Enews Legipresse

Recevez la newsletter et entrez dans le Club Légipresse
Valider
Valider l'adresse e-mail pour inscription à l'E-news

Le club Légipresse

Les 2 derniers inscrits
ESSOH MONICA

étudiante

Vidéos

02/09/2016
Fabrice Arfi, Médiapart

Forum 2015 - Informer n'est pas un délit

Toutes les vidéos
Accueil > DROIT AU CAPRICE OU DROIT À L'INFORMATION ? La reprise d'informations précédemment divulguées par l'intéressé au regard de l'article 9 du code civil -

Tribune


01/10/1999


DROIT AU CAPRICE OU DROIT À L'INFORMATION ? La reprise d'informations précédemment divulguées par l'intéressé au regard de l'article 9 du code civil



Selon l'article 9 al. 1 du code civil : “chacun a droit au respect de sa vie privée” et les juges s'efforcent de préciser les contours de la “sphère de la vie privée”. Ainsi, il est traditionnellement admis que la redivulgation d'éléments relatifs à la vie privée d'un individu est soumise à autorisation spéciale de l'intéressé. Pourtant, la lecture de jugements récents semble présager un possible revirement jurisprudentiel.

 

Dans l'introduction de sa thèse intitulée : Le droit à l'information face à la protection civile de la vie privée, Xavier Agostinelli, déplore l'absence de définition légale de la vie privée, d'où selon lui : « l'extrême difficulté d'en cerner les contours ou d'en définir les éléments avec certitude » (1). Un an après l'entrée en vigueur de l'article 9, le doyen Nerson, commentant la loi de 1970, se montrait pourtant confiant : « Le droit au respect de la vie privée n'est pas une outre vide, mais c'est la jurisprudence qui remplira celle qu'a fourni le législateur » (2).
Effectivement, depuis près de trente ans, les juges, poursuivant l'œuvre commencée avant l'adoption de la loi, ont dessiné avec précision les contours de la “sphère de la vie privée”, sans jamais se risquer cependant à en donner une définition.
À telle enseigne que les litiges où l'existence de l'atteinte à la vie privée est sérieusement contestée par son auteur, sont de plus en plus rares. La doctrine, à l'unanimité ou presque, a approuvé l'élaboration jurisprudentielle.
Et pourtant, un pan non négligeable de cette construction nous paraît contestable : celui relatif à la redivulgation d'un élément de vie privée. Non pas lorsque cette redivulgation s'analyse en un renouvellement d'une atteinte antérieurement commise, qu'elle ait été ou non poursuivie, mais seulement dans l'hypothèse où elle concerne un élément de vie privée préalablement porté à la connaissance du public, à l'initiative de l'intéressé lui-même. Nul n'ignore que nombre de nos “grandes gentilles vedettes” (3) ne se montrent pas avares de confidences. Par le biais d'interviews, de livres d'entretien, de reportages, elles favorisent volontiers l'immixtion du public dans leur intimité. À quelque motif qu'obéisse ce besoin de s'exhiber (se faire connaître, se rappeler au bon souvenir de ses contemporains, partager ses joies, etc.), il génère une situation particulière et incontestable : avec son consentement, un aspect précis, ponctuel ou général de la vie privée d'une personne devient public. Après une telle initiative, l'élément de vie privée ainsi révélé, doit-il continuer à bénéficier de la protection de l'article 9 de notre code civil ? La jurisprudence, à de récentes exceptions près, a répondu affirmativement.
Citons un attendu de la cour d'appel de Paris repris dans maintes décisions : « La personne privée a seule le droit de fixer les limites de ce qui peut être publié sur sa vie intime, en même temps que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir » (4).
Aussi la simple reprise, sans consentement préalable, des propos (ou de leur teneur) tenus par une personne au sujet de sa vie privée, est considérée comme fautive. Pour la personne peu discrète, la situation est confortable. Ce que j'ai dit publiquement lundi, nul n'est censé le répéter mardi, ce que j'ai confié à un quotidien, nul hebdomadaire ne pourra s'en faire l'écho. Ainsi, un chanteur ayant fait part de sa bisexualité à un journal spécialisé dans la musique, a-til obtenu gain de cause contre la société éditrice d'un hebdomadaire généraliste, ayant repris l'information sans rien y ajouter (5). De même, une actrice qui avait raconté “sa première fois”, a fait condamner le journal ayant jugé le récit suffisamment intéressant pour le reprendre dans ses colonnes (6).
Cette jurisprudence dont nous avons donné deux exemplaires, en protégeant un exhibitionnisme sélectif, ne traduitelle pas une vision trop absolutiste de la protection de la vie privée ? Correspond-elle vraiment au but poursuivi par le législateur de 1970 ? En allant trop loin, tient-elle compte de la notion d'information ? 1 – Le but poursuivi par le législateur En 1890 déjà, deux juristes américains constatent : « Dans tous les domaines, la presse dépasse les limites de la décence et de la bienséance. Les commérages ne sont plus le seul apanage des oisifs, mais sont devenus une profession qui s'exerce avec autant d'habilité que d'impudeur.
Pour satisfaire des goûts lascifs, on étale en première page les détails de boudoir.
Pour occuper les loisirs du lecteur, on remplit les colonnes de ragots qui ne peuvent provenir que d'une intrusion dans les vies privées » (7). Quatre-vingts

ans plus tard, le législateur français, faisant sienne cette analyse, entérine un droit prétorien et érige en principe le droit au respect de la vie privée. Il s'agit de protéger l'individu des indiscrétions d'autrui (de la presse surtout), d'empêcher que, contre sa volonté, soient révélés certains aspects de sa vie privée qu'il souhaite entourer du secret.
À lire les travaux préparatoires de la loi, il ne fait nul doute qu'il n'entrait pas dans l'intention du législateur d'assurer la protection de faits de vie privée devenus publics selon la volonté du protagoniste.
Au contraire, le législateur fut tenté de priver de toute protection, la vie privée des personnes qui : « par leur propre comportement auraient permis ou facilité les divulgations touchant leur intimité » (8). Mais cet amendement ne fut pas adopté, sa formulation étant considérée comme trop vague et, partant, trop sujette à interprétation. Il demeure que dans l'esprit du législateur de 1970, c'est la révélation de la vie privée qu'il faut empêcher et non pas la reprise de ce que tout un chacun est libre de livrer au sujet de sa propre vie.
L'objectif est d'assurer le secret mais point de limiter la liberté de la presse en lui interdisant de s'emparer d'une information devenue publique. Pour justifier la position jurisprudentielle condamnant la redivulgation de ce qu'une personne a accepté de divulguer, la doctrine invoque la spécificité du consentement (9). Consentir un jour n'est pas consentir toujours.
Une autorisation spéciale s'avérerait donc nécessaire, pour chaque évocation d'un fait de vie privée qui ne relève plus du secret pour avoir reçu une publicité avec l'accord de celui qu'il concerne. Cette exigence d'un consentement spécifique paraît excessive. Non exempte de critique, elle fait fi (10) de la notion d'information.
2 – La notion d'information Revenons à la définition qu'en donne Xavier Agostinelli : « L'information doit alors être entendue comme l'acte par lequel sont rendus publics certains faits ou certaines opinions au moyen de support visuel ou de diffusion » (11).
Cette définition n'exclut nullement les faits de vie privée. En rendant publique une partie de ma vie privée, je lui confère une valeur d'information, d'information licite bien entendu. Or, précisément en raison de son caractère public, l'information n'appartient pas à son auteur. Au nom de la liberté de la presse, de la liberté d'expression, je dois être libre de m'en emparer, de la traiter, de la commenter.
La seule limite en matière de vie privée, sera d'utiliser l'information : « dans l'exacte mesure de sa divulgation objective » (12), c'est-à-dire sans y ajouter d'autres révélations constitutives d'une atteinte au sens de l'article 9 du code civil. Sous cette réserve, il n'existe à notre sens aucune différence de nature entre une information de vie publique et une information de vie privée diffusée avec l'assentiment de l'intéressé. Sinon dans le fait non négligeable que l'information de vie privée dont nous parlons procède d'un acte de volonté de la personne concernée, ce qui, à l'évidence, n'est pas toujours le cas d'une information relative à la vie publique, parfois gênante pour les personnes mises en cause, privées de toute possibilité de s'opposer à sa divulgation.
On ne peut négliger le rôle de la volonté dans les libres confidences sur sa propre vie privée. Comme le soulignent avec profit les conclusions célèbres de l'avocat général Cabannes : « Les frontières (de la vie privée) sont donc mobiles mais dans notre droit actuel où l'autonomie de la volonté n'a quand même pas cessé de jouer un rôle, qui, mieux que l'intéressé lui-même, sera en mesure de définir ce qu'il considère comme partie intégrante de sa vie intime et ce qu'il entend soustraire à la curiosité, fût-elle dénuée de malveillance, du public ? » (13).
Or c'est bien la volonté de l'intéressé qui s'exerce lorsque, de son propre chef, il rend public ce qui appartient à la sphère protégée par l'article 9. Par cet acte de volonté, l'individu “déprivatise” en quelque sorte les renseignements livrés au lecteur, à l'auditeur ou au téléspectateur, sous la forme d'une information.
Cet acte par nature irréversible est dès lors insusceptible de tout repentir.
Admettre avec la Cour de cassation l'existence d'un droit discrétionnaire de s'opposer à la redivulgation de faits consensuellement révélés, c'est peutêtre oublier qu'une information ne peut pas disparaître.
Certainement fugace dans l'esprit du lecteur, elle demeure disponible, consultable, même en l'absence de toute redivulgation. Ineffaçable, elle fait partie intégrante du champ de la connaissance. Aussi le droit discrétionnaire consacré par la Cour Suprême relève-t-il plus de l'interdiction de faire usage d'une information licite et disponible, que de l'obligation de respecter la vie privée d'autrui. On en arrive à ce paradoxe, dans un pays de liberté d'expression, qu'il devient fautif d'écrire ce que tout le monde sait, ou peut savoir, sans pour autant s'être montré indiscret (ainsi la stricte application du principe de la spécificité du consentement rend en théorie condamnable l'évocation du mariage de deux personnalités, quand bien même celles-ci, en guise de faire-part, avaient choisi la couverture de Paris-Match...) Fort heureusement, un mouvement jurisprudentiel inverse semble se dessiner, dans les deux tribunaux de l'Hexagone ayant le plus à connaître d'affaires de vie privée.
• Le tribunal de grande instance de Paris, dans un jugement du 4 novembre 1998 (14), pour rejeter l'action fondée sur l'article 9, a en effet retenu : « Qu'il résulte des pièces versées aux débats que cette information avait été antérieurement portée à la connaissance du public par la demanderesse ; qu'elle ne saurait dès lors reprocher à la société défenderesse une divulgation et une révélation qu'elle a elle-même provoquée ». Dans ce cas d'espèce, parfaitement topique, une actrice reprochait à un journal de rappeler qu'elle avait porté jadis un appareil dentaire, information

qu'elle avait elle-même fournie lors d'une interview. La motivation du tribunal de Paris est d'un incontournable bon sens.
Comment considérer que le port de cet appareil demeurait couvert par le secret de la vie privée, alors même que l'intéressée l'avait levé ? Si le tribunal avait statué dans un sens contraire, n'aurait-il pas entériné le caprice “d'une star”, qui trouve intérêt un jour à révéler ses péripéties dentaires et, le lendemain, trouve matière à préjudice dans leur rappel ? • Le tribunal de grande instance de Nanterre a jugé dans le même sens le 3 mars 1999 (15) : « Dès lors qu'un article de presse s'est fait l'écho d'un fait d'actualité au cours duquel l'intéressé avait lui-même dévoilé, même de façon ambiguë, des éléments relatifs à la vie privée, c'est sans faute que le journaliste a pu les rapporter, les commenter auprès de ses lecteurs une semaine après. L'intéressé ayant luimême, par ses déclarations à la télévision, ravivé les rumeurs concernant sa paternité hors mariage, il ne peut s'étonner des résonances de ses déclarations dans la presse spécialisée ».
Les juges ont ici encore consacré à raison un droit à la redivulgation d'un élément de vie privée devenue publique du fait de l'intéressé.
Faut-il voir une limite à ce droit de redivulgation, dans le fait, souligné par le tribunal, qu'une semaine seulement s'était écoulée entre la divulgation de cette information de vie privée et son commentaire dans la presse ? Nous ne le pensons pas. Le temps n'est pas l'ennemi de la mémoire. Au surplus, on aurait tort de considérer que les informations de vie privée sont nécessairement rattachées à l'actualité et seraient donc éphémères. Elles lui survivent nécessairement, à notre époque où l'accès à l'information, même ancienne, se démultiplie en même temps qu'il est chaque jour rendu plus facile.
Il nous plaît donc d'espérer que ces deux jugements émanant de juridictions du premier degré sont l'amorce d'un revirement jurisprudentiel. Le droit, autant que la logique, auront progressé s'il est désormais admis que celui qui a fait d'éléments de sa propre vie privée, une information publique, ne peut plus en exiger la protection.
En leur donnant une publicité, il les a définitivement déprivatisés.
Il est classique d'opposer le droit au respect de la vie privée au droit à l'information, en accordant au premier une valeur supérieure au second.
Ainsi, on a coutume d'affirmer que le droit au respect de la vie privée est absolu. Force est d'admettre que celui qui renonce au secret de son intimité, a inversé cette hiérarchie. En donnant à certains aspects de sa vie privée une publicité, il a fait disparaître l'intérêt légitime supérieur qu'il y avait à la protéger. Ces derniers temps, se sont multipliés les articles, les colloques, où l'on a exhorté la presse à plus de responsabilité. N'est-il pas temps pour les individus de devenir également responsables et d'assumer les conséquences de l'exercice de leur liberté ?
1er octobre 1999 - Légipresse N°165
2563 mots
> Commenter
Ajouter un commentaire
Titre du commentaire :
Message :
Envoyer