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Tribune


01/09/2004


Valse constitutionnelle à trois temps sur la responsabilité des intermédiaires techniques



 

Depuis 1996, les projets législatifs destinés à régler le sort des prestataires techniques – hébergeurs et fournisseurs d'accès – n'ont cessé de voir le jour, de faire demi-tour dans l'hémicycle ou de subir des opérations sur la table du chirurgien constitutionnel. La loi nouvelle, dite « pour la confiance dans l'économie numérique » ou LCEN (1), est le premier texte dont les dispositions sur la responsabilité des intermédiaires techniques échappent au scalpel du Conseil des sages. Ce dernier a néanmoins émis une réserve d'interprétation importante concernant le régime applicable aux hébergeurs. Résumée en peu de mots, elle aboutit à la situation suivante : la responsabilité de l'hôtelier du Net est engagée lorsqu'il n'a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers, si celle-ci présente manifestement un tel caractère, ou si son retrait a été ordonné par un juge. Tout tient en ce mot, « manifeste », que le législateur n'avait jamais voulu employer, alors même qu'il avait été proposé à plusieurs reprises, notamment par Jean Dionis du Séjour et Patrick Bloche à l'Assemblée nationale (2) ou par Odette Terrade au Sénat (3). La majorité avait préféré coller au texte plus incertain de la directive sur le commerce électronique qui exige, parmi les éléments constitutifs de la responsabilité du prestataire technique, la « connaissance effective » du fait illicite.
Comment la LCEN est-elle sortie indemne, sur le chapitre de la responsabilité des hébergeurs, de l'enceinte du Conseil constitutionnel ? Cela paraît singulier quand on sait que les textes antérieures relatifs aux intermédiaires techniques ont été amputés de dispositions majeures et que, pour ajouter à la difficulté, le législateur était cette fois-ci tenu de transposer une directive aux contours plutôt flous (4). C'est pourtant au troisième temps d'une longue valse réunissant le législateur et le Conseil constitutionnel que les partenaires ont fini par harmoniser leurs pas.
« Au premier temps de la valse, je suis seul mais je t'aperçois ». Déposé par François Fillon en juin 1996, l'amendement à la loi de réglementation des télécommunications du 26 juillet 1996 (5) ne se préoccupait guère des hébergeurs, la “tendance” de l'époque étant de réguler l'internet par ses points d'entrées, à savoir les fournisseurs d'accès. Rappelons-nous que les PDG de World Net et FranceNet avaient été mis en examen, le 7 mai 1996, pour diffusion d'images à caractère pédophile et que l'Union des étudiants juifs de France avait agi en référé contre Calvacom et d'autres prestataires à qui l'on reprochait de donner accès à des contenus contrevenant aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 (6). L'amendement Fillon prévoyait que les fournisseurs d'accès n'étaient « pas pénalement responsables des infractions résultant du contenu des messages diffusés par un service de communication audiovisuel » sous deux conditions: ils devaient, d'une part, proposer à leurs clients un moyen technique leur permettant de restreindre l'accès à certains services et, d'autre part, interrompre l'accès à un service ayant fait l'objet d'un avis défavorable du Comité Supérieur de la Télématique. En somme, il leur était demandé de procéder au filtrage sur la base d'une liste noire dressée par ce Comité. Ce projet a provoqué de vives critiques justifiant une saisine du Conseil constitutionnel qui se prononça par la voie de la censure le 23 juillet 1996 (7). Il n'est resté de cet amendement que le seul article obligeant les FAI à proposer des logiciels de filtrage (8).
Les sages avaient reproché au législateur de méconnaître la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution en confiant au Comité supérieur de la télématique « le soin d'élaborer et de proposer à l'adoption du Conseil supérieur de l'audiovisuel, auprès duquel il est placé, des recommandations propres à assurer le respect par certains services de communication de règles déontologiques, sans fixer à la détermination de ces recommandations, au regard desquelles des avis susceptibles d'avoir des incidences pénales pourront être émis, d'autres limites que celles, de caractère très général, résultant de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 susvisée ». Cette décision, fondée sur le principe d'incompétence négative, a fait obstacle aux tentatives subséquentes de créer un organisme pour identifier les contenus indésirables. Une telle censure se serait-elle reproduite si les amendements à la LCEN présentés au Sénat par René Trégouët (9) pour instituer un Comité national d'éthique avaient été adoptés ? Nous ne le pensons pas. Bien que cet organisme aurait été chargé de « définir les règles

éthiques à respecter sur internet » et pouvait, s'il le jugeait utile, « s'appuyer sur l'article 43-8 pour faire respecter ces règles », ses décisions n'avaient pas vocation à avoir des incidences au pénal, l'article 43-8 en question (actuellement l'article 6.I 2° de la LCEN) ne touchant qu'à la responsabilité civile des hébergeurs. L'amendement a toutefois été écarté lors des discussions pour défaut de conformité avec la directive.
« Au deuxième temps de la valse, on est deux tu es dans mes bras ». Le projet déposé par Patrick Bloche en juillet 2000 pour modifier la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication ne s'intéresse plus aux fournisseurs d'accès, la tendance étant cette fois aux actions judiciaires contre les hébergeurs. En témoignent les célèbres affaires Estelle Hallyday c/ Valentin Lacambre (10) et Lynda Lacoste c/ Multimania et a. (11), qui se sont conclues par la mise en œuvre de la responsabilité des hébergeurs pour des contenus illicites qu'ils n'avaient pas spontanément retirés. Elles avaient provoqué de vives inquiétudes du côté des acteurs intéressés et des associations de défense des libertés publiques qui craignaient un mouvement de censure préventive de la part des hébergeurs. Dans ce contexte, l'amendement Bloche prévoyait d'instaurer un principe d'exonération de responsabilité pour les prestataires.
Ces derniers ne devaient être tenus pour responsables d'un contenu, civilement et pénalement que si, ayant été saisis pas une autorité judiciaire, ils n'avaient pas agi promptement pour en empêcher l'accès ou si, ayant été saisis par un tiers, ils n'avaient pas « procédé aux diligences appropriées ». Saisi de nouveau, le Conseil constitutionnel a estimé que le second cas d'engagement de la responsabilité de l'hébergeur ne respectait pas le principe de la légalité des délits et des peines et les dispositions de l'article 34 de la Constitution, le texte ne précisant pas les conditions de forme de la saisine par le tiers et omettant de déterminer les caractéristiques essentielles du comportement fautif de nature à engager la responsabilité pénale du prestataire. La disposition était gangrenée, le Conseil l'a amputée (12). De cette opération chirurgicale, il ne subsiste qu'un seul cas de mise en œuvre de la responsabilité, celui où le prestataire n'a rien fait pour interrompre l'hébergement d'un contenu illicite après avoir été saisi par une autorité judiciaire. C'était le régime de la défunte loi du 1er août 2000. À mélanger civil et pénal dans un même texte, le législateur s'était retrouvé avec une loi bancale. Une erreur qu'il n'allait plus commettre puisque les rédacteurs de la LCEN ont pris soin de séparer les régimes de responsabilités dans deux articles différents: les article 6.I 2° pour le civil et 6.I 3° pour le pénal. Ainsi, s'est-on dit, si le Conseil constitutionnel reprend l'égoïne sur le fondement de la légalité des délits et des peines, seul le régime pénal sera touché. À tout perdre, on aura au moins préservé le régime civil! « Au troisième temps de la valse, nous valsons enfin tous les trois ». En juin 2001, le législateur parvient à transposer la directive européenne sur le commerce électronique au sein de la LCEN. Consacré aux hébergeurs, l'article 14- 1 de la directive demande aux Etats membres de veiller à ce que le prestataire ne soit pas responsable des informations qu'il stocke à la demande d'un destinataire du service, sous réserve que : « (a) le prestataire n'ait pas effectivement connaissance de l'activité ou de l'information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n'ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l'activité ou l'information illicite est apparente ou (b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l'accès à celles-ci impossible ». De son côté, l'article 6.I.2. de la LCEN, qui transpose ce régime au niveau civil, prévoit en premier lieu que les hébergeurs « ne peuvent voir leur responsabilité civile engagée du fait (…) d'informations stockée (…) si [ils] n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ». Notons une subtilité qui n'aura échappé à personne: la LCEN pointe la connaissance par l'hébergeur du « caractère illicite » d'un fait et non, en premier lieu, la connaissance du « fait » illicite.
Par ce détail, en apparence anodin, le gouvernement français a voulu obtenir un texte plus explicite que celui de la directive. Ce qui importe est la connaissance effective du droit, non du fait. Or, qui d'autre peut apporter à l'hébergeur la connaissance effective de l'atteinte au droit sinon le juge ? On en revient donc, sur ce point, à l'économie de la loi du 1er août 2000 (13).
Au niveau pénal, la rédaction est plus proche de la lettre de la directive, puisqu'il est prévu que les hébergeurs « ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée à raison (…) d'informations stockée … si [ils] n'avaient pas effectivement connaissance de l'activité ou de l'information illicite ». Nous ne sommes plus dans la connaissance première du droit. Mais que signifie l'expression « avoir effectivement connaissance » d'un fait illicite ? N'induit-elle pas, à partir du moment où elle est placée dans un texte ayant une incidence pénale et, donc, d'interprétation stricte, que le prestataire ne peut être tenu de retirer que les contenus ayant un caractère « manifestement illicite »? C'est en tout cas les interprétations retenues par le Forum des droits sur l'internet dès sa recommandation du 6 février 2003 (14), puis par le Conseil constitutionnel dans sa réserve d'interprétation (15).
Ainsi le gouvernement et les parlementaires ont su s'accorder avec les sages pour obtenir un texte équilibré : tout en restant proche du texte européen, les articles 6.I 2° et 6.I 3° de la loi n'ont fait l'objet d'aucune censure constitutionnelle...
juste d'une réserve d'interprétation qui, finalement, entérine ce qu'avait amorcé le gouvernement et comble le vide laissé par les parlementaires. Un joli travail d'équipe en somme, si tant est que l'on puisse travailler en dansant !
1er septembre 2004 - Légipresse N°214
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