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Je suis toujours Charlie
Je suis toujours Charlie (1)
Groucho Marx, au soir de sa vie, a fait ce constat amer : « Dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s’est passé… » Lorsque les deux terroristes ont surgi dans la salle de rédaction de Charlie Hebdo, il y a dix ans, les vieux compagnons de Charlie, Georges Wolinski, Charb, Cabu, Bernard Maris et les autres, ont dû, dans les quelques secondes de la surprise des détonations des kalachnikovs, se poser la même question. Mais que s’est-il passé pour que leur irrévérence, leurs caricatures, leur esprit potache qui n’avaient d’autres prétentions que de provoquer la réflexion par l’humour, aient pu amener deux jeunes Français à les abattre « comme des chiens », eux qui étaient nos premiers « chiens de garde de la démocratie » (2) ?
Dix ans après, le constat du vieux directeur de rédaction que je suis devenu à mon tour reste le même : que s’est-il passé ? Dix ans après, deux professeurs de lycée ont été assassinés pour les mêmes raisons que les grognards de Charlie Hebdo, et l’autocensure sur le sujet est devenue la norme, à l’école comme dans la presse. C’est une immense régression. Ce n’est plus la loi et les tribunaux qu’on redoute, mais les « vengeurs de Dieu ». C’est vrai qu’il faut être courageux pour rire aujourd’hui des religions et de leurs symboles. Il reste toutefois Charlie Hebdo, « cet immense petit journal, ce chef-d’oeuvre d’insolence hebdomadaire, encore là, fidèle au poste, plus indépendant que jamais, malgré les menaces et les malédictions » (3). Mais chacun des membres de sa rédaction vit depuis entouré de gardes du corps. Mon ami Richard Malka, avocat historique du journal, est encadré depuis dix ans, en toutes circonstances, de trois policiers pour sa sécurité et ne se déplace plus qu’en voiture blindée. C’est intolérable et pourtant nombreux sont ceux qui soutiennent qu’ils l’ont quand même un peu cherché. Ce sont les mêmes qui considèrent que les musulmans seraient incapables de comprendre le second degré, et que moquer leur religion serait nécessairement l’expression d’un racisme à leur égard, alors que c’est précisément le contraire. Ils sont bien entendu accessibles, comme tous citoyens, aux mêmes standards de liberté et de rigolade que les autres, et c’est raciste de penser le contraire.
Notre histoire républicaine est un long combat contre l’obscurantisme et les fondamentalismes. « La France connaît le prix de la liberté » (4). L’expression de la critique contre les croyances religieuses est un acquis des Lumières. Elle est consubstantielle à notre démocratie. La 17 e chambre du Tribunal de grande instance de Paris l’a rappelé dans son jugement de 2007 : « En France, société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions quelle qu’elles soient […] Le blasphème qui outrage la divinité ou la religion n’y est pas réprimé » (5).
En ce triste anniversaire, Légipresse, qui veille tous les mois, en commentant l’actualité législative et jurisprudentielle, à la protection de la liberté d’expression, adresse à nouveau à son confrère Charlie Hebdo toute sa sympathie et son soutien.
1 V. édito de 2015, Je suis Charlie, Légipresse 2015. 3.
2 Selon la formule désormais sacramentelle de la CEDH.
3 R. Enthoven, Malgré les salauds, Franc-Tireur , 8 janv. 2025.
4 Comme l’a dit J. Kerry, le secrétaire d’État américain, au soir des attentats du 7 janv. 2015.
5 TGI Paris, 17 e ch., 22 mars 2007, Légipresse 2007. III. 123, comm. H. Leclerc.