01/10/2009
Secret de l'instruction: les journalistes tirés d'affaire par le Comité Léger ?
pas si sûr !
Basile Ader
Avocat au Barreau de Paris
Le Comité de réflexion sur la justice pénale, appelé de ses voeux par le président de la République et le Premier ministre, a rendu son rapport le 1er septembre 2009. Il comporte une proposition majeure qui viendrait, si elle venait à être adoptée par le législateur, bouleverser le fonctionnement de notre procédure pénale: la suppression du juge d'instruction. C'est d'ailleurs l'instruction elle-même dont le Comité propose la suppression. Ne resterait plus qu'une enquête, confiée au Ministère public et encadrée par un juge « de l'enquête et des libertés ».
Ce serait aussi le secret de l'enquête qui disparaîtrait, ainsi qu'en a décidé la majorité des membres dudit Comité de réflexion. Le rapport énonce que: « Considéré originellement comme protecteur du mis en examen et de la présomption d'innocence, ce secret est plus souvent vu aujourd'hui comme heurtant le principe de la liberté d'information, principe renforcé ces dernières années par les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme » (1). Il était normal que la disparition de l'instruction entraîne celle du secret qui devait l'entourer.
I. Le maintien du secret professionnel Le comité propose « afin de clarifier la situation »
« de supprimer le secret de l'enquête et de l'instruction, mais de maintenir le secret professionnel et les sanctions qui s'y attachent, à l'égard des personnes qui concourent à la procédure ».
Rappelons que, selon les dispositions de l'article 11 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction actuelle, le secret de l'enquête et de l'instruction ne s'impose qu'aux personnes qui «concourent» à celles-ci,. Selon son deuxième alinéa ces « personnes sont tenues au secret professionnel » tel que visé par les articles 226-13 et 226-14 du Code pénal. Supprimer le secret de l'enquête tout en maintenant l'obligation de secret professionnel et les sanctions qui s'y attachent reviendrait ainsi à supprimer le premier alinéa de l'article 11 mais à garder le deuxième alinéa. En réalité, passé l'effet d'annonce, on en resterait au statu quo actuel. Si ce n'est pas leur volonté, les membres du Comité ne semblent pas avoir mesuré la contradiction que comporte leur proposition. Ou alors cette annonce de disparition du secret de l'instruction ne concernerait que la presse; et on devrait la comprendre ainsi? II. La question du recel Pour autant, les propositions du Comité sont tout aussi ambiguës sur la question du rôle de la presse. En effet, l'article 11 du Code de procédure pénale, depuis son adoption en 1957, ne soumet pas les journalistes (2) au secret de l'instruction.
Ceux-ci ne devraient rien avoir à craindre des obligations qu'il pose, qui ne les concernent pas. Or, on observe que les seules condamnations intervenues, ces dernières années, n'ont jamais touché que des journalistes ; et ce, du chef de recel de violation du secret de l'instruction et de recel de violation du secret professionnel, la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation considérant que la notion de recel de choses était applicable dès lors qu'il était établi qu'un journaliste avait eu la possession, même éphémère, d'une reproduction de procès-verbal couvert par le secret de l'instruction, pour la raison qu'il ne pouvait pas la tenir de quelqu'un qui fut autorisé (notamment en application de l'article 114 du Code de procédure pénale) à les lui donner de manière licite. (3) Les membres du Comité indiquent, pour terminer sur la question, s'être « interrogés à cette occasion sur les poursuites exercées à l'encontre des journalistes pour recel de violation du secret de l'instruction », et en concluent « qu'il convient de tirer toutes les conséquences de la suppression du secret de l'instruction ».
Doit-on comprendre que les conséquences de la suppression du secret de l'instruction emporteraient nécessairement disparition de poursuites pour recel de violation du secret de l'instruction? Mais c'est ignorer que
les poursuites sont toujours concomitamment engagées contre les journalistes du chef de recel de violation du secret professionnel. Or, si celui-ci perdure, (et ce nonobstant la position que l'on peut tirer des arrêts de la Cour européenne) (4) il n'y avait aucune raison pour que les poursuites pour recel de ce chef ne puissent continuer d'être exercées. Bref, les recommandations sur ce point mériteront, en cas de nouvelles discussions sur le sujet, certains éclaircissements.
III. Les « fenêtres de publicité » Un deuxième sujet de préoccupation concerne les « fenêtres de publicité » dont le Comité rappelle l'existence depuis qu'elles sont organisées par le législateur (en l'occurrence depuis la loi du 4 janvier 1993) qui offrent la possibilité de solliciter du président de la chambre de l'instruction que certaines audiences se tiennent en public, contrairement à la règle applicable de huis clos, et qui autorisent, au troisième alinéa de l'article 11 du Code de procédure pénale, le procureur à faire des communications au public « afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires et inexactes, ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public ».
Qu'en sera-t-il de ce droit exceptionnel, dans le nouveau dispositif ? Il est regrettable que le Comité ne se soit pas interrogé sur le maintien de ce droit unilatéral du procureur à communiquer officiellement sur un dossier en cours, alors qu'il en serait devenu la seule partie poursuivante. L'avocat tenu pour sa part au secret professionnel se verra-t-il, en vertu du principe d'égalité des armes, investi du droit de communiquer, de son côté, lui aussi officiellement sur un dossier en cours? Dans le système proposé, où les rôles sont plus clairement répartis entre procureurs et juges, le Comité prévoit en outre que « dans certains cas » les débats devant le juge de l'enquête devront avoir « un caractère public », mais sans préciser quels seraient « les cas » en question! Il s'agit pour le Comité d'une « garantie supplémentaire ». Le rapport cite, à ce titre, l'hypothèse d'un parquet qui, dans une affaire « sensible », pourrait rester inerte. Les victimes ou le mis en cause auraient alors le droit de solliciter que les débats devant le juge soient rendus publics, comme le serait ceux devant la nouvelle juridiction d'appel, en l'occurrence nommée « chambre de l'enquête et des libertés ». Alerter l'opinion publique, par le truchement des journalistes, est évidemment la garantie suprême. Une telle publicité des débats serait utile non seulement en cas d'inertie du Ministère public, mais surtout en cas de mise en détention provisoire.
IV. Le rôle des journalistes Les buts expressément souhaités par le Comité pour « moderniser » la procédure pénale française sont les buts de « Cohérence, clarté, rapidité et respect des droits de la défense et ceux des victimes ». Ces garanties démocratiques procéderont en effet nécessairement de l'instauration d'une plus grande transparence de la procédure.
Cela devrait consister à ce que les journalistes ne se contentent pas de communiqués officiels du procureur de la République, ni non plus des transmissions officieuses, et souvent partiales et partielles, des éléments du dossier par les avocats des parties, mais puissent être juges du bon déroulement du procès, tant dans la phase d'enquête que dans sa phase de jugement; et ce, dans le respect des garanties offertes par la loi de 1881 et l'article 9-1 du Code civil. Ils devraient non seulement ne pas risquer d'être poursuivis pour recel de violation du secret professionnel s'ils venaient à publier des éléments tirés d'un dossier en cours, mais plus, avoir systématiquement accès aux audiences devant le juge de l'enquête et des libertés, en particulier dès lors que celui-ci aurait à statuer sur des mises en détention.
La loi atteindrait alors la modernité souhaitée, en offrant aux journalistes les moyens d'être les garants démocratiques que le Comité a lui-même appelés de ses voeux.
1er octobre 2009 - Légipresse N°265