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Tribune


01/03/2005


Que reste-t-il du champ d'application de la rémunération équitable ?



 

Le 16 novembre 2004, la Cour de cassation a rendu trois arrêts dans quatre affaires concernant le champ d'application de la rémunération équitable réglementé par l'article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle (1).
Trois affaires opposaient la société civile de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes de la musique et de la danse (SPEDIDAM) et le syndicat national des artistes musiciens (SNAM) aux chaînes de télévision Canal + et M6 et aux sociétés civiles de perception des droits des producteurs phonographiques SCPP et SPPF ainsi qu'à leur syndicat le SNEP. Une autre affaire opposait la SPEDIDAM et le SNAM, la société Universal, le SNEP et la société TF1.
Schématiquement trois positions distinctes se sont affrontées au fil des années dans ces affaires.
1. Les artistes-interprètes ont soutenu (et avaient été suivis en première instance par le tribunal) (2) que la radiodiffusion d'un phonogramme du commerce reproduit dans un vidéogramme relevait du régime de la rémunération équitable (article L. 214-1 du CPI), l'acte de reproduction relevant quant à lui du droit exclusif d'autoriser ou d'interdire (articles L. 212-3 du CPI pour les artistes-interprètes et L. 213-1 du CPI pour les producteurs de phonogrammes).
Selon la SPEDIDAM et le SNAM, la reproduction d'un phonogramme ne lui fait pas perdre son identité. Dès lors que ce phonogramme est diffusé, quel que soit le support, sonore ou audiovisuel, sur lequel il est reproduit, l'article L. 214- 1 doit être appliqué. La SPEDIDAM et le SNAM ont en outre soutenu que leur position était confortée par les textes communautaires et internationaux. Leur argumentation n'a pas été suivie par la Cour de cassation.
2. La société TF1 a de son côté soutenu que tant la reproduction du phonogramme du commerce que sa radiodiffusion relevait du régime de la rémunération équitable, en raison du caractère accessoire de l'acte de reproduction préalable à la radiodiffusion.
3. Les producteurs (SCPP, SPPF, SNEP, Universal), Canal+ et M6 ont soutenu – et ont été suivis – que le régime applicable à la communication au public du vidéogramme (article L. 215-1 du CPI) s'appliquait à la radiodiffusion du phonogramme du commerce reproduit dans un vidéogramme, du fait notamment de la faculté pour le législateur français au regard de la Convention de Rome d'appliquer un régime plus protecteur aux artistes-interprètres (ce régime étant celui – selon les producteurs en particulier – du droit exclusif).
Dans son arrêt n° 1680 (rendu dans l'affaire dite de “l'action oblique”), la Cour de cassation retient en premier lieu que le régime de la licence légale prévu par l'article L. 214-1 du CPI est d'interprétation restrictive, ce qui est logique au regard de l'exception qu'il institue. Elle en déduit immédiatement que la cour d'appel a estimé à juste titre que l'article L. 214-1 du CPI ne pouvait régir les vidéomusiques, œuvres distinctes du phonogramme lui-même par l'incorporation qu'elles impliquent et la valeur différente de l'exploitation à laquelle elles donnent lieu. Cette motivation laisse songeur. Tout d'abord, la qualification d'œuvres distinctes du phonogramme lui-même donnée aux vidéomusiques paraît peu pertinente dès lors qu'il s'agit de déterminer les conditions de l'application de droits voisins, et non de droits d'auteur. En toute hypothèse, il est incontestable que sont distincts une œuvre audiovisuelle, un vidéogramme et un phonogramme du commerce (à quoi sert-il de le rappeler?). De même qu'il est incontestable que le phonogramme est incorporé dans la vidéomusique.
Mais que veut dire «la valeur différente de l'exploitation à laquelle elles (les vidéomusiques) donnent lieu »? S'il s'agit d'affirmer que l'exploitation d'un phonogramme du commerce est différente, sur le plan de ses conséquences financières, de l'exploitation d'une vidéomusique, soit. Mais cette affirmation n'est en rien une nouveauté et surtout en quoi justifierait-t-elle que le régime de la rémunération équitable soit écarté? Enfin, la Cour de cassation, après avoir rappelé que la Convention de Rome du 26 octobre 1961 et la directive du 19 novembre 1992 laissaient les États libres d'adapter à l'intention des titulaires de droits voisins des textes plus

protecteurs que le système de rémunération légale prévu par elles à titre de minimal, retient que « l'appréciation faite par le législateur quant aux mérites comparés de ce mécanisme et de celui de l'autorisation échappe au contrôle du juge». La Cour ne se trompe-t-elle pas ici de débat ? Il ne lui était pas demandé de juger de l'appréciation faite par le législateur du mérite du régime de la licence légale par rapport à celui du droit exclusif, mais de dire que l'interprétation de l'article L. 214-1 du CPI faite par les producteurs, d'une part, Canal+ et M6, de l'autre, n'était pas conforme à l'intention du législateur. Ce n'est pas le choix du législateur qui était en cause mais celui des utilisateurs d'appliquer le texte contrairement à ce qu'a souhaité le législateur en conformité avec les textes internationaux et communautaires.
Dans l'arrêt n° 1679 (affaires dites des “annulations de contrats”) une motivation proche, en particulier sur le caractère dérogatoire de l'article L. 214-1 du CPI, est retenue. La Cour de cassation rappelle opportunément que l'article s'applique «aux phonogrammes du commerce déjà publiés à des fins de commerce et faisant l'objet d'une communication directe au public ou d'une radiodiffusion ou télédiffusion». Les télévisions doivent donc bien respecter ses dispositions… La Cour énonce également, comme dans l'espèce précédente et sans davantage emporter la conviction que «si le vidéogramme réalisé par l'incorporation d'un phonogramme publié détermine une œuvre distincte, les droits de l'artiste-interprète au titre de l'œuvre ainsi incorporée relèvent du régime conventionnel général précit酻.
Dans son arrêt n° 1681 (affaire de la bande annonce diffusée par TF1), la Cour de cassation rappelle de nouveau, comme dans l'arrêt n° 1679, que l'article L. 214-1 du CPI est applicable «aux phonogrammes déjà publiés à des fins de commerce et faisant l'objet d'une communication directe au public ou d'une radiodiffusion ou d'une télédiffusion ». On a déjà indiqué combien ce rappel semblait nécessaire… La Cour n'ébauche aucun argumentaire sur la présence d'une œuvre audiovisuelle (il est vrai qu'il s'agissait d'une bandeannonce) ou d'un vidéogramme dans lequel le phonogramme du commerce serait incorporé. Il est donc impossible de connaître précisément les fondements de cette décision. Elle adopte toutefois, sur la prise en compte du caractère éventuellement plus protecteur des dispositions légales nationales par rapport aux droits garantis par les conventions internationales et les textes communautaires, un raisonnement contradictoire avec celui adopté dans son arrêt n° 1680 du même jour déjà cité. Elle n'hésite pas cette fois à s'exprimer sur ce point, sans renvoyer au législateur, et énonce de façon d'ailleurs inexacte que la cour d'appel de Versailles dans son arrêt du 17 janvier 2002 aurait «justement énoncé que l'article L.214-1 du CPI ne pouvait recevoir application en dehors des cas ainsi strictement définis, et justement énoncés que ce texte écartait les prévisions de la Convention de Rome et de la directive, dont les dispositions laissent les États libres d'adopter à l'intention des titulaires des droits voisins des droits d'auteur des solutions plus protectrices que le système de rémunération légal prévu par elles à titre minimal » (3). Ce constat est inexact en ce que le régime du droit exclusif n'est pas plus protecteur pour les artistes-interprètes que le droit à rémunération équitable, lequel seul leur garantit un droit à rémunération. En effet le droit exclusif est en pratique mis en œuvre par des contrats imposés aux artistesinterprètes, aux termes desquels ils cèdent tous leurs droits en contrepartie d'une rémunération forfaitaire très faible.
Pourquoi le phonogramme du commerce, dès lors qu'il est reproduit dans une œuvre audiovisuelle, un vidéogramme, ou tout autre support audiovisuel, ne généreraitil pas lors de sa diffusion l'obligation du paiement de la rémunération équitable? Ainsi, la Cour : - constate l'application de l'article L. 214-1 dans le secteur des télévisions (elle évoque la « télédiffusion»); - rejette cette application en indiquant qu'il s'agit d'un régime d'exception, mais n'indique pas en quoi les utilisations en cause n'entraient pas dans ce régime d'exception.
La Cour de cassation n'est-elle pas ici en train de dire à demi-mots que la reproduction d'un phonogramme du commerce n'est plus un phonogramme, ce qui est directement contraire non seulement au bon sens, mais aussi à l'article 3 de la Convention de Rome et à la lettre de l'article 8 paragraphe 2 de la Directive 92/100 qui applique le principe de la rémunération équitable «au phonogramme publié à des fins de commerce, ou une reproduction de ce phonogramme»… Ce qui frappe c'est la confusion entre les droits d'auteur et les droits voisins, le refus de se prononcer en invoquant l'absence de contrôle du juge, l'appréciation erronée de l'intérêt des artistes-interprètes… On suivra avec curiosité les conséquences d'un tel arrêt, qui semble exclure du champ de la rémunération équitable l'essentiel des utilisations de phonogrammes du commerce par les chaînes de télévisions. Quels sont les programmes diffusés qui ne sont pas des œuvres audiovisuelles ou des vidéogrammes? Comme il fallait le craindre, dès le lendemain du prononcé de ces arrêts, certaines chaînes de télévision ont assigné la SPRE, chargée de la perception de la rémunération équitable auprès des utilisateurs pour voir “séquestrer” la rémunération due en application de l'article L. 214-1 du CPI.
1er mars 2005 - Légipresse N°219
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