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Le droit au « déréférencement », le RGPD et l’histoire
Le droit à « l’oubli » a été inventé par le juge judiciaire, au visa de l’article 9 du code civil, pour les personnes condamnées pénalement qui, ayant purgé leur peine et s’étant même réinsérées, peuvent légitimement imposer qu’on oublie leur condamnation. Ce qu’il était licite d’évoquer au moment des faits et du procès, ne l’est plus, passé le temps de la rédemption, pour retrouver la sphère de protection de la vie privée.
Le droit au « déréférencement » qui permet à toute personne de demander à un moteur de recherche de supprimer les occurrences qui apparaissent à partir d’une requête faite sur ses noms et prénom, procède de ce droit à l’oubli. Mais la suppression de la référence ne signifie pas l’effacement de l’information sur la source ; celle-ci continue d’être, en théorie, accessible, même si elle disparaît des radars.
Le Conseil d’État, saisi d’une série de recours contre des décisions de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ayant refusé d’imposer des suppressions à Google, a interrogé, sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne sur les obligations des moteurs de recherche en cas de demande de déréférencement de données « sensibles » ou relatives à des condamnations, au sens du règlement général sur la protection des données (RGPD) car, dès lors, leur traitement serait interdit. Au vu des réponses apportées par celle-ci dans son arrêt du 24 septembre, le Conseil d’État a, par treize arrêts rendus le 6 décembre dernier, tenté de tracer la frontière entre les données qui méritent d’être conservées et celles qui doivent être « déréférencées ». Deux critères principaux doivent, selon lui, être alors pris en considération : le caractère « sensible » de l’information, d’une part, et la notoriété du demandeur à la suppression, d’autre part, laquelle tient à son rôle social dans la vie publique. À côté de ces deux critères, il y en a un troisième, moins déterminant, qui est celui de savoir si l’intéressé lui-même n’est pas à l’origine de la diffusion publique de l’information qu’il souhaite ensuite voir disparaître.
Les « données sensibles » sont celles qui touchent à la santé, la vie sentimentale, l’orientation sexuelle, les origines, la religion et les opinions politiques. Sur ce point, la juridiction administrative rejoint la jurisprudence judiciaire rendue au titre de la protection de « l’intimité » de la vie privée. Quant aux condamnations pénales passées, le Conseil d’État dit que Google devra aménager la liste des résultats afin qu’apparaissent d’abord les liens vers des informations à jour de la situation judiciaire de la personne concernée.
Voici donc le terrain dégagé. Mais il y a encore des questions en suspens. La première concerne la manière dont les moteurs de recherche, et donc Google au premier chef, vont obtempérer. Il n’est pas certain qu’ils se plient, de bonne grâce, tout RGPD qu’elles soient, aux demandes de suppression – et encore moins aux demandes d’aménagement vers des références « à jour » ! – qui ne vont pas cesser d’affluer désormais à la CNIL.
La deuxième tient à l’arbitrage, on le sait toujours délicat, que va devoir faire la CNIL pour dire ce qui est ou non « strictement nécessaire à l’information du public » ou ce qui constitue « l’intérêt prépondérant du public à accéder aux informations en cause », qui sont les derniers critères dégagés par le Conseil d’État. Il n’est pas impossible qu’interprétés strictement, ces conditions ne viennent restreindre considérablement l’accès aux informations anciennes. N’est-il pas souvent soutenu que ce qui n’est plus « d’actualité » ne serait plus « nécessaire à l’information du public » ?
Google pourrait alors cesser d’être ce formidable outil de recherche, en obligeant, comme on le faisait avant son arrivée, à retourner dans les bibliothèques, en recherchant l’information dans les encyclopédies, les caves, en ayant recours aux archivistes, historiens et autres généalogistes.
Pas sûr qu’on y gagne...