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Tribune


01/11/2013


Quelques suggestions pour une nouvelle chambre de la presse



 

I. Pour un changement d'appellation On a vanté les mérites et fait les louanges de la chambre de la presse, depuis qu'on a ainsi baptisé la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris, qui a compétence non seulement pour connaître des procès de presse correctionnels mais aussi de l'ensemble du contentieux civil de la presse jusque-là soumis à la première chambre.
Lieu de débats et de compétence, au sens culturel du terme, à la place du rendez-vous de l'élite et des affaires signalées ou surveillées, terrain d'affrontements et de rencontres de spécialistes de la matière… on y a vu se développer, à l'envi, la jurisprudence judiciaire de la défense et de la promotion de la liberté d'expression. Chacun s'en félicite et les praticiens qui la fréquentent – même si ce n'est que de temps en temps – accourent chaque année avec gourmandise, “fêter les Rois” à la galette de la chambre.
Certains cependant s'interrogent et parfois même s'insurgent. Pourquoi avoir mis l'accent sur cette liberté-là ? Certes fondamentale et essentielle au bon fonctionnement de la société démocratique, elle occupe une place éminente au sein des principes constitutionnels et il ne peut être question de la remettre en cause. Mais comme toute liberté, elle est susceptible d'abus et c'est pour les écarter ou les éviter que le droit de la presse a pris naissance et s'est développé dans ce champ clos. On ne peut que se féliciter que les juges qui sont les mieux placés pour en être, au quotidien, les gardiens, veillent scrupuleusement à ce que les limites qui y sont apportées par la loi soient les plus restreintes possible.
Après tout, en face de cette liberté si précieuse, il en existe d'autres, tout aussi respectables et la dignité de la personne humaine qui a fini par trouver sa place dans nos codes en comprend d'essentielles, qu'il s'agisse du droit au respect de la vie privée, du respect de la présomption d'innocence, du droit à l'image et du droit au respect de l'honneur et de la considération.
En polarisant sur une chambre particulière la liberté de la presse, on risque d'occulter les autres droits que ceux qui sont issus de la liberté d'expression. On l'a bien compris en transférant à cette « chambre de la presse » le contentieux civil de la presse, qu'il s'agisse des actions pour diffamation ou injures exercées au civil, le contentieux du droit de réponse, celui de la vie privée et de l'image des personnes et des biens, et celui de la présomption d'innocence. Mais, ce faisant, on a conservé la dénomination « de la presse », comme s'il n'y avait qu'elle qui comptait vraiment, comme si le mot à lui seul était à la fois l'alpha et l'oméga des droits et libertés, comme si les journalistes exerçaient une sorte de sacerdoce sacralisé, justifiant qu'on leur réserve une juridiction spéciale pour en connaître, alors qu'ils n'en veulent surtout pas sur le plan disciplinaire, comme si la dignité de la personne humaine aux contours assez flous devait passer derrière cette sacro-sainte liberté.
Avant d'être celle d'un secteur d'activités culturelles et économiques respectable, cette liberté n'est qu'une des libertés de la personne, après la liberté tout court, après le droit à la vie et à l'intégrité physique, au même rang que l'égalité, la fraternité et peut être la laïcité ; et le juge qui en est le gardien est aussi le protecteur de ces autres libertés et de ces autres droits. Le droit « de la presse » comme « la chambre de la presse » se doivent de trouver le meilleur équilibre possible entre les unes et les autres, fût-ce de manière chaotique, aux risques d'incertitudes, d'erreurs et de tâtonnements. Nul ne conteste qu'il le fasse, en tout cas qu'il s'y efforce.
Mais pour que cela se sache et que l'administration de la justice en la matière soit mieux comprise, pourquoi ne pas le signifier de manière claire, en abandonnant ce vocable : « Chambre de la presse » ? Une autre raison milite en ce sens : la loi sur la presse de 1881 et bon nombre de celles (rares, il est vrai) qui l'ont modifiée ne s'appliquent plus à la seule presse mais à tous les moyens de communication de la parole et de l'écrit, et il n'est pas besoin d'évoquer le progrès des nouvelles technologies pour le spécifier et le rappeler. Le seul fait qu'on en convienne et que toutes les dispositions applicables à la presse écrite aient été transposées à la presse audiovisuelle et à la communication en ligne devrait amener les praticiens à aborder la « presse » dans un terme qui la contienne et la recouvre. Les « médias » définis par le dictionnaire comme étant « l'ensemble des supports permettant la circulation de l'information » semblent être le terme le plus approprié, en dehors même du fait qu'il a été, en son temps, celui choisi par le Dalloz pour définir et régir ce secteur. Reste à trouver un terme assez précis et générique qui recouvre les droits de la personne, qu'il s'agisse de la « dignité de la personne humaine » quelque peu ostentatoire et déclamatoire, la « personne humaine » qui, par l'emploi de son adjectif, semble devoir écarter les personnes morales qui ont aussi des droits du même ordre.
Faute de pouvoir énoncer en face de la liberté de la presse toutes les libertés reconnues et protégées et dans un souci de brièveté et de condensation, nous suggérons : « Chambre des droits des

personnes et des médias » ou « Pôle des droits des personnes et des médias ».
Cette réforme du domaine du verbe qui n'appelle, somme toute, qu'une décision présidentielle administrative, peut s'accompagner d'une liste récapitulative des matières qui lui sont dévolues et au rang desquelles on devrait inscrire toutes les infractions à la loi du 29 juillet 1881 et particulièrement la diffamation ; tout ce qui concerne la liberté de communication audiovisuelle dans les lois de 1982 et 1986 ; les dispositions répressives de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance en l'économie numérique ; le contentieux du droit à l'image, au nom patronymique et au respect de la vie privée ; les recours en insertion forcée du droit de réponse dans la presse écrite et dans la presse audiovisuelle ; le respect de la présomption d'innocence (loi du 15 juin 2000). Et il semblerait cohérent d'y rajouter (mais alors ceci appellerait sans doute une réforme réglementaire) : le droit moral du Code de la propriété intellectuelle et les droits reconnus aux associations par les articles 2 et suivants du Code de procédure pénale pour les infractions dont la réparation peut être poursuivie à leur initiative lorsqu'il s'agira de paroles ou d'écrits.
Ainsi tous ceux et toutes celles qui sont victimes d'atteintes aux droits de la personne humaine et toutes les associations qui ont pour objet aux termes de leurs statuts de promouvoir et de défendre l'existence et le respect de ces droits devraient pouvoir se retrouver au même endroit, sous l'oeil du public et du Ministère public, en un lieu qui serait en quelque sorte le carrefour judiciaire des droits et libertés et non plus le champ clos d'un petit nombre.
Cette réforme ne devrait d'ailleurs pas être limitée à Paris et à Lyon où l'on a instauré une « chambre de la presse ». Les autres tribunaux et les cours devraient l'adopter, tout au moins partout où il existe une chambre spécialisée en ce domaine. On échapperait ainsi au grief de parisianisme et on répandrait sur tout le territoire, aux yeux de l'opinion, que le droit de la presse est d'abord et aussi le droit des personnes.
II. Pour une «dé-civilisation » du contentieux des médias et de la presse En marge ou à côté de cette réforme linguistique et médiaticoadministrative, ne pourrait-on réfléchir à la “dé-civilisation” du contentieux des médias et de la presse ? Puisqu'il a été question de dépénaliser ce contentieux (projet qui semble refusé par la plupart, réprouvé, et même abandonné) faut-il pour autant en rester là ? Ce n'est pas seulement par goût pour la polémique qu'il convient de s'interroger sur l'orientation inverse.
à quoi tient et à quoi rime le maintien de la dualité de recours pour l'exercice du droit des victimes d'infractions de presse ? Dès lors qu'elles constituent des infractions qui portent tort, elles peuvent faire l'objet d'une action civile de la part des victimes qui ont à s'en plaindre, et ce n'est pas parce qu'il s'agit d'affaires entre particuliers qu'elles ne concernent pas l'ordre public. Dans la mesure où ce droit fondamental leur serait réservé, à quoi bon continuer d'entretenir la dualité de l'option ? Quelle que soit la voie qu'elles choisissent, les victimes pourront obtenir la réparation qui leur est due, avec en plus – en choisissant la voie pénale – le droit de le faire sans en passer par un avocat, dont le ministère n'est pas obligatoire en la matière. Pourquoi ne pas choisir et ne pas privilégier la voie pénale, à la fois ouverte à tous, et facilement accessible ? Il ne peut être question de protéger et garantir le maintien d'un monopole de postulation reconnu aux avocats pour exercer ses droits, sans y être obligé.
On ne voit pas l'intérêt qui subsiste à maintenir cette option qui, en revanche, présente quelques sérieux inconvénients : le recours à la voie civile écarte le Ministère public des débats auxquels doit donner lieu le procès de presse. On peut certes se passer de lui pour appliquer le droit, mais abondance de bien ne nuit pas, et mieux vaut, s'agissant de l'exercice des droits fondamentaux de la personne, qu'il ait son mot à dire. Cela lui rappellera qu'il est au service du droit, mais aussi de la personne et que pour la société qu'il représente, la défense de la personne doit être en première ligne. À cet égard, la proposition de dépénalisation du droit de la presse, présentait notamment cet inconvénient majeur, qui aboutissait à l'évincer de ce contentieux où il a toute sa place. À quoi rime l'exigence nouvelle de la jurisprudence, qui consiste à imposer, même au civil, le respect des exigences de l'article 53 de la loi de 1881, si ce n'est pour s'assurer de l'intervention du Ministère public dans les causes qui le méritent ? On sait assez d'expérience, le mal qu'il y a à susciter son intervention dans les causes non obligatoirement communicables de droit, pour attacher du prix au maintien réglementaire de la communication des matières qui touchent aux droits des personnes et aux libertés.
On y voit l'avantage de ramener le droit à son utilité et à sa raison d'être qui est d'abord de mettre du droit là où il en faut, et ensuite, d'apporter aux personnes la vigilance institutionnelle et désintéressée des magistrats chargés d'assurer le respect de la loi. On y voit ensuite l'avantage de permettre la mise en oeuvre et le maintien d'une procédure accusatoire, plus protectrice de la personne, et trop rare dans notre tradition.
Ce n'est pas que les juges de la chambre de la presse soient plus sensibles que les autres à ces questions qui leur confèrent une compétence privilégiée par rapport à celle de leurs collègues, et l'on ne doute pas de l'attention que pourraient porter les juges de droit commun au sort des droits qui leur seraient soumis seulement en fonction de leur spécialisation. Mais dès lors qu'on en désigne qui ont pour mission permanente de s'en occuper, on peut se rassurer davantage à l'idée que ces droits seront mieux protégés, s'ils sont soumis à l'examen collégial d'une juridiction spécialisée. L'idée de regrouper devant la même chambre le contentieux civil et pénal en la matière n'était pas une mauvaise idée, mais sa mise en oeuvre fait ressortir la primauté du pénal sur le civil, aussi bien pour les victimes des médias que pour leurs défenseurs. En pénalisant le contentieux de la presse, on en restreindrait l'usage et la pratique et on inciterait les uns et
1er novembre 2013 - Légipresse N°310
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