 21 ne produira ainsi guère plus d'effets que les dispositions du droit pénal commun sur la complicité.
Mais c'est surtout dans le considérant 51 qu'il faut voir un retournement de situation inattendu. Les requérants reprochaient au législateur de n'avoir pas précisé, dans son article 16, « les critères et les modalités de contrôle et de preuve selon lesquels il pourrait être établi qu'un acte de copie réalisé dans l'espace privé ne se fonde pas sur un accès licite à l'oeuvre concernée ", ce qui serait incompatible avec les principes du respect de la vie privée et des droits de la défense. Ce à quoi le Conseil répond que les dispositions subordonnant le bénéfice effectif des exceptions à un “accès licite” « ne contraindront pas les bénéficiaires des exceptions à apprécier eux-mêmes le caractère licite ou illicite de cet accès ». Il ajoute par ailleurs que « le législateur s'est borné à autoriser le recours à des dispositifs ayant pour objet et pour effet de rendre techniquement impossible un accès illicite ».
Cette réserve délivre explicitement tout utilisateur de l'obligation de vérifier si l'accès à la source est ou non licite pour bénéficier de l'exception pour copie privée. Est-ce à dire que l'adepte des réseaux peer-to-peer peut bénéficier de l'exception pour copie privée pour les téléchargements simples, comme cela a déjà été jugé par plusieurs tribunaux (6) ? Nous serions tentés de répondre par l'affirmative, sous réserve que le test en trois étapes n'y fasse pas obstacle, ce qu'il est possible d'envisager dès lors que le système de rémunération pour copie privée est à même de compenser le préjudice subi par les ayants droit (7). Il n'en demeure pas moins que, dans le cas contraire, les internautes encourent les peines aberrantes prévues pour la contrefaçon.
Ainsi, la décision n° 2006-540 DC du Conseil constitutionnel réforme en profondeur le texte adopté en Commission mixte paritaire le 30 juin dernier. Il en résulte une radicalisation de la propriété intellectuelle au détriment des particuliers.
Mais le public échappe, en contrepartie, à la sanction systématisée du téléchargement sur les réseaux peer-to-peer et bénéficie d'une clause d'exonération de responsabilité pour le cas où il aurait accédé à une oeuvre de manière illicite. Tel est le prix à payer pour la consécration juridique des mesures techniques. Le prix d'un paradoxe qui ne résout en rien la problématique du peer-to-peer et qui sera particulièrement difficile à appliquer.
1er septembre 2006 - Légipresse N°234
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