01/05/2011
Télévision connectée : l'heure de la convergence a-t-elle vraiment sonné ?
Corinne THIÉRACHE
Avocat au Barreau de Paris - Associé de la Société d'avocats Alerion
Traditionnellement, il a toujours été procédé à une distinction entre le support télévisuel et internet. Les rapprochements réalisés entre ces deux supports n'ont jamais conduit, même jusqu'à récemment, à une réelle convergence de ces deux médias. Le support internet était ainsi pensé comme une offre accessoire au support linéaire de la télévision classique, mettant à la disposition du téléspectateur une plus grande souplesse dans la réception des programmes, notamment par l'intermédiaire des services non linéaires tels que des Smad (Services de médias audiovisuels à la demande).
L'apparition des télévisions connectées et l'engouement du public pour cette nouvelle technologie de diffusion des contenus semblent annoncer aujourd'hui la possibilité d'une véritable convergence de ces deux médias. Connectées directement à internet (par Wifi ou par un port ethernet) ou indirectement à l'aide d'un boîtier (consoles de jeux
), les télévisions connectées représentent une nouvelle source de contenus externes sur le flux vidéo des chaînes de télévision, faisant ainsi cohabiter sur un même support des services audiovisuels régulés, mais aussi des services non régulés accessibles sur internet.
Face aux possibilités illimitées offertes par la télévision connectée (navigation, publicité, interactivité) et notamment la liberté de faire apparaître sur l'écran des messages en surimpression comme sur un écran d'ordinateur, il apparaît nécessaire de mettre en place des mesures pour limiter les comportements anticoncurrentiels entre éditeurs de chaînes TV et les comportements pouvant nuire de manière générale au téléspectateur et aux droits des auteurs des contenus. Ceci n'a pas échappé aux différents acteurs qui sont à l'origine de plusieurs initiatives récentes.
Ainsi les principaux éditeurs de chaînes de télévision en France ont signé une charte le 19 octobre 2010 sur les modalités d'affichage des contenus et services en ligne sur les télévisions connectées et autres matériels vidéo connectés (1). Cette charte souligne la nécessité d'une concertation entre les éditeurs et les constructeurs de télévision et autres matériels vidéo, notamment par le biais de l'adoption d'une « norme technique harmonisée » qui permettra de consacrer des principes généraux de navigation communs à tous les téléviseurs et autres matériels vidéo. Loin de l'interactivité sans limite promise au téléspectateur, les éditeurs TV sont convenus de conserver le contrôle total et exclusif de l'écran, en particulier sur les contenus et les services affichés en surimpression ou autour de leurs programmes diffusés. Les signataires partent du postulat qu'ils sont des acteurs traditionnels déjà sensibilisés aux contraintes réglementaires en vigueur et naturellement susceptibles de garantir la conformité des contenus affichés avec les conventions et cahiers des charges préexistants les liant aux ayants droit dont les oeuvres sont diffusées sur les chaînes.
De son côté, le Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste) et le Csa ont respectivement mené des réflexions, les 8 et 28 avril 2011 sur l'avenir des télévisions connectées, auxquelles ont participé des acteurs issus du monde traditionnel de la télévision mais également de la nouvelle économie. De nombreuses interrogations ont été soulevées, avec peu de réponses en définitive, tant le sujet recèle d'incertitudes, et pas seulement juridiques, ne serait-ce qu'au regard de la multiplicité des offres et approches des différents acteurs (2).
Ces réflexions, riches en échanges, faisaient elles- mêmes suite à une récente intervention du ministre de la Culture, à l'occasion du Miptv à Cannes, résumant la situation de la manière suivante : « Ces terminaux opèrent une liaison nouvelle entre le monde de la télévision et celui de l'internet, encadrés par des réglementations différentes. Leur impact sur l'économie du secteur audiovisuel et sur les modes de consommation de l'image est une source d'inquiétudes, même s'ils sont aussi synonymes d'opportunités. » (3)
Ainsi, le contrôle de l'écran est devenu un véritable enjeu, non seulement pour les acteurs du marché mais également pour les autorités régulatrices (Csa, Arcep, Arpp, Cnn
) dont les compétences concurrentes risquent de poser des difficultés dans un contexte d'application distributive des règles des différents services proposés dans le cadre de la télévision connectée. Par ailleurs, on peut anticiper le fait que cette même application distributive des règles ne sera pas sans poser problème s'agissant, en particulier, à la fois d'un risque de distorsion de la concurrence et du contrôle de l'écran. Cette application se heurte en effet au vide juridique concernant le contrôle des surimpressions dans certains services (services de communications électroniques) et au caractère inadapté des dispositions existantes (régime allégé de responsabilité de l'hébergeur incompatible avec le principe de contrôle total et exclusif de l'écran par les éditeurs prévu dans le Charte du 19 octobre 2010).
Bien que quelques règles aient été posées spécifiquement pour les services de médias audiovisuels à la demande, notamment à travers le décret n° 2010-1379 du 12 novembre 2010, il semble nécessaire de faire application par analogie de celles existantes encadrant la diffusion traditionnelle de contenus télévisuels. Il conviendra toutefois d'adapter ces règles, afin de prendre en compte l'effacement des frontières entre les supports, conformément au principe de neutralité technologique.
Malgré de nombreuses incertitudes, il convient d'appréhender ce contrôle de l'écran sous trois objectifs principaux.
Tout d'abord, ce contrôle de l'écran devra s'assurer, en appliquant aux services non régulés a minima les règles encadrant d'ores et déjà la diffusion de contenus télévisuels qui ont fait leur preuve, de la conformité des surimpressions à caractère publicitaire à la réglementation en vigueur (réglementation sectorielle). En effet, ces messages publicitaires constitueront la majeure partie des messages en surimpression sur l'écran. Les possibilités techniques offertes en matière de publicité sur les télévisions connectées empruntées à internet et notamment les différents formats possibles (bannières, pop up, publicité audio vidéo) laissent une marge de manoeuvre importante aux annonceurs s'agissant de l'occupation de l'écran. Les nombreuses dérives liées aux pratiques publicitaires constatées ces dernières années sur internet ne doivent pas migrer sur la télévision connectée. Il semble donc intéressant de faire application des règles relatives à la publicité sur écran partagé ou technique du « split screen », ou encore à la publicité interactive abordées notamment par une communication interprétative du 28 avril 2004 de la Commission européenne, qui envisageait dès cette époque des éléments de séparation sonores, optiques voire spatiaux entre partie éditoriale et publicité, annonçant ainsi la Directive Sma du 11 décembre 2007.
Un second objectif sera de veiller à l'absence d'atteinte à l'intégrité de l'oeuvre par ces surimpressions. Se pose ici la question du droit moral de l'auteur. Cette problématique sera certainement accrue dans le cadre de la télévision connectée compte tenu de la multiplication des incrustations en surimpression dans les écrans (incrustations classiques de logo, widgets, applications dédiées, messages publicitaires, écran partagé). Dans le secteur traditionnel de l'audiovisuel, la question du respect de l'intégrité de l'oeuvre a été débattue à plusieurs reprises devant les tribunaux. Les juges ont de manière constante fait primer le droit moral des auteurs et notamment le droit à l'intégrité de l'oeuvre sur les modalités techniques d'affichage employées par les éditeurs de chaînes de télévision (4). Il paraît donc essentiel, afin d'anticiper sur les éventuelles atteintes au respect de l'intégrité de l'oeuvre qui sera diffusée via la télévision connectée, d'encadrer en amont le droit moral de son auteur. Toutefois, ces précautions d'ordre contractuel ne seront pas suffisantes. Il sera nécessaire, encore une fois par le biais du contrôle de l'écran, de s'assurer que les surimpressions ne dénaturent pas l'oeuvre ou ne sont pas contraires à l'esprit de cette dernière. Enfin, la migration des contenus d'internet sur la télévision rendra nécessaire une plus grande vigilance des éditeurs de chaînes de télévision notamment s'agissant de la vérification de la chaîne des droits et de l'autorisation de diffusion sur le support télévisuel.
Un troisième objectif du contrôle sera d'empêcher tout comportement anticoncurrentiel. Afin de garantir une concurrence saine entre les éditeurs de chaînes de télévision, il conviendra de veiller à l'absence d'utilisation de messages en surimpression par une chaîne concurrente aux fins d'inciter, par exemple, le téléspectateur à changer de programmes.
Pour le moment, force est de constater que la convergence telle qu'idéalisée et promise n'est pas encore vraiment au rendezvous.
Le contrôle de l'écran reste nécessaire afin d'encourager le développement de la télévision connectée, notamment pour conforter la confiance du téléspectateur dans l'utilisation de cette nouvelle technologie de diffusion des contenus. Les éditeurs de chaînes de télévision ont été les premiers à franchir le pas dans l'autorégulation afin de continuer à assurer un contrôle exclusif et total de l'écran. Les constructeurs de télévision et de matériels vidéo, par leur influence technique, doivent faire partie intégrante de ce contrôle. Il serait également possible d'aller plus loin dans l'autorégulation par un rapprochement avec d'autres acteurs du marché tels que les annonceurs et autres acteurs de la publicité, et plus généralement tous les acteurs de la nouvelle économie.
Cependant, un contrôle de l'écran trop restrictif ne doit pas mettre à mal les promesses d'interactivité faites à l'utilisateur dans le cadre de la télévision connectée. Cela sonnerait la fin de toute perspective de développement et de réelle convergence.
1er mai 2011 - Légipresse N°283