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« Circulez, il n'y a rien à voir ! »
Le Conseil d'État vient de rendre une décision surprenante, sans doute dictée par la volonté d'affirmer un État fort en matière d'immigration, mais qui suscite quelques inquiétudes sur son acception du « rôle de la presse dans les sociétés démocratiques »(1), c'est dire celui de leur « chien de garde »(2).
Pour reprendre la formule de Max Weber, chère à notre ministre de l'Intérieur(3), l'État a le monopole de « la violence physique légitime ». Celle-ci lui est, dans une société démocratique, déléguée par les citoyens. Cette violence, nécessairement exceptionnelle, est encadrée par la loi, exercée sous le contrôle du juge, mais aussi sous la surveillance des journalistes, c'est-à-dire celle des citoyens. Ainsi le veut l'État de droit. On n'a jamais fait mieux.
Et, c'est bien de violence dont il fut question dans l'affaire tranchée par la juridiction administrative, celle que les forces de l'ordre emploient pour « évacuer » les campements irréguliers des demandeurs d'asile, qui se forment inlassablement aux portes de l'Angleterre, dans nos départements du Nord et du Pas-de-Calais. Ce sont des descentes où l'on arrache les tentes et où on y confisque tout ce que leurs occupants n'ont pu emporter dans la précipitation. Ces opérations sont violentes par nature. Elles entrainent des cris, des larmes, des coups, bref de nouveaux malheurs pour des personnes qui ont tout bravé pour arriver là. C'est ce qu'on veut cacher, car ce n'est pas glorieux.
Pour cette raison, les préfectures installent un périmètre de sécurité avant de lancer l'opération d'évacuation. Deux journalistes s'étant vus refuser l'accès aux campements situés sur les communes de Grande-Synthe, Coquelles et Calais, où des évacuations furent décidées fin décembre dernier, ont, épaulés par le SNJ, saisi le tribunal administratif de Lille en référé – lequel a botté en touche pour un motif de forme – puis le Conseil d'État, en appel.
Celui-ci, dans son ordonnance du 3 février 2021(4), rappelle que « l'exercice de la liberté d'expression, et partant, de la liberté de la presse, est une condition de la démocratie, et l'une des garanties des autres droits et libertés ». Il précise aussi que « l'instauration des périmètres de sécurité visent à faciliter l'exécution matérielle de leur mission par les forces de l'ordre et, à assurer le respect de la dignité dues aux personnes évacuées ». Les règles sont donc claires.
On voit mal, ce faisant, en quoi la présence de journalistes aurait empêché les opérations de s'effectuer. Ils ne sont là que pour rendre compte. Ce ne sont que des observateurs. Quant à la dignité des personnes, le Conseil n'en dit pas plus. Il ne dit notamment pas que seraient les images prises à l'occasion, comme il en est par exemple de celles des victimes d'infraction(5), qui pourraient causer une telle atteinte à leur dignité. La présence des journalistes aurait, au contraire, pu rassurer tous ceux qui s'émeuvent de telles évacuations en plein cœur de l'hiver, sur le fait qu'elles sont évidemment conduites en parfaite humanité, dans le respect de la dignité qui est effectivement « due » à ces personnes déjà tellement vulnérables.
Décider de l'inverse est nécessairement suspect. L'histoire, y compris la plus récente, démontre que lorsqu'on écarte la presse, c'est rarement pour que la « violence légitime » s'exerce dans le plus grand respect de la dignité humaine.
Le droit de l'asile est bien un droit sui generis. Certains disent que c'est un droit de la guerre qui ne dit pas son nom. C'est faux. Même à la guerre, l'accès aux théâtres des opérations est autorisé aux correspondants de presse.