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Tribune


01/04/2010


Quelle nouvelle procédure pénale pour la presse? Présentation des incidences de l'avant-projet de nouveau code de procédure pénale



 

Le président de la République a annoncé il y un an qu'un grand chantier de notre procédure pénale serait mis en oeuvre pour la fin de la législature, dont le pivot serait la disparition du juge d'instruction au profit du parquet.
La Chancellerie vient de remettre un projet qu'elle a soumis à concertation des différents personnels judiciaires.
Ce projet comporte plus de 430 articles sur plus de 220 pages. Et encore ne concerne-t-il que la phase d'enquête, la phase de jugement et d'exécution et application des peines devant faire l'objet d'un texte ultérieur.
L'architecture nouvelle proposée par cet avant-projet est la suivante : À défaut d'instruction, il n'y aura plus qu'une procédure unique d'enquête qui sera menée par le procureur de la République sous le contrôle du Juge de l'enquête et des libertés (JEL) ou sur celui, pour les questions de mise en détention provisoire, du tribunal de l'enquête et des libertés (TEL). Le JEL garantit, aux termes du projet, le déroulement contradictoire équitable et impartial de la procédure.
Il devra contrôler les investigations menées en statuant sur les demandes formées par les parties. La chambre de l'enquête et des libertés (CHEL) connaîtra des appels formés contre les ordonnances juridictionnelles du JEL ou du TEL, en succédant à la chambre de l'instruction dans le système actuel.
Quelles modifications cela emportera-t-il sur la procédure des délits de presse, dont le livre IV du livre Ier précise qu'ils figurent parmi les infractions soumises à des règles spécifiques de procédure pénale, sans en dire plus? On doit comprendre que cette spécificité se rapporte aux règles particulières de la loi du 29 juillet 1881, dont il n'est pas prévu l'abrogation ou la modification.
Les nouvelles règles proposées revoient la qualité de partie civile (I). Elles modifient en outre l'engagement des poursuites par dépôt de plainte (II), et la mise en cause des responsabilités par la notification des charges (III).
Dans une moindre mesure, la fin de l'enquête avec renvoi devant le tribunal (IV) sera un peu différente.
I. La qualité de partie civile La partie civile est importante en droit de la presse, puisque pour bon nombre de délits (dont la diffamation et l'injure) il n'y a pas, en application de l'article 48 de la loi de 1881, de procès, s'il n'y a pas de partie civile.
Dans la nouvelle terminologie proposée par l'avantprojet, la partie civile reste la partie civile à qui appartient l'action civile, dès lors qu'elle a « personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ». À côté de la partie civile, le nouveau projet reconnaît aux associations, dont les statuts prévoient expressément la défense d'un ou plusieurs intérêts collectifs, dans les cas prévus par la loi, d'exercer tout ou partie des droits reconnus à la partie civile, en cas d'infraction portant atteinte à ses intérêts, même en l'absence du préjudice direct ou personnel. Le statut actuel qui autorise les associations, en application de l'article 48-1 de la loi de 1881, à intervenir dans certains procès de presse, restera donc inchangé.
Signalons en outre – c'est une nouveauté du projet – , l'intervention possible d'une « partie citoyenne » qui, en cas d'infraction sans victime directe, pourrait demander au juge l'ouverture d'une enquête. Ce droit serait reconnu à tout citoyen présentant un « intérêt légitime à agir » à la condition que « l'infraction dénoncée ait causé un préjudice à la collectivité publique ». Il est difficile d'imaginer l'intervention d'une telle « partie citoyenne » dans un procès de presse, car cela supposerait qu'il n'y ait pas de partie civile possible, ni d'association recevable, et une inaction du parquet ; puisqu'il faut, soit une décision de classement judiciaire, soit que la dénonciation dont il a été saisi n'ait « donné lieu à aucun acte d'enquête, pendant un délai de six mois », c'est-à-dire, à une date où la prescription trimestrielle serait alors acquise… II. La plainte de la partie civile Le recours au juge d'instruction est fréquent dans le système actuel toutes les fois où la partie civile n'a pas les moyens d'identifier et/ou de localiser les auteurs des délits de presse dont elle entend solliciter réparation.
L'examen au fond de la diffamation est réservé, comme on le sait, au tribunal. Le juge d'instruction n'a qu'un rôle accessoire, même si fondamental, d'identification des responsables. Avec sa disparition, ce rôle sera dévolu au procureur de la République, entre les mains duquel la partie civile devra engager des poursuites en déposant plainte.

La règle de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881, selon laquelle la plainte fixe irrévocablement les termes de la poursuite devra s'articuler avec l'absence de règle formelle, dans le projet de nouveau code, pour le dépôt des plaintes. La loi spéciale de 1881 continuera de s'appliquer dans toute sa rigueur, imposant au plaignant d'articuler ses griefs, de préciser et qualifier les faits, en visant les textes de loi applicables aux délits dont il se plaindra.
La consignation par la partie civile entraîne, dans le système actuel, l'obligation pour le juge d'instruction d'instruire jusqu'à rendre une ordonnance de renvoi devant le tribunal ou de non-lieu. Le nouveau texte ne semble pas enfermer le procureur dans de telles obligations.
La partie civile devra donc être plus vigilante et veiller à être tenue informée du déroulement de l'enquête, notamment pour surveiller l'interruption de la prescription trimestrielle.
Elle aura la possibilité, en cas d'inaction ou de décision de classement, de saisir le JEL, pour qu'il ordonne aux services du parquet d'effectuer les actes d'enquête nécessaires à l'identification et la poursuite des responsables, voire à l'interruption de la prescription.
III. La mise en cause des responsables Avec la disparition du juge d'instruction, disparaît la mise en examen et la notion même de personne mise en examen. S'y substitue une nouvelle terminologie: le prévenu devient la « partie pénale ». Cette notion a été choisie par analogie avec la terminologie maintenue de « partie civile ».
La partie pénale est la personne contre laquelle il existera « des indices graves ou concordants rendant plausible sa participation comme auteur ou complice de la commission d'une infraction ».
C'est un statut particulier qui ouvre les droits de la défense et naît au moment où l'on procède à la « notification des charges ».
Selon les termes du projet, l'attribution de la qualité de partie pénale suppose un interrogatoire préalable, réalisé soit par le procureur de la République assisté d'un greffier, soit par un officier de police judiciaire agissant sur instruction écrite du procureur de la République. Elle donne droit à l'assistance d'un avocat, à qui le dossier doit être communiqué préalablement.
Ces règles sont proches de celles applicables en matière de mise en examen et n'emporteront donc pas de substantielles modifications pour les journalistes et directeur de la publication poursuivis en matière de délit de presse.
Espérons toutefois que le régime allégé (prévu à l'article 312-14 du projet) qui prévoit qu' « en matière délictuelle ou contraventionnelle la qualité de partie pénale peut également être attribuée par l'envoi à la personne d'une lettre recommandée par le procureur de la République » – cette lettre devant comporter le rappel des charges et des droits – sera préféré à celui de la convocation au Palais de justice, ou au commissariat.
En application de ce régime simplifié, les directeurs de publication pourraient alors échapper à ces pensums, qui leur sont imposés dans le régime actuel, de devoir se présenter devant les juges d'instruction qui les convoquent avant leurs mises en examen, uniquement pour les voir confirmer qu'ils avaient, au moment de la publication litigieuse, la qualité de directeur de publication ! IV. La décision de renvoi devant le tribunal À l'issue de l'enquête, le procureur de la République peut, selon le projet, décider de saisir la juridiction compétente ou procéder au classement judiciaire de la procédure.
(La mise en oeuvre d'une mesure alternative à la saisine de la juridiction de jugement prévue dans les cas les plus simples par le projet, n'est pas applicable en matière de délit de presse).
Sa décision de règlement devant être contradictoire, le procureur notifie aux parties et à leurs avocats un avis de fin d'enquête accompagné de la décision provisoire de règlement motivée. Les parties disposent alors d'un délai d'un mois pour déposer des demandes d'actes d'expertise ou de requête en annulation ou lui adresser des observations: ce délai est donc plus court que les quatre mois du régime actuel.
Si le procureur accepte la demande d'acte ou d'expertise, la décision provisoire de règlement ou l'avis de fin d'enquête est caduque. En l'absence de demande d'acte ou d'expertise dans le délai imparti d'un mois, la décision provisoire devient la décision définitive de règlement.
Cette décision de règlement peut être contestée devant le JEL avec recours possible de la décision de celui-ci devant la CHEL. Une décision de renvoi pourrait donc être contestée devant le juge, alors que seules les ordonnances de non-lieu sont aujourd'hui susceptibles de recours devant la chambre de l'instruction.
Le régime des nullités de la loi de 1881 ne paraît pas devoir être modifié par le projet, car il s'agit de nullités d'ordre public, dont le statut ne sera pas modifié, qui peuvent être soulevées à tout moment de la procédure, y compris pour la première fois devant le juge du fond sans que la décision de renvoi devant la juridiction de jugement ne les purge. Les parties conserveront donc, comme à présent, le loisir d'en saisir le juge soit dès l'enquête ou à la fin de celle-ci, soit de préférer en réserver l'examen à la juridiction de fond.
* * * En définitive, le projet soumis à concertation n'emporterait pas, en pratique, de changements très importants dans la procédure de presse. Il obligerait les parties civiles à être plus vigilantes dans la mise en oeuvre de leurs plaintes.
Et, il pourrait alléger l'emploi du temps des directeurs de journaux, en leur évitant d'avoir à comparaître devant un juge, lorsque leur serait notifiée leur qualité de « partie pénale », si, comme on l'imagine, les procureurs préfèrent, en matière de presse, la procédure simplifiée de notification de charge par lettre recommandée avec accusé de réception, à la lourdeur d'une convocation.
1er avril 2010 - Légipresse N°271
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