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La censure et la contradiction
Le juge judiciaire est le garant des libertés individuelles. C'est la Constitution qui le dit. Et une décision judiciaire doit normalement être prise au terme d'un procès contradictoire. C'est la première exigence que pose le principe du procès équitable. Le code de procédure civile prévoit, par exception à ce principe, que le juge peut, sur requête, prendre une ordonnance, par nature provisoire, dans les cas « où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse »(1). Il peut ainsi ordonner « toutes mesures urgentes, lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement »(2). Cette exception a été principalement posée pour le risque de déperdition des preuves que pourrait entrainer la réception d'une assignation.
C'est sur le fondement de cette exception que Gaël Perdriau, maire de Saint-Étienne, invoquant le caractère clandestin de l'enregistrement qui avait été fait d'une conversation tenue à titre privé dans son bureau, a sollicité du président du Tribunal judiciaire de Paris, qu'il interdise à Mediapart d'en effectuer la publication pour illustrer un article sur les conflits politiques de la ville. Sur la base des seules explications de l'avocat de ce dernier, le magistrat fit droit à ces demandes, en interdisant sous astreinte à Mediapart, de publier « tout ou partie de l'enregistrement illicite » en question.
Aussitôt notifiée, la décision fit l'objet d'une saisine en urgence du juge pour qu'il rétracte son ordonnance, et suscita un grand émoi public. Plusieurs associations se sont jointes à cette saisine, un tel acte de censure préalable étant incompatible avec le principe à valeur constitutionnelle de liberté d'expression. L'affaire fut donc enfin débattue contradictoirement. Et il est apparu qu'en réalité, aucune déperdition de preuve, ni conséquence irréversible n'étaient en jeu. Le juge a naturellement rétracté son ordonnance et condamné Monsieur Perdriau à verser à une indemnité pour couvrir ses frais de justice(3).
Cette affaire est exemplaire, cela va sans dire, en ce qu'elle rappelle qu'un état de droit suppose que la liberté d'expression ne soit restreinte qu'en cas « d'abus de cette liberté, prévu par la loi »(4) et que si le juge est en droit, « en cas de dommage irréversible aux conséquences irréparables »(5), de prononcer une interdiction de paraître, il ne peut le faire qu'au terme d'une procédure contradictoire. Il lui appartient en effet d'être complètement informé, pour pouvoir arbitrer, au cas par cas, entre les intérêts en présence, en mesurant notamment l'intérêt général s'attachant aux informations litigieuses. Or, en l'espèce, les impérities d'un élu de la République que cet enregistrement entendait révéler, méritait d'être apprécié à l'aune de l'intérêt public s'attachant à sa publication.
Paradoxalement cette affaire rappelle aussi que le juge judiciaire est bien le principal garant de l'exercice de la liberté d'information, en ce qu'il s'assure non seulement de l'application de la loi, mais aussi de la pesée des intérêts en présence. À cet égard, les mesures, injonctions et autres recommandations, fussent-elles prises par une autorité administrative ou un organisme autoproclamé de déontologie, qui n'obéiraient pas au respect du contradictoire, ne sauraient entraver le droit à l'information.