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Diffamation
/ Cours et tribunaux


24/04/2019


La publication d’un communiqué judiciaire, une sanction soumise au contrôle de proportionnalité



Une mesure de publication d’un communiqué judiciaire ordonnée à titre de réparation civile complémentaire, exceptionnelle dans son principe et ses modalités, excède-t-elle, dans le litige en cause, ce qui est strictement nécessaire à la réparation intégrale du préjudice et est-elle proportionnée au regard de l’atteinte portée à la liberté d’expression du journal ?

Cour de cassation, (ch. crim.), 8 janvier 2019, Sté éditrice du Monde, G. D. et a.
 

En février 2019, le Tribunal correctionnel de Paris examinait l’action en diffamation intentée par l’homme politique français, Denis Baupin, à l’encontre des journalistes qui l’auraient reconnu coupable de harcèlement et agression sexuels. Le 18 février dernier, le juge des référés a refusé de suspendre la diffusion du film Grâce à Dieu réalisé par François Ozon que le père Bernard Preynat, accusé d’infractions à caractère sexuel, estimait attentatoire à son droit à la présomption d’innocence(1). Ces deux litiges illustrent les nombreux conflits judiciaires qui opposent les individus qui estiment leurs droits subjectifs violés, à ceux qui revendiquent leur liberté d’expression. Tel était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 janvier 2019 rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Le 8 février 2015, un article intitulé « Swissleaks : révélations sur un système international de fraude fiscale » avait été mis en ligne sur le site internet du journal Le Monde avant qu’un dossier intitulé « Comptes secrets en Suisse ; le Gotha des évadés fiscaux français » soit publié dans son édition papier. Les journalistes y dénonçaient l’existence de comptes secrets en Suisse ayant bénéficié à des évadés fiscaux français et précisaient, en particulier, que « leur révélation est susceptible d’embarrasser de nombreuses personnalités, de l’humoriste français AC. C. au roi du D. AB. en passant par l’acteur américain John B. » et que « le Gotha des évadés – Les célébrités – L’acteur américain M. B. a déclaré n’avoir pas connaissance du compte à Genève qui porte son nom ».

S’estimant diffamé dans ces deux passages, l’acteur américain avait fait citer devant le tribunal correctionnel le directeur de la publication du quotidien, les deux journalistes à l’origine de l’article et la société éditrice du Monde, pour les voir répondre en qualité, respectivement, d’auteur, de complices et de civilement responsable, du délit de diffamation publique envers un particulier. Tout comme les juges du premier degré, la cour d’appel avait déclaré l’auteur et ses complices coupables en considérant, en substance, que le lecteur de l’article pouvait retenir l’imputation à l’acteur d’avoir bénéficié d’un système d’évasion fiscale. En conséquence, elle avait condamné les prévenus à verser des amendes et des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, ainsi qu’à retirer du site les propos diffamatoires. Elle avait également, à titre de réparation civile complémentaire, ordonné la publication d’un communiqué judiciaire sur le site internet du journal pendant une durée d’un mois consécutif, soit directement en son intégralité sur la page d’accueil, soit par le biais d’un lien hypertexte sur la page d’accueil, ainsi qu’en première page du journal en prescrivant que la taille de la typographie du texte soit portée de 0,5 cm, ainsi que décidé par les premiers juges, à 1,5 cm.

Les personnes condamnées avaient alors formé un pourvoi devant la Cour de cassation qui a rejeté les critiques formulées dans le premier moyen relatif à la caractérisation du délit. D’abord, elle a considéré que les juges avaient exactement apprécié que ces propos laissaient entendre que l’acteur avait participé, au moyen d’un compte ouvert en Suisse à son nom, à un vaste mouvement d’évasion fiscale impliquant d’autres personnes en vue, imputation de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération de l’intéressé et à être l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire. Elle a ensuite jugé qu’une telle allégation, qui ne procédait pas d’une enquête sérieuse sur la situation spécifique de cette personnalité, ne reposait pas sur une base factuelle suffisante pour justifier que les prévenus puissent exciper de leur bonne foi, en dépit de l’intérêt général s’attachant au sujet sur lequel portaient les publications en cause. Pour le reste, la Haute juridiction s’est retranchée derrière l’appréciation souveraine par les juges du fond des éléments du litige. Pourtant, la chambre criminelle avait jugé en 2008 que c’était à tort que les infractions de diffamation et de complicité de ce délit avaient été retenues au sujet de la publication d’un article de presse traitant d’un sujet d’intérêt général relatif à une affaire financière au motif qu’il ne dépassait pas les limites de la liberté d’expression(2). Certes, l’affaire avait eu une importance particulière au niveau national et international ainsi que de lourdes répercussions nationales d’ordre financier. Cela dit, l’arrêt de la chambre criminelle du 8 janvier dernier présente surtout un intérêt quant au contrôle de proportionnalité.

À cet égard, accueillant les deuxième et troisième moyens de cassation, la Cour de cassation a cassé la décision d’appel en jugeant, au visa des articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et 593 du code de procédure pénale, que la cour d’appel n’avait pas justifié sa décision en s’abstenant de répondre à l’argumentation selon laquelle la mesure de publication, exceptionnelle dans son principe et ses modalités, excédait ce qui était strictement nécessaire à la réparation intégrale du préjudice invoqué par la partie civile et s’apparentait dès lors à une sanction non prévue par la loi et, en tout état de cause, disproportionnée au regard de l’atteinte portée à la liberté d’expression du journal en question.

La condamnation à la publication d’un communiqué judiciaire aurait dû faire l’objet d’un double contrôle de proportionnalité tenant, d’une part, au caractère strictement nécessaire de la publication du communiqué à la réparation intégrale du préjudice invoqué par la partie civile, condition posée à sa qualification de sanction prévue par la loi et, d’autre part, à son caractère proportionné au regard de l’atteinte portée à la liberté d’expression du journal.

I – La proportionnalité de la sanction à la gravité du préjudice de la victime

L’exigence d’une telle proportionnalité n’est pas nouvelle : la sanction en responsabilité civile répare un préjudice, de sorte qu’elle doit y être strictement proportionnée, à défaut de quoi la victime subit une perte ou un profit contraire au principe de réparation intégrale du dommage. C’est néanmoins la première fois que la Cour de cassation affirme que pour que la publication d’un communiqué judiciaire constitue une sanction prévue par la loi, elle doit être strictement nécessaire à la réparation intégrale du préjudice invoqué.

La notion de sanction prévue par la loi est mentionnée dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, selon lequel l’exercice de la liberté d’expression peut être soumis à certaines « sanctions prévues par la loi ». L’injonction de publier un communiqué judiciaire sanctionne le mauvais usage de la liberté d’expression et doit répondre aux exigences de cet article, comme le rappelle la jurisprudence. Il faut que la publication ordonnée par le juge « constitue une mesure appropriée, et qu’une telle restriction à la liberté d’expression respecte les exigences de l’article 10.2 de la Convention européenne des droits de l’homme, à la fois quant à son fondement légal, quant à sa nécessité pour la protection des droits d’autrui et quant à sa proportionnalité aux atteintes retenues »(3).

En présence d’une infraction de diffamation, incriminée à l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, le caractère direct du lien entre l’infraction et le dommage allégué par la victime n’est pas contestable. Conformément à l’article 2 du code de procédure pénale, l’action civile en réparation du dommage causé par un délit, notamment en cas de diffamation, appartient à celui qui a personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction, lequel peut être réparé par la condamnation du responsable à publier un communiqué judiciaire. Une telle condamnation est classiquement considérée comme une sanction prévue par la loi. La Cour européenne s’est prononcée en ce sens au sujet d’un communiqué ordonné dans Voici, en Une et sur les affiches de promotion du magazine, en jugeant qu’« il existe une jurisprudence constante donnant une légitimité à la mesure litigieuse considérée par les juridictions internes comme l’une des modalités de la réparation des préjudices causés par voie de presse », qu’elle constitue une mesure nécessaire « prévue par la loi », au sens du paragraphe 2 de l’article 10, dès lors que l’« article édité (…) ayant pour seul objet de satisfaire la curiosité d’un certain public sur l’intimité de la vie privée des époux concernés, ne saurait passer pour contribuer à un quelconque débat d’intérêt général, malgré la notoriété de ces personnes »(4).

Tel n’était pas la situation du cas d’espèce relatif à une infraction de diffamation commise au sujet d’un débat d’intérêt général. Est-ce pour cette raison que la chambre criminelle a précisé que la condamnation de publier un communiqué judiciaire n’est considérée comme une sanction prévue par la loi que si elle respecte le principe de réparation intégrale du préjudice ? Si le préjudice moral de l’acteur, partie civile à l’action, résultant de la diffamation était constant et non contesté, la mesure de sa réparation s’avérait incertaine.

L’évaluation par les juges du fond de la juste réparation du préjudice subi par une personne victime d’une atteinte à ses droits est en principe souveraine et généralement succincte, notamment s’agissant de la condamnation du responsable à publier un communiqué judiciaire. Par exemple, la Cour de cassation a rappelé qu’en présence d’une atteinte aux droits de la personne, « le juge tient de l’article 9 du code civil le pouvoir de prendre toutes mesures propres à assurer la réparation du préjudice subi » et que « c’est donc à juste titre que la cour d’appel a décidé que la publication d’un communiqué faisant état de la condamnation de l’organe de presse, jugé responsable de cette atteinte, constituait une telle mesure »(5). Autrement dit, il appartient aux juges du fond d’accorder ou non la publication judiciaire sollicitée par la victime, en application de la règle selon laquelle ils « appréci[e]nt souverainement les modalités propres à assurer la réparation intégrale de la violation constatée »(6). Ils déterminent le contenu du communiqué, la taille des caractères, son emplacement, sa longueur et les supports – publication papier et/ou site internet. En présence d’une diffamation, la Cour de cassation avait jugé en 1988(7) que les juges du fond étaient investis d’un pouvoir souverain d’appréciation pour refuser d’ordonner les mesures de publicité sollicitées par la partie civile, victime d’une diffamation. C’est ce que la Cour européenne a rappelé récemment en considérant qu’« observant la jurisprudence interne selon laquelle la publication d’un communiqué est l’une des modalités de la réparation des préjudices causés par voie de presse et que cette mesure est proportionnée au préjudice subi, la Cour estime que ladite publication peut constituer une réparation appropriée pour la victime en informant le public de son opposition à la diffusion sans son autorisation de son image, sans qu’il lui appartienne de décider – pas plus d’ailleurs qu’à l’auteur du préjudice –, si ce mode de réparation est plus adéquat qu’un autre en terme d’efficacité de la réparation du dommage subi par la victime »(8).

Si son appréciation reste souveraine, le juge du fond est désormais appelé à motiver rigoureusement sa décision au regard du principe de réparation intégrale du préjudice.

La violation de ce principe est régulièrement sanctionnée, notamment par la chambre criminelle, qui rappelle que la réparation du dommage résultant d’une infraction pénale ne doit procurer aucun enrichissement à celui qui en est la victime ni aucune perte et doit être intégrale(9). L’exigence de proportionnalité entre la mesure de publication et le préjudice n’est donc pas nouvelle : le communiqué judiciaire, en tant que réparation, doit être proportionné à la gravité du préjudice. Par exemple, dans une hypothèse où pour réparer le préjudice subi par une société diffamée, la cour d’appel avait ordonné la publication d’un communiqué judiciaire dans les journaux Le Midi Libre, dans toutes éditions pendant un mois, sans en déterminer le coût, la Cour de cassation avait rappelé que « le préjudice résultant d’une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; que les juges qui ordonnent, à la demande de la partie civile, la publication de la décision de condamnation sont tenus d’en préciser le coût maximum ». Le manque de motivation était ainsi sanctionné.

En l’espèce, la censure pour insuffisance de motivation intervenue semble novatrice. En effet, la Cour de cassation a cassé l’arrêt confirmatif dès lors que les juges avaient ordonné, « à titre de réparation civile complémentaire, une mesure de publication d’un communiqué judiciaire, pour la durée d’un mois consécutif, tant sur la page d’accueil du site internet www.le.monde.fr, que sur la première page du journal Le Monde, en prescrivant que la taille des caractères du texte soit portée de 0,5 cm à 1,5 cm (…) sans répondre à l’argumentation développée par les prévenus et la société civilement responsable dans leurs conclusions régulièrement déposées devant elle, selon laquelle une telle mesure de publication, exceptionnelle dans son principe et ses modalités, excédait ce qui était strictement nécessaire à la réparation intégrale du préjudice invoqué par la partie civile et s’apparentait dès lors à une sanction non prévue par la loi ».

Conformément à l’article 593 du code de procédure pénale, elle rappelle ainsi aux juges leur obligation de motiver correctement leur décision, ce qui leur impose de répondre aux moyens soulevés devant eux. Or, en l’espèce, les juges d’appel n’avaient pas motivé leur décision au sujet de la publication du communiqué judiciaire, que ce soit par motifs propres ou implicitement adoptés en application de l’article 955 du code de procédure civile. Ils n’avaient même pas justifié leur décision de tripler la taille des caractères du communiqué, et ce, alors même qu’ils étaient interrogés sur ce point.

La censure devrait inciter les parties à davantage discuter de la nécessité d’ordonner la publication d’un communiqué judiciaire pour réparer le dommage moral subi par la victime devant les juges du fond, lesquels seront, en conséquence, conduits à mieux justifier ce point dans leur décision. Cependant, la situation apparaît exceptionnelle en l’espèce : les modalités de publication étaient particulièrement sévères, ce qui entraînait une réduction importante de la surface éditoriale du journal, alors même qu’il existait un débat d’intérêt général et que ce débat était traité dans un journal d’information générale dont la rigueur est reconnue. Dans ce contexte, il fallait se demander si la publication du communiqué judiciaire, dans de telles proportions, était nécessaire à la réparation du préjudice subi par l’acteur et si elle ne s’apparentait pas au prononcé d’une peine privée, ce que révèle déjà, selon un auteur, « le caractère spectaculaire d’un communiqué publié en page de couverture ».

Quoi qu’il en soit, le juge, notamment de renvoi, devra motiver sa décision, de telle manière qu’il en ressorte que la nécessité de la sanction par rapport au dommage a été examinée, condition indispensable pour que la sanction soit prévue par la loi et puisse venir limiter la liberté d’expression conformément à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Certes, une telle motivation ne sera pas évidente. En effet, l’on sait qu’il est difficile d’évaluer la juste réparation d’un préjudice moral ; sans doute suffira-t-il au juge d’affirmer que les modalités de la publication ordonnée sont seules à même de réparer le préjudice de la victime. L’exercice est d’autant plus difficile qu’il se double d’une exigence de motivation relative à la proportionnalité de la sanction à l’atteinte faite à la liberté d’expression.

II - La proportionnalité de la sanction à l’atteinte faite à la liberté d’expression

Le système de la pondération et de l’équilibre des intérêts, dont est issu le principe de proportionnalité, a été mis en place en France par Josserand et par Gény. Devenu la pierre angulaire de la résolution des conflits d’intérêts, il est considéré, à juste titre, comme « le plus vague des principes généraux de bonne administration et celui qui se prête le moins à concrétisation ». Il s’agit d’un « critère directif de pondération (doctrinal à sa racine) qui doit conduire le juge non pas à affirmer, en général, la primauté d’une règle sur l’autre, mais à mettre en balance concrètement les conséquences qui découleraient de l’application de chacune, afin de faire prévaloir, en l’espèce, celle qui sauvegarde le mieux les intérêts en présence ». C’est par ce raisonnement dialectique, attaché aux circonstances des espèces, que les juges parviennent à une solution des conflits de droits. Le principe de proportionnalité est en effet adéquat pour faire prévaloir l’un des droits opposés lorsque les textes ne prescrivent pas une solution précise au litige à juger.

À titre d’illustration, il appartient aux juges de vérifier qu’une limitation apportée à un droit est proportionnée à la protection exigée par le droit opposé. Dans le cadre des conflits de droits, la Cour européenne procède bien à la recherche d’un équilibre ou comme elle l’affirme expressément à « l’exercice de mise en balance des intérêts concurrents ». Tel est notamment le cas en présence d’un conflit entre liberté d’expression et droit subjectif.

L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme impose l’application du principe de proportionnalité afin d’apprécier la légitimité d’une atteinte portée à la liberté d’expression. Cette atteinte est un acte fautif puisqu’il viole une liberté fondamentale. Il peut toutefois être justifié par un intérêt jugé supérieur – cas du respect des droits d’autrui. La loi, représentant l’intérêt général, pose effectivement une hiérarchie des intérêts en faisant primer les droits subjectifs sur les droits du public. Ainsi, la personne injustement diffamée – de même que celle dont le droit à la présomption d’innocence a été violé – a le droit d’obtenir la réparation de son préjudice même s’il existe un débat d’intérêt général sur le sujet. Tel est l’objet de l’article 29 de la loi sur la liberté de la presse.

Si cette loi satisfait aux exigences d’accessibilité et de prévisibilité de l’article 10, il ne suffit pas que l’ingérence poursuive l’un des buts légitimes énumérés par ledit article, à savoir « la protection de la réputation d’autrui », il faut encore qu’elle soit nécessaire dans une société démocratique pour atteindre le but poursuivi, et proportionnée par rapport à l’atteinte faite à la liberté d’expression, comme le rappelle la jurisprudence. Sont donc interdites les sanctions restreignant de façon disproportionnée la liberté d’expression, en particulier en présence de sujets d’intérêt général. Il en est notamment ainsi de la condamnation à publier un communiqué judiciaire mise à la charge du responsable ayant émis le message. La Cour de cassation a déjà retenu qu’une telle sanction devait être une « mesure en proportion avec l’importance des atteintes retenues au sens de la Convention européenne ». Autrement dit, la sanction ne doit pas être trop nuisible à la liberté d’expression.

Toutefois, les juridictions sont généralement favorables à cette sanction. Par exemple, à la suite de la publication dans l’hebdomadaire Paris Match de la photographie du préfet Érignac venant d’être assassiné dans la rue, l’insertion d’un communiqué précisant que la publication de l’image litigieuse avait été décidée sans l’assentiment de la famille, qui estimait que cette publication portait atteinte à sa vie privée, avait été ordonnée en référé. La Cour européenne des droits de l’homme a considéré que la société requérante n’avait pas démontré en quoi l’ordre de publier le communiqué avait effectivement pu avoir un « effet dissuasif sur la manière dont le magazine incriminé a[vait] exercé et exerce encore son droit à la liberté d’expression », que « l’injonction de publier le communiqué, dans son principe comme dans son contenu, constituait la sanction emportant le moins de restrictions à l’exercice des droits de la société » et que les juridictions françaises avaient justifié qu’elle « était proportionnée au but légitime qu’elle poursuivait et, partant, “nécessaire dans une société démocratique” ». La diffusion d’un communiqué sur les ondes de France-Info toutes les 2 heures pendant 24 heures a également été jugée conforme à l’article 10 de la Convention européenne. L’arrêt qui vient d’être rendu semble ouvrir la voie à une plus grande tolérance à l’égard de la presse.

En l’espèce, deux catégories d’intérêts juridiques s’opposaient : liberté d’expression dans le cadre d’un débat général face au droit de l’acteur à son honneur et à ne pas faire l’objet d’une diffamation. Le juge devait donc rechercher le juste équilibre entre ces prérogatives opposées en vérifiant, en particulier, que la sanction était proportionnée à l’atteinte faite à la liberté d’expression. Il s’en est abstenu. Aucun motif de l’arrêt d’appel ne portait sur cette question, alors qu’elle était soulevée devant la cour d’appel. La Cour de cassation lui a donc reproché d’avoir ordonné, à titre de réparation civile complémentaire, la mesure de publication, dans les modalités précitées, sans vérifier si elle n’était pas disproportionnée au regard de l’atteinte portée à la liberté d’expression du journal.

En conséquence, au regard des éléments du litige qui lui seront soumis, la cour d’appel de renvoi sera tenue de motiver sa décision – au moins succinctement, en tout cas suffisamment – de telle sorte de s’assurer qu’elle a bien procédé au double contrôle de proportionnalité tel qu’exigé par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Le présent arrêt démontre de nouveau le rôle prépondérant du principe de proportionnalité et, donc, du juge national dans la résolution des conflits de droits, laquelle est nécessairement pragmatique. Seul le juge est à même d’appliquer le contrôle de proportionnalité dans les cas d’espèce, nécessairement non prévus par la loi, avec l’imprévisibilité que l’on connaît. Cette incertitude est d’autant plus problématique que si les conflits d’intérêts ont toujours innervé l’ensemble des branches du droit – le droit romain classique s’attachait déjà à résoudre les conflits d’intérêts en limitant les droits des tiers par rapport aux droits de propriété –, on assiste aujourd’hui à l’augmentation des atteintes aux droits des individus, notamment du fait de ceux qui portent une information à la connaissance du public.

J. L.

24 avril 2019 - Légipresse N°369
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