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Tribune


01/04/2003


Le nouveau droit d'agir des “organismes de défense professionnelle” en matière de propriété littéraire et artistique



Le 7 mars dernier, au cours de la réunion plénière du CSPLA, le ministre de la Culture et de la Communication Jean-Jacques Aillagon a annoncé que le titre III “Lutte contre la contrefaçon” de l'avant-projet de loi relatif au droit d'auteur et au droit voisin dans la société de l'information (et donc l'article 27 dont il est ici question) serait « disjoint» de l'ensemble. Une table ronde sur la lutte contre la contrefaçon sera organisée avec la chancellerie d'ici l'été. « Un projet de loi renforçant la lutte contre la contrefaçon pourrait ensuite être élaboré sur cette base, prenant en compte les dispositions de la proposition de directive communautaire adoptée le 30 janvier dernier», a précisé le ministre.

 

1.- Les meilleures intentions du monde – et notamment la défense des droits de propriété intellectuelle – peuvent parfois faire naître plus de risques qu'elles ne croient en traiter. Ainsi en est-il de l'article 27 de l'avant-projet de loi “relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information”, présenté le 5 décembre 2002 aux membres du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA). Cet avant-projet surprend tout d'abord par l'étendue des questions qu'il aborde. Malgré un titre laissant entendre que le texte se borne à transposer la directive du 22 mai 2001 “sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information”, il revisite en réalité des pans entiers du droit français de la propriété littéraire et artistique, bien au-delà des points abordés par la directive.
Après un titre I effectivement consacré à la transposition du texte communautaire, y figure ainsi un titre II sur le dépôt légal, puis un titre III sur la lutte contre la contrefaçon, un titre IV sur les sociétés de perception et de répartition des droits, et enfin un titre V sur le droit d'auteur des agents publics (1). Autant dire que la lisibilité et la cohérence des textes n'est pas ici une priorité.
2.- L'article 27 de l'avant-projet ouvre quant à lui le titre III, dédié à la “lutte contre la contrefaçon”. Il est rédigé de la manière suivante : « Les organismes de défense professionnelle des auteurs régulièrement constitués et agréés par le ministère chargé de la culture et de la communication dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions du présent code portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif que ces organismes ont pour objet de défendre. » Ce texte a vocation à se substituer à l'actuel second alinéa de l'article L. 331-1 du CPI, aux termes duquel « les organismes de défense professionnelle régulièrement constitués ont qualité pour ester en justice pour la défense des intérêts dont ils ont statutairement la charge ». À première vue, la nouvelle rédaction proposée par le ministère de la Culture se bornerait donc à imposer un agrément administratif préalable des “organismes de défense professionnelle” pour l'exercice de leur droit d'agir en justice. Mais l'innovation apportée par ce texte est bien plus importante.
3.- La nouvelle rédaction reprend tout d'abord l'actuelle présomption de qualité à agir des “organismes de défense professionnelle”, mais la limite assez curieusement aux organismes d'auteurs, ce qui laisse d'ailleurs à penser qu'une prochaine version du texte rectifiera ce qui sera certainement ressenti comme une omission, et visera donc aussi les titulaires de droits voisins. Du fait de l'agrément ministériel – dont les modalités seront précisées par voie de décret en Conseil d'État – cette présomption aura un caractère irréfragable, et ne pourra donc plus être renversée par la preuve contraire. Mais surtout, l'article 27 de l'avant-projet vise l'exercice des « droits reconnus à la partie civile ». Le texte ne se contente pas d'instituer une nouvelle exception à la règle « nul ne plaide par procureur », exception qui existe déjà pour l'action des sociétés de gestion collective, et qui est généralement admise (2). Il aboutit – de fait – à la reconnaissance d'une présomption irréfragable de titularité des droits au profit d'organismes de défense professionnelle.
4.- Ces organismes – qui ne sont titulaires d'aucuns droits de propriété littéraire et artistique, et qui n'ont a priori aucune vocation à le devenir – se voient en effet reconnaître ainsi une habilitation générale à agir à l'encontre des tiers sans qu'ils aient à faire la preuve d'un mandat ou d'un acte de cession. La mutation mérite d'être soulignée, car il ne s'agit plus seulement de permettre les actions des sociétés de gestion collective à la condition

que « l'auteur dont le monopole a été violé figure au répertoire de la société demanderesse » (3). Le nouveau texte permettra demain à des organismes professionnels d'agir pour eux-mêmes, sans faire la preuve d'un mandat ou d'un apport de tel ou tel titulaire de droits.
5.- Cette nouvelle voie d'action semble calquée sur certaines dispositions de la loi de 1881 sur la liberté de la presse et sur les articles 2-1 et suivants du code de procédure pénale, qui permettent justement à différentes catégories d'associations d'« exercer les droits reconnus à la partie civile ». Mais ces habilitations à agir ne sont pas toutes rédigées dans des termes aussi larges. Ainsi, peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile pour certaines infractions à la loi sur la presse, les associations qui se proposent, par leurs statuts, « de combattre le racisme ou d'assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse » (art. 48-1 de la loi de 1881). Mais le second alinéa de cet article prend soin de préciser que, lorsque « l'infraction aura été commise envers des personnes considérées individuellement, l'association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l'accord de ces personnes ».
En matière de propriété littéraire et artistique, et donc de droits individuels, il devrait tout autant s'agir d'une condition préalable à l'action des organismes professionnels.
6.- Car il serait très dommageable qu'en raison de cette habilitation générale à « exercer les droits reconnus à la partie civile », une confusion s'opère progressivement dans l'esprit du public. Une telle confusion avait déjà motivé une condamnation de la Business Software Alliance (BSA) par le tribunal de commerce de Bruxelles. Le tribunal avait considéré que « BSA, qui est une entreprise privée, crée auprès du public l'impression qu'en matière de copie illicite de logiciels, elle dispose de l'action publique et donc du pouvoir d'une autorité publique pour infliger des amendes et mettre des personnes en état d'arrestation ». Dès lors, le tribunal avait condamné cet organisme à cesser de diffuser des publicités qui constituaient, au regard de la loi belge, « des actes contraires aux usages honnêtes en matière de commerce » (4). Même en ignorant les dérives de cette nature, on voit mal un organisme de défense professionnelle pouvoir agir sans l'accord exprès et préalable de véritables titulaires de droits, accord qui devrait par conséquent être produit aux débats.
7.- Reste à comprendre la justification de l'article 27 de l'avant-projet de loi. À ce titre, la lecture d'un rapport de l'Inspection générale de l'administration des affaires culturelles est très éclairante. Ce rapport sur “la lutte contre la contrefaçon des droits de propriété littéraire et artistique dans l'environnement numérique” date du 1er octobre 2002. Il est donc antérieur à l'avant-projet de loi. Disponible sur le site internet du CSPLA (5), il contient une proposition 4.13 aux termes de laquelle il y aurait lieu de « prévoir une présomption simple de titularité des droits aux sociétés et aux organismes représentatifs des droits des producteurs, éditeurs, auteurs, artistes et interprètes, dans le cadre de la lutte contre la contrefaçon dont pourront se prévaloir les agents assermentés pour l'accomplissement de leurs missions ».
8.- Il est intéressant de noter que cette proposition s'inscrivait dans un paragraphe de ce rapport relatif au “financement des actions des agents assermentés” (6). Le problème soulevé sur ce point concernait notamment l'ADAPI (Agence des droits d'auteurs et de la propriété intellectuelle), dont le rapport relevait qu'elle « procède d'une manière particulière en obtenant, par mandat d'éditeur – en réalité exclusivement de Microsoft France – une indemnité forfaitaire et transactionnelle, succédant à une régularisation de la part des entreprises au sein desquelles des actes de contrefaçon ont été constatés ». Tout en indiquant que « cette formule destinée au financement des activités propres à l'association peut être justifiée au titre des règles fixées aux articles 1689 et suivants du code civil, permettant aux éditeurs de logiciels concernés une cession de créance de réparation », le rapport estimait qu'elle « semble s'écarter sensiblement du régime de réparation des atteintes au droit de la propriété littéraire et artistique, en se fondant exclusivement sur une logique de contrôle du respect des règles contractuelles entre l'éditeur de logiciel et l'utilisateur ».
9.- Et de conclure qu'il « conviendrait que les éditeurs de logiciels, titulaires des droits, perçoivent directement les rémunérations réparatrices, la rétrocédant aux organismes prestataires », mais qu'il « serait opportun de créer une présomption de titularité » au profit des « organismes désignant des agents assermentés ». Une présomption de titularité des droits comme moyen de financement des organismes professionnels et de leurs agents assermentés, voici qui peut surprendre. Plutôt que d'introduire ainsi un mécanisme exorbitant du droit commun, on en viendrait presque à préférer le versement de subventions publiques.
10.- Il demeure que le rapport du ministère de la Culture proposait la reconnaissance d'une présomption simple au profit des organismes de défense professionnelle, et non d'une habilitation générale à « exercer les droits reconnus à la partie civile ». Or l'agrément ministériel prévu par l'avant-projet de loi rendra impossible, on l'a vu, la contestation de la qualité et de l'intérêt à agir de tels organismes. Il est donc permis de douter de la pertinence de ce mécanisme, ne serait-ce qu'au regard du droit à un procès équitable.
1er avril 2003 - Légipresse N°200
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