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Audiovisuel
/ Tribune


01/11/2011


Chronologie des médias : un statu quo déraisonnable



Pascal ROGARD
Directeur général de la SACD http://www.rogard.blog.sacd.fr/
 

La chronologie des médias est sans doute au cinéma ce que la Constitution est à la République : un socle indispensable et la garantie de sa pérennité. En organisant successivement les fenêtres d'exploitation des films et en garantissant, pour certaines d'entre elles, des exclusivités de diffusion, la chronologie des médias a permis de mettre sur pied un système efficace et unique de préfinancement du cinéma français. Pour autant, cette chronologie des médias ne saurait être ni une vache sacrée ni une réglementation immuable.
Malheureusement, les quelques modifications apportées par une partie des professionnels du cinéma en juillet 2009, sous la forte pression du Parlement, ont surtout été cosmétiques. La vidéo à la demande par abonnement (VàDA) et la VàD gratuite ont été reléguées à 36 et 48 mois après l'exploitation des films en salles. Ce changement n'a pas permis de tenir compte de la nouvelle donne numérique qui traverse le champ audiovisuel.
Devant ce décalage troublant entre la nécessité de constituer une offre légale alternative crédible face au piratage et la réalité d'un texte qui fixe des règles minimales, pour ne pas dire minimalistes, nous avions souhaité nous tenir à l'écart. Nous ne retrouvions pas dans cet accord l'ambition qui était portée dans les accords de l'Élysée de 2007, pourtant signés par tous, de promouvoir comme réponse aux téléchargements illicites le développement d'une offre légale abondante et attractive.
Deux ans après la signature de cet accord, rien n'a changé, ni l'inertie de professionnels, ni l'attitude des pouvoirs publics, qui ne créent pas les conditions nécessaires à un nouveau développement pour les services numériques. Pour ceux qui sont attachés, comme nous, à la chronologie des médias, ce statu quo est aussi choquant qu'inquiétant et anachronique : alors que la chronologie des médias avait toujours modulé les fenêtres d'exploitation des films en fonction de la nature du service, gratuit ou payant, et des engagements pris en faveur du financement de la création, nous sommes entrés avec cet accord dans une nouvelle ère dans laquelle la VàD par abonnement et gratuite ne peut être disponible qu'après la diffusion des oeuvres sur les chaînes de télévision. Ce report tardif est d'autant plus incompréhensible qu'il n'est même pas associé à de véritables dérogations et qu'il se met en place sans tenir compte des engagements que ces opérateurs peuvent prendre à l'égard de la création.
Inquiétante, la situation l'est aussi dans le contexte européen.
La Commission européenne a récemment publié un livre vert, élaboré autour de la distribution en ligne d'oeuvres audiovisuelles dans l'Union européenne dans lequel elle s'interroge sur la pertinence de la chronologie des médias.
Dans ce cadre, la décision des professionnels de reconduire, au printemps dernier, pour une nouvelle année, l'application de l'accord de 2009, sans même ouvrir de concertation sur certaines évolutions applicables à la VàD par abonnement et à la VàD gratuite, nous semble plus dangereuse encore. Ce n'est pas rendre service à la chronologie des médias que de clamer son adaptation parfaite à l'univers numérique et de justifier sa rigidité extrême. C'est a contrario une source de fragilité importante.
Or, la fragilité juridique de la chronologie des médias est une évidence aux yeux de la jurisprudence européenne. Dans un arrêt Cinéthèque de juillet 1985, la Cour de justice avait validé la chronologie française des médias au nom de trois motifs : les règles françaises n'avaient pas établi de distinction et de discrimination entre films français et films non français ; la chronologie poursuivait un but culturel, en l'occurrence la protection des salles de cinéma ; les règles adoptées étaient proportionnées à l'objectif visé dans la mesure où elles prévoyaient des dérogations et des fenêtres rapprochées pour les films qui n'avaient pas dépassé un certain nombre de spectateurs en salle.
Ces dérogations ont aujourd'hui totalement disparu pour la vidéo à la demande et ont rendu le système aussi rigide que fragile à l'égard de cette jurisprudence communautaire. Même les films qui n'ont ni chaînes en clair ni chaînes payantes dans leur financement (environ 10 % des films) sont interdits d'exploitations en VàD durant les fenêtres réservées aux chaînes de télévision et doivent attendre, quoiqu'il arrive, 36 mois pour être diffusés en VàDA ou 48 mois pour bénéficier d'une exploitation en VàD gratuite. Rien ne saurait justifier ces rigueurs extrêmes qui sont une atteinte à la libre expression des créateurs.
L'heure est bel et bien à la construction d'un nouveau cadre qui encourage le développement des offres légales sans pour autant fragiliser les chaînes de télévisions. À l'évidence, ce nouvel équilibre raisonnable devrait passer par des mécanismes ouvrant la voie, non pas à une remise en cause de la chronologie des médias dans son principe, mais à la mise en place de dérogations dans des cas clairement identifiés. Celles-ci pourraient concerner notamment les films qui ne trouvent pas aujourd'hui auprès des chaînes hertziennes, gratuites ou payantes, le moyen d'être diffusés et exposés.
Le débat mériterait d'être ouvert rapidement, si nous ne voulons pas nous réveiller trop tard, harcelés par un piratage croissant et menacés par le droit européen.
1er novembre 2011 - Légipresse N°288
954 mots
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