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Tribune


01/07/2011


L'abus de lois est dangereux pour le droit



« Il est parfois nécessaire de changer certaines lois mais le cas est rare et, lorsqu'il arrive, il ne faut y toucher que d'une main tremblante (…) Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » Montesquieu, De l'esprit des lois, 1748.

 

Le 17 mai 2011, était promulguée la loi n° 2011-525 dite, sans humour ni scrupules, « de simplification et d'amélioration de la qualité du droit » : 200 articles touchant aux différentes branches du droit et ravalant les différents codes. Autrefois, ces dispositions étaient qualifiées de « mesures d'ordre » ! Répondant à une évidente exigence, l'objectif est louable. Il n'est pas certain qu'il ait véritablement été atteint. Le texte voté a d'ailleurs fait l'objet d'une saisine du Conseil constitutionnel. Les députés requérants mettaient en cause « l'intelligibilité et l'accessibilité de la loi » ! Diverses dispositions constitutives du droit de la communication sont, ainsi et officiellement dans ce but, la matière de quelques corrections et modifications partielles. Un travail d'une beaucoup plus grande ampleur serait, à cet égard, tout à fait indispensable. Il reste tout entier à accomplir.
L'occasion est ainsi donnée de mentionner brièvement quelques éléments de ce que pourraient en être l'objet (I) et la méthode (II).
I. Objet S'agissant de l'objet d'une telle entreprise « de simplification et d'amélioration de la qualité du droit » de la communication, il suffit de faire état de ce qui devrait être un objectif général (A), auquel cette discipline ne peut ni ne doit évidemment pas échapper, et d'en identifier quelques éléments particuliers (B).
A. Objectif général Bien plus fondamentalement que de faire l'objet de quelques dispositions législatives qui, même si elles prétendent à cela, n'y contribuent ou n'y parviennent d'ailleurs pas toujours véritablement, la simplification et l'amélioration de la qualité du droit constituent un objectif de valeur constitutionnelle et une exigence formulée par la Cour européenne des droits de l'homme (Cedh). Se référant à cet impératif général de « clarté de la loi », le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision n° 2005- 512 DC du 21 avril 2005, énonce « qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; qu'à cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ». La même formulation est reprise dans la décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 visant la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.
Pour sa part, exigeant que l'ingérence contestée soit « prévue par la loi », la Cedh estime que « les deux conditions suivantes comptent parmi celles qui se dégagent des mots “prévues par la loi”. Il faut d'abord que la “loi” soit suffisamment accessible : le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants (…) sur les normes juridiques applicables à un cas donné. En second lieu, on ne peut considérer comme “loi” qu'une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite ; en s'entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable (…) les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé » (1). Encore faudrait-il que les arrêts de ladite Cour ne soient pas eux-mêmes trop incertains et imprévisibles (2) ! Dans l'exposé des motifs de la proposition de loi (3), à l'origine du texte du 17 mai 2011, il est fait état de ce qu'elle « est la troisième initiative parlementaire de simplification du droit de la présente législature. Face à la complexité du droit si souvent dénoncée, le Parlement doit agir résolument pour remédier à ce mal français. Les deux précédentes propositions de loi, qui sont respectivement devenues la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit et la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allégement des procédures, ont permis d'abroger un grand nombre de textes désuets, de clarifier de nombreux pans de notre législation, de corriger des erreurs de rédaction ou de coordination ». Assurément, cela ne suffisait pas ! Il en est ici comme des multiples mesures dites « de simplification administrative » annoncées qui se succèdent et se surajoutent les unes aux autres. Elles ne font, bien souvent, que compliquer les choses. Simplifier c'est élaguer, et non rajouter. La clarté suppose de laisser reposer. L'agitation ne mène qu'au trouble.

B. Éléments particuliers L'objectif de simplification et d'amélioration de la qualité » du droit de la communication, devrait notamment : par une claire identification de la notion de “publication” (4), contribuer à mieux délimiter son champ d'application ; par une meilleure compréhension de l'état des techniques et de la réalité de leurs utilisations, permettre, entre les prestataires techniques et les éditeurs de services, de désigner plus sûrement les personnes responsables des messages et des contenus accessibles à travers les services de communication au public en ligne ; parce que ces derniers, ne connaissant plus de frontières, ont amplifié les difficultés, simplifier la très délicate question de la détermination de la loi applicable et des juridictions compétentes (5) ; par une plus grande rigueur dans le vocabulaire et dans le droit, conduire à mieux identifier les journalistes professionnels (6) et, lorsque cela est nécessaire et justifié, remédier, à l'égard de la distinction entre salariés permanents et pigistes, aux excès liés à l'application de la présomption de salariat et de requalifications contractuelles qui réduisent à peau de chagrin le principe de Cdd d'usage ; actualiser et reconsidérer bien des dispositions de la loi du 29 juillet 1881, etc.
II. Méthod e À l'égard de la méthode d'élaboration de la loi et des règlements et, plus précisément, de la satisfaction de l'objectif de simplification et d'amélioration de la qualité du droit de la communication, pourraient en être dénoncée la réalité actuelle (A) et suggérées quelques modalités nouvelles (B).
A. Réalité actuelle En l'état actuel, et même si cela ne lui est pas spécifique (7), le droit de la communication se caractérise par : la longueur et l'abondance des textes ; leur dispersion matérielle ; en l'absence de perspective d'ensemble et de référence à quelques principes, leur incohérence intellectuelle ; leur très grande instabilité, conséquence d'incessantes modifications ou mises à jour supposées, par des dispositions de détail, en permettre l'adaptation à l'évolution des techniques et des usages et qui ne font, en réalité, qu'accentuer le retard et creuser le fossé ; le renvoi, en une sorte de “jeu de lois”, d'une disposition à une autre ; le caractère daté, inadapté ou, aujourd'hui, non justifié de nombre de dispositions de la loi de 1881 ; la réponse à des revendications catégorielles… Une telle situation met chacun dans un très grand embarras. La porte est, de ce fait, désormais ouverte à de multiples questions prioritaires de constitutionnalité (Qpc) (8)… qui accroîtront les risques et les incertitudes, avant de constituer éventuellement un moyen pour y remédier ou d'espérer ainsi le faire. La procédure a toutefois le mérite de vivifier le droit constitutionnel et de faire du citoyen requérant un possible acteur de la refonte légale.
B. Modalités nouvelles La simplification et l'amélioration de la qualité du droit de la communication exigent sans doute, à l'inverse de ces incessantes modifications partielles, qu'une pause législative soit respectée.
La codification du droit de la communication (9), annoncée, envisagée mais jamais réalisée, permettrait, après avoir identifié, par référence à la notion de “publication”, tous les textes applicables, de les rassembler de manière à les rendre matériellement plus accessibles. Elle permettrait de faire apparaître aussi bien les inutiles répétitions que les inacceptables incohérences et contradictions.
Plutôt que de prétendre légiférer par des dispositions de détails, correspondant à un état transitoire des techniques et de leurs usages (10) autant qu'à la volonté de résoudre un problème passager ou de satisfaire une revendication catégorielle, mieux vaudrait se référer à quelques principes fondamentaux, généraux et durables (liberté, responsabilité, équilibre des droits…), grâce auxquels les questions ou les difficultés particulières pourraient trouver leurs solutions.
Pour permettre aux parlementaires de comprendre pleinement le sens et la portée de leurs interventions, ne devrait-on pas ne soumettre à leur vote définitif que des textes “consolidés”, intégrant les dispositions modificatrices nouvelles ? Ils sont, par celles-ci, le plus souvent, bien davantage fragilisés… La simplification et l'amélioration de la qualité du droit, et du droit de la communication particulièrement, constituent un objectif que nul ne devrait honnêtement contester. Les principales méthodes en sont même, probablement depuis longtemps, déjà identifiées. Comment se fait-il alors qu'elles ne soient pas mises en oeuvre ? En cette matière comme en toute autre, il convient de n'agir que d'« une main tremblante ». Mais il semble que l'Etat ait plus retenu de Parkinson que de Montesquieu.
1er juillet 2011 - Légipresse N°285
1705 mots
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