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On ne peut toucher aux lois sur la liberté d’expression que d’une main tremblante !
Que les racistes et les plateformes ne croient pas que la messe est dite. La loi Avia, du nom de la parlementaire qui a conduit la commission préparatoire, puis qui a porté la loi visant à lutter contre l’expression de la haine sur internet, avait -avant d’être presque totalement censurée par le Conseil constitutionnel- un grand mérite. Elle prolongeait les premières mesures sur l’indispensable coopération des plateformes à la lutte contre les contenus illicites, mise en place avec la loi du 22 décembre 2018 de lutte contre la manipulation de l’information.
Comme à chaque fois où il est question de liberté d’expression, il faut bouger le curseur avec une infinie précaution. La recherche de cette ligne de crête, étroite et précieuse, entre la préservation des garanties de l’exercice de cette liberté fondamentale et les nécessaires restrictions et répressions des abus de cette liberté, doit être la première préoccupation du législateur, comme du juge, toutes les fois qu’ils en sont saisis.
La censure constitutionnelle de l’essentiel de la substance de la loi démontre à nouveau qu’on ne peut régenter dans ce domaine à la serpe. Tenter d’éradiquer les propos racistes, homophobes, plus encore pédophiles ou faisant l’éloge du terrorisme sur internet, est évidemment un devoir de l’autorité publique. Et responsabiliser les grands acteurs qui permettent la diffusion de ces contenus, souvent dans l’impunité, est évidemment la solution. Mais leur imposer, sur simple notification, de supprimer le message contesté dans les 24 heures, comme l’avait voté le Parlement, offrait un outil de censure immédiate contre toutes les informations, même celles parfaitement licites. C’était faire courir à la liberté d’expression sur les réseaux sociaux, le risque d’une justice privée, et en définitive de sur-censure, non pas en ce qu’elle était confiée à ces acteurs, mais parce les plateformes auraient choisi de procéder à la suppression sollicitée, plutôt que d’encourir les sanctions financières du CSA, par ailleurs posées par le texte.
C’est ce que retient le Conseil constitutionnel dans sa décision : « les dispositions contestées ne peuvent qu'inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu'ils soient ou non manifestement illicites. Elles portent donc une atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ».
Pour être acceptable, il aurait fallu inverser le processus, en imposant à la plateforme saisie d’une demande de suppression, d’aviser l’auteur du message litigieux de celle-ci ; et de ne pouvoir y procéder qu’en cas de silence de ce dernier, passé un certain délai. En revanche, s’il s’y opposait, la plateforme n’aurait plus qu’à inviter le demandeur à saisir le juge judiciaire, pour qu’il tranche la difficulté, au terme d’une procédure accélérée, le cas échéant.
Il ne faut pas désemparer, mais très vite remettre l’ouvrage sur le métier.
A propos de mesure et de précaution dans la balance des intérêts en présence, il sied aujourd’hui de saluer un grand magistrat. Elle a présidé, plus de dix années durant, la chambre de la presse du tribunal de Paris, puis (après un détour obligatoire dans une juridiction extérieure), occupé cinq ans la présidence de chambre de la presse de la Cour d’appel. C’est Madame le Président Anne-Marie Sauteraud. Elle arrive au terme de sa carrière. Elle aura rendu, pendant toutes ces années, un nombre considérable de décisions qui ont marqué l’évolution du droit de la presse, en particulier celle sur les caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo. Elle n’aura jamais trahi la philosophie du principe constitutionnel de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, celle qui veut que la règle c’est la liberté, et l’exception la restriction. Son départ nous commandait de lui rendre un dernier hommage.