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Tribune


01/01/2011


Droit à l'information et droit au secret : pour un équilibre des droits



 

« Tout, tout, tout, vous saurez tout (…) le vrai, le faux (…) tout, tout, je vous dirai tout » (1). Même en démocratie et dans un État de droit, cela est-il possible, nécessaire et justifié ? Divers secrets ne méritent-ils pas d'être protégés ? N'est-il pas légitime que la divulgation de quelques informations soit limitée à certaines personnes ou reportée dans le temps ? Aussi vive que soit la curiosité des journalistes et du public, celleci ne doit pas être confondue avec le droit à l'information.
Tout ce qui intéresse n'est pas pour autant d'intérêt général ou public (2). La transparence absolue est porteuse de lourdes menaces pour les droits des individus et pour l'ordre public.
Les indiscrétions malsaines et les ingérences dans les droits d'autrui ne doivent pas pouvoir se parer de nobles motivations. Tous les moyens ne sont pas légitimes pour collecter et diffuser des informations. La qualité du travail journalistique ne s'apprécie pas au fait d'avoir percé des secrets ou d'avoir été le premier à le faire. Le prétendu journalisme d'“investigation” ne doit pas être confondu avec l'attitude qui consiste à n'être que le relais et ainsi le complice ou le receleur de vols de documents et de violations de secrets. Il risquerait de n'être qu'un instrument de manipulation des journalistes par leurs sources et de déformation de l'information offerte au public. La fin ne justifie pas tous les moyens. Les journalistes peuvent-ils raisonnablement et sans contradiction se prévaloir d'un droit au secret qu'ils nient à tous les autres ? Diverses affaires récentes (WikiLeaks, Karachi, Woerth-Bettencourt, Médiator…) (3) conduisent à considérer ce conflit entre deux droits – à l'information et au secret – contraires. Ils ont chacun leur valeur et leurs justifications. Mais ils ne peuvent, pas plus qu'aucun autre, être considérés comme absolus. N'est-ce pas la fonction générale du droit que de parvenir à concilier des droits apparemment opposés ? Pourquoi le droit de la communication y échapperait-il ? Dans notre tradition juridique nationale, sans doute partiellement remise en cause désormais par la jurisprudence de la Cour Edh (4), tout, en la matière, est question de recherche d'un juste équilibre. Il n'y a pas de démocratie véritable sans liberté de communication et droit à l'information. Aussi essentielle qu'elle soit, la seule liberté d'expression ne peut suffire. Elle doit être complétée et confortée par la reconnaissance d'un droit du public à l'information.
Celui-ci exige que les journalistes puissent mener un véritable travail d'enquête, de façon à ce que des informations gênantes ou compromettantes pour des pouvoirs (politiques, économiques, industriels, judiciaires… mais aussi médiatiques) ne puissent pas être cachées, et le poursuivre pour que diverses affaires ne soient pas étouffées.
Certains textes internationaux consacrent solennellement le droit « de chercher, de recevoir et de répandre » (Déclaration universelle des droits de l'homme, de 1948) ou de « recevoir ou de communiquer des informations » (Convention de sauvegarde des droits de l'homme, de 1950). Dans la formulation plus ancienne de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de 1789, notre droit national semble ne reconnaître, à ce niveau, que la « libre communication des pensées et des opinions » (Ddhc). Bien des dispositions, relatives à l'accès aux documents administratifs, aux archives, aux « événements d'importance majeure »… mettent cependant en oeuvre, sans qu'on en ait toujours pleinement conscience, ce principe du droit à l'information. Il en est également ainsi de diverses immunités (comptes rendus d'audience des juridictions et des débats des assemblées parlementaires) et de différentes exceptions aux droits de propriété intellectuelle.
C'est officiellement à cette fin que l'État, par un régime économique et fiscal de faveur, accorde son aide à de multiples secteurs (entreprises de presse, agences, messageries, production cinématographique et audiovisuelle…) de la communication. C'est aussi pour cela qu'est légalement admis l'apport de la preuve de la vérité du fait diffamatoire ou que les juridictions retiennent la notion de bonne foi, concilient protection de la vie privée et droit à l'information ou, plus généralement, sous l'influence de la jurisprudence de la Cour Edh notamment, font pencher la balance du côté du droit à l'information.

Selon des formulations maintes fois reprises, la Cour européenne ne considère-t-elle pas que l'article 10 de la Conv. Edh « garantit non seulement à la presse la liberté d'informer le public, mais aussi à ce dernier le droit à des informations adéquates » (le sont-elles toujours ?) et que cette liberté « vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives et indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population » ? Tout en estimant qu'« elle ne se trouve pas devant un choix entre deux principes antinomiques, mais devant un principe – la liberté d'expression- » ladite Cour admet qu'il soit « assorti d'exceptions ». Elle pose néanmoins que celles-ci « appellent une interprétation étroite » et c'est ainsi que, le plus souvent, elle statue ! Les textes nationaux, européens et internationaux, qui consacrent la liberté de communication, prévoient cependant que des limites y soient apportées, au nom du respect d'autres droits concurrents. Les secrets constituent évidemment les restrictions les plus fortes à la liberté de communication. Pourtant, dès lors et tant qu'ils sont légalement définis en démocratie et que la sanction de leur violation est assurée par des juges indépendants, leur légitimité ne peut être remise en cause.
Posés par la loi, les secrets doivent être respectés par tous. Il ne servirait à rien de définir des secrets si les médias, qui sont susceptibles de donner à leur violation le plus large écho, n'y étaient pas tenus et s'ils pouvaient impunément les violer ou être complices ou receleurs de tels manquements. Sans en faire des droits qui, pas plus qu'aucun autre, ne peuvent être absolus, peut-on raisonnablement contester la légitimité des secrets de la vie privée, de l'enquête et de l'instruction, de la défense, des relations diplomatiques, des affaires… Nul, pas même les journalistes et les médias, ne peut raisonnablement prétendre les pénétrer et les exploiter publiquement. En cas de contestation sur la justification d'un secret ou l'usage qui en est fait, c'est devant le juge que le litige doit être porté et par lui qu'il doit être résolu. C'est seulement par une loi nouvelle qu'un secret légalement déterminé peut être remis en cause. Le contrôle de constitutionnalité des lois constitue une garantie du bien-fondé d'un secret. Son respect s'impose alors à tous.
Au-delà des droits qui leur sont reconnus à cet égard, les journalistes ne peuvent pas prétendre à la protection de leurs sources d'information (5) pour assurer l'impunité de leurs informateurs, coupables de violations de secrets, d'intrusions dans des données protégées ou de vols de documents. N'y a-t-il pas quelque incohérence ou paradoxe de leur part, à revendiquer, pour eux-mêmes, un droit à la protection de leurs sources, alors qu'ils nient la justification de tout secret ? Dans différents arrêts (27 mars 1996, Goodwin c. Royaume-Uni ; 25 février 2003, Roemen et Schmit c. Luxembourg ; 15 juillet 2003, Ernst et autres c. Belgique ; 27 novembre 2007, Tillack c.
Belgique ; 15 décembre 2009, Financial Times c. Royaume-Uni ; 14 septembre 2010, Sanoma Uitgevers BV. C. Pays-Bas…) (6) la Cour Edh a posé que « la protection des sources journalistiques est l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse ». À l'encontre de la France, elle a considéré que la condamnation de journalistes pour recel de violation de secret « ne représentait pas un moyen raisonnablement proportionné à la poursuite des buts légitimes visés » (21 janvier 1999, Fressoz et Roire ; 7 juin 2007, Dupuis et autres).
Convient-il de se résigner à la volonté ou à la pratique médiatique d'une totale transparence, en tout temps et par tous moyens, y compris par la violation de secrets et le vol de documents… sauf en ce qui concerne les sources des journalistes qui devraient pouvoir être protégées ? Légalement définis, des secrets, considérés comme nécessaires et justifiés, doivent être respectés par tous, y compris par les médias. Le droit à l'information ne justifie pas toutes les curiosités, les indiscrétions malsaines et les atteintes ainsi portées aux droits individuels ou collectifs.
Grâce à l'intervention du législateur et des juges, le droit est recherche de conciliation et d'équilibre entre des droits et des intérêts apparemment concurrents. Il en est ou devrait en être également ainsi entre droit à l'information et droit au secret et, plus largement, de tout le droit de la communication. Sans cela, il ne saurait être question de droit…
1er janvier 2011 - Légipresse N°279
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