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Tribune


01/11/2003


Le régime des intermittents du spectacle à la croisée des chemins



 

Le 4 septembre 2003, Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture et de la Communication, a réuni le Conseil national des professions du spectacle pour annoncer le lancement d'un débat national sur les politiques publiques du spectacle vivant qui donnera lieu à des assises nationales (1) qui se tiendront la deuxième quinzaine du mois de janvier 2004 et déboucheront sur un plan de soutien à l'emploi artistique ainsi qu'un projet en faveur du spectacle vivant. Cette session est intervenue après un été particulièrement difficile qui avait débuté le 26 juin 2003 avec la signature par la CFDT, la CFTC et le CFE-CGC de l'accord sur les nouvelles annexes VIII et X (et leurs avenants) au règlement annexé à la convention d'assurance chômage des 1er janvier 2001 et 2004 (2), et s'était poursuivi dans la confusion avec un mouvement de contestation de cet accord orchestré par la fédération CGT du spectacle qui avait refusé de le signer et dont le temps fort fut l'annulation du festival d'Avignon, pour se terminer le 7 août avec la publication des arrêtés du 6 août 2003 portant agrément des annexes et leurs avenants. répondant à la fédération qui en avait fait un mot d'ordre, Jean-Jacques Aillagon a alors réaffirmé qu'un retrait des agréments donnés le 6 août était parfaitement exclu. Cette position de fermeté vis-à-vis d'un accord procédant à des modifications techniques (I) met temporairement fin au scénario de crise de la renégociation des annexes VIII et X (II), un plan d'action contre les comportements frauduleux (III) étant parallèlement mis en place.
I - Un accord procédant à des modifications techniques On ne peut qu'être surpris par le décalage existant entre la crise de l'été 2003 qui a pu donner l'impression que l'accord du 26 juin 2003 venait de mettre fin au régime des intermittents du spectacle et le caractère éminemment technique des mesures qui y figurent. Sans sous-estimer les conséquences individuelles de cette réforme, on constate que l'accord du 26 juin 2003 ne procède qu'à des ajustements nécessaires pour, sinon supprimer, au moins limiter le déficit structurel de ce régime.
Rappelons en effet, que les annexes VIII et X de la convention d'assurance chômage dérogent très largement au droit commun, notamment à la règle « à cotisations égales, prestations égales », afin de tenir compte des particularités d'emploi des techniciens et ouvriers de l'édition d'enregistrement sonore, la production cinématographique et audiovisuelle, de la radio et de la diffusion (annexe VIII) ainsi que des artistes, des ouvriers et techniciens des spectacles vivants (annexe X).
Or, contrairement à ce qu'ont pu laisser croire certaines déclarations particulièrement virulentes, l'architecture de ce système est maintenue, la réforme intervenue le 26 juin 2003 portant essentiellement sur quatre aspects.
Tout d'abord, les partenaires sociaux ont procédé à un resserrement du champ d'application des annexes VIII et X en délimitant plus strictement les métiers et entreprises concernés, afin d'en limiter la porosité. En effet, le rapport Roigt- Klein (3) du mois de novembre 2002 avait mis en lumière la présence d'activités qui n'avaient rien à faire dans le champ d'application de l'annexe X (ex: maison de la culture et d'équipement polyvalent à dominante culturelle, les activités dites événementielles que sont les expositions, foires, défilés, la menuiserie d'agencement, etc.) et dans une moindre mesure dans le champ d'application de l'annexe VIII (tirage et développement, coloriage, etc.).
Ensuite, tout en maintenant la condition d'ouverture des droits à 507 heures de travail au minimum, a été modifiée la période de référence qui est passée de 12 mois à 10 mois pour les techniciens du spectacle et à 10,5 mois pour les artistes, dans les deux cas, les intermittents bénéficiant d'une indemnisation de 8 mois. Par ailleurs, cette période de référence n'est désormais plus calendaire mais décalable, de telle sorte que si la condition de 507 heures d'activité n'est pas remplie au cours de cette période en calculant à partir de la fin du dernier contrat de travail, il est procédé à un nouvel examen de la situation de l'intermittent à partir de la fin de l'avant-dernier contrat.
Dans le même temps, a été réduit le délai de franchise à l'issu duquel l'indemnisation débute et une possibilité a été ouverte d'exercer des activités complémentaires (ex : enseignement) tout en permettant de conserver le bénéfice de l'indemnisation.
Enfin, outre une modification du montant de la participation au financement des retraites complémentaires, l'échange d'informations a été renforcé entre les fichiers de recouvrement national des cotisations au titre des annexes VIII et X, les fichiers des congés spectacle, ceux d'Audiens (groupe de protection sociale des professionnels de l'audiovisuel, de la communication, de la presse et du spectacle) ainsi que ceux des sociétés de droits d'auteur.
II - La fin du scénario de crise de la renégociation des annexes VIII et X L'opinion publique, le gouvernement et dans une moindre mesure les partenaires sociaux ont été pour le moins surpris par l'ampleur de la crise de l'été 2003 et surtout par la radicalité des moyens mis en œuvre qui ont conduit à l'annulation pure et simple d'un grand nombre de festivals.

Pourtant, sans sombrer dans un déterminisme absolu, on peut raisonnablement soutenir que les grandes lignes de ce qui s'est passé au cours de l'été étaient écrites depuis bien longtemps. En effet, sur le plan syndical, la CGT a adopté depuis plusieurs années la version altermondialiste du discours sur l'exception et la diversité culturelle ; il n'est donc pas très étonnant que durant l'été 2003, la CGT que l'on a vue souvent débordée par des coordinations, en ait adopté la stratégie de rupture au risque d'être violemment fustigée.
De même les spécialistes (4) du secteur culturel ont analysé depuis de nombreuses années le « scénario de crise récurrent » (5) sur lequel est construite l'histoire de ce régime d'assurance chômage.
Il débute en général par l'entrée en scène des organisations patronales qui, à la veille des échéances de renégociation des annexes VIII et X, adoptent une position tactique de remise en cause du régime des intermittents jugé trop coûteux, en estimant qu'il relève de la politique culturelle de l'État que les partenaires sociaux n'ont pas à financer. Puis c'est au tour des organisations syndicales de salariés, d'adopter une position toute aussi tactique consistant à croire que la fin de ce régime est pour demain, que c'est la culture qu'on assassine au nom de la mondialisation, ceci afin d'échauffer au maximum les esprits.
Cette ambiance sereine de négociation conduit en général assez rapidement à une situation de blocage qui permet l'entrée en scène de l'État justicier qui obtient in extremis que les partenaires sociaux s'entendent non pas pour discuter de nouvelles conditions mais pour maintenir le statu quo ante. Sans entrer dans le détail de l'historique des négociations, disons pour faire court, que c'est ainsi que de 1992 à 1997, le protocole du 25 septembre 1992 a été reconduit onze fois sans être retouché pour être ensuite prorogé une première fois avec la convention générale d'assurance chômage de 1997 jusqu'au 1er janvier 2001, puis une seconde fois jusqu'au 30 juin 2001. À partir du 1er juillet 2001, le régime des intermittents du spectacle a débuté une nouvelle ère en faisant l'expérience inédite du vide juridique.
En effet, faute d'un accord interprofessionnel, les annexes VIII et X ont vu leurs effets cesser, ce qui n'a pas empêché l'Unedic de continuer de facto à servir les prestations en s'appuyant sur une décision du groupe national de suivi signée par le MEDEF, le CGPME, l'UPA, le CFDT et la CFTC. Cette décision de bon sens du groupe national de suivi ne comblait pas pour autant le vide juridique.
C'est ainsi qu'une nouvelle fois l'État est venu à la rescousse des partenaires sociaux pour combler ce vide en faisant voter une loi qui prorogeait les annexes VIII et X de la convention d'assurance chômage du 1er janvier 1997 jusqu'à ce qu'un accord soit trouvé pour aménager la convention du 1er janvier 2001 aux professions visées. Entre-temps les partenaires sociaux devant faire face au déficit croissant de l'assurance chômage ont pris un certain nombre de décisions (ex : doublement des taux de cotisations sociales au cours de l'été 2002) et une étude de l'Unedic publiée en septembre 2002 a mis en évidence les graves dérapages du régime des annexes VIII et X.
Dans ce contexte difficile, était déposé, en novembre 2002, le rapport Roigt-Klein portant notamment sur les aménagements à apporter à leur fonctionnement. Le 20 décembre 2002 un protocole d'accord visant le retour à l'équilibre de l'assurance chômage fut conclu entre les partenaires sociaux prévoyant l'ouverture d'une négociation au 1er semestre 2003 qui a conduit à l'accord contesté.
Finalement, la seule nouveauté dans le scénario de crise tel qu'il s'est achevé cet été, tient au fait qu'un accord a été valablement conclu entre les partenaires sociaux sans la CGT qui a fait le choix d'une stratégie de rupture qui s'est révélée aussi spectaculaire qu'inefficace et risque de placer ce syndicat durablement en dehors de la logique de négociation.
III - Un plan d'action contre les comportements frauduleux L'accord du 26 juin 2003, bien que rendu nécessaire par le déficit structurel du régime des intermittents du spectacle, ne réglera pas durablement les difficultés chroniques auxquelles il est confronté. La raison est que ce régime est tout entier construit sur le pilier du contrat à durée déterminée qui en constitue la logique infernale, si bien qu'il « génère et accroît le risque qu'il est censé couvrir » (6). En effet, comme l'ensemble de l'assurance chômage, il avait vocation à assurer une allocation de remplacement en cas de perte d'emploi, or aujourd'hui l'allocation constitue de fait un complément de salaires. C'est pourquoi, le Premier ministre a décidé le 6 août 2003 de mettre en œuvre un véritable plan de bataille contre le recours abusif à l'intermittence et le travail dissimulé dans le secteur de l'audiovisuel, du cinéma et du spectacle qui sera présenté au mois d'octobre.
D'ores et déjà, le Premier ministre a annoncé l'élaboration de guides méthodologiques de contrôle du secteur à l'attention des administrations afin d'aider les services d'inspection.
Les fraudes qui devront être sanctionnées sont les diverses formes de travail dissimulé (défaut de déclaration, sous déclaration d'activité), les faux statuts (recours abusif au CDD, emplois qui ne relèvent pas du régime, rémunération en droits d'auteur, etc.) ainsi que des fraudes aux Assedic (paiement des cotisations sans salaire réel, etc.).
Les cibles prioritaires sont les 40 plus gros employeurs publics et privés, leurs sous-traitants, les parcs de loisirs, les grandes tournées d'artistes qui devront, si nécessaire, assez rapidement mettre bon ordre dans leur gestion sociale.
Nul doute que la conclusion de l'accord du 26 juin 2003 ainsi que le plan d'action mis en place par le gouvernement contre le recours abusif à l'intermittence devrait se traduire par une réduction du déficit structurel de l'assurance chômage des intermittents du spectacle. Néanmoins, la réduction du recours au contrat à durée déterminée dans ce secteur ne doit pas en faire oublier la particularité, à savoir un besoin de flexibilité en raison de modes d'organisation axés sur la logique de projet. Pour cela, le fossé qui existe entre le droit commun du contrat à durée indéterminée et le contrat à durée déterminée devra être comblé, notamment en assouplissant les règles relatives au contrat intermittent et en créant de nouveaux types de contrats (contrats à objet déterminé etc.) ce qui posera inévitablement la question des rémunérations.
Bref une mission à haut risque pour Bernard Latarjet.
1er novembre 2003 - Légipresse N°206
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