Si la loi du 21 mai 2001 tend à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crimes contre l'humanité, une telle disposition législative, ayant pour seul objet de reconnaître une infraction de cette nature, ne saurait être revêtue de la portée normative attachée à la loi et caractériser l'un des éléments constitutifs du délit d'apologie.
Légitimer publiquement le recours à l'esclavage, est-ce commettre le délit d'apologie d'un crime contre l'humanité ? La question s'est posée à la suite des déclarations publiques d'un individu prétendant que l'esclavage n'a pas eu que des mauvais côtés.Les historiens auraient exagéré : « il y a des colons qui étaient très humains avec leurs esclaves, qui les ont affranchis, qui leur donnait la possibilité d'avoir un métier ». Quant à la ségrégation, elle était sous doute ...
Cour de cassation, ch. crim., 5 février 2013, Mme Huygues-Despointes
Emmanuel DREYER
Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)
(2) V., pour une présentation de l'infraction, E. Dreyer, Responsabilités civile etpénale des médias : LexisNexis, 3e éd., 2012, n° 309 et s.
(3) Décret du. 31 mars 2006.
(4) Ainsi, deux autres dates ont-elles été inscrites dans le calendrier commémoratifinternational : le 23 août et le 2 décembre constituent respectivement la« journée international de souvenir de la traite négrière et de son abolition » et la« journée internationale pour l'abolition de l'esclavage ».
(5) Moins dans son principe que dans les limites, géographiques et temporelles,qui lui sont ici fixées par la loi.
(6) V., parmi d'autres, B. Mathieu, « La liberté d'expression en France : de la protectionconstitutionnelle aux menaces législatives » : Rdp 2007, p. 231 et s.
(7) Exprimant là une évidence, le Conseil constitutionnel a rappelé que « la loia pour vocation d'énoncer des règles » (déc. n° 2005-512 DC du 21 avril 2005,consid. 8).
(8) C'est là un travers de la doctrine française qui a tendance à transformer ennormes sa propre subjectivité (V., Th. Hochmann, « Qu'est-ce qu'un délit d'opinion? » : Cahiers de droit, vol. 53, déc. 2012, p. 810).
(9) À titre d'exemple, dans la législation récente, il faudrait comparer la forcenormative de cette loi « Taubira » à celle du 18 janv. 2013 dont l'art. 11 disposeque : « la société de gestion du patrimoine immobilier des houillères du bassindu Nord et du Pas-de-Calais prend, au plus tard le 31 décembre 2016, le statut desociété anonyme d'habitations à loyer modéré » ou à celle du 6 mars 2012 dontl'art. 2 permet de qualifier d'« armes historiques et de collection » les matériels deguerre dont le modèle est antérieur au 1er janv. 1946 lorsque leur neutralisationest garantie. Dans tous les cas, le législateur procède à des opérations dequalification qu'il semble bien difficile de lui reprocher.
(10) L'origine du problème se trouve dans une pétition de quelques historiensqui ont cosigné, le 12 déc. 2005, un texte intitulé Liberté pour l'histoire ! où ils sesont inquiétés de « risques » pour la libre recherche scientifique qui restent àdémontrer. Ce texte ne saurait être évoqué sans qu'il soit fait état de la contrepétitionqui a suivi, le 20 déc. 2005, à la demande de trente et un écrivains,juristes et historiens, dénonçant l'amalgame ainsi réalisé entre une loi du 23fév. 2005 imposant un enseignement particulier de l'histoire et d'autres loisqui expriment seulement, à travers la qualification juridique de crime contrel'humanité, la réprobation commune à l'égard de vérités historiques notoires.
(11) Déc. n° 2012-647 DC du 28 fév. 2012, consid. 6.
(12) V., soulignant que cette motivation a servi d'alibi à l'éviction d'une atteintejugée excessive à la liberté d'expression, F. Brunet, « De la censure constitutionnellede la loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocidesreconnus par la loi » : Rsc 2012, p. 346.
(13) V., aussi, J.-B. Racine, Le génocide des Arméniens - Origine et permanence ducrime contre l'humanité, Dalloz, coll. « États de droits », 2006, n° 111 et 171.