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Le délit « d'outrage public en ligne », un outrage au bon sens
La loi adoptée le 10 avril dernier « visant à sécuriser et réguler l'espace numérique » (SREN), est censée « restaurer la confiance nécessaire au succès de la transition numérique »(1). Elle comporte des dispositions propres à installer une cybersécurité anti-arnaque, renforcer les sanctions contre le cyberharcèlement, restreindre l'accès aux sites pornographiques et renforcer enfin la lutte contre la désinformation et les ingérences étrangères. Au terme d'un amendement sénatorial, la loi s'est vue enrichie d'un délit « d'outrage public en ligne » qui réprime : « le fait de diffuser en ligne tout contenu qui, soit porte atteinte à la dignité d'une personne, ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante »(2).
Si les intentions du législateur sont louables au regard de la violence qui sévit dans l'espace numérique, il semble avoir oublié que la loi dispose déjà d'un arsenal conséquent d'infractions qui répriment ces faits. Qu'il s'agisse du harcèlement moral, du harcèlement sexuel, des menaces, violences, atteintes à l'intimité de la vie privée, la loi pénale pose déjà toute une série de délits qui ont évidemment vocation à s'appliquer à l'espace numérique. Mais c'est surtout sur le terrain de la prévisibilité de cette nouvelle infraction qu'on reste pantois. Non seulement elle ignore superbement, s'agissant de l'expression publique, la loi sur la presse et ses délits d'injure et de diffamation, mais elle semble englober, par sa généralité, la possibilité d'incriminer tout contenu simplement péjoratif ou critique, sans poser de garde-fou. Il est clair, à cet égard, que les personnes qui voudront se plaindre de propos portant atteinte à leur honneur ou à leur considération choisiront plus volontiers ce délit aux contours incertains, que les rigueurs de la loi sur la presse. On s'interroge donc sur la nécessité d'instaurer cette nouvelle infraction, mais plus encore sur sa légalité.
Au-delà de l'imprévisibilité que crée le caractère particulièrement large et flou de cette nouvelle incrimination, on ne peut que nourrir des inquiétudes sur le fait qu'elle autorise le recours à l'amende forfaitaire délictuelle(3) ; laquelle habilite les forces de l'ordre à apprécier la caractérisation du délit en dehors de toute procédure judiciaire. Quand on sait le soin avec lequel le législateur de 1881 a entendu instaurer un débat public, oral et contradictoire devant le tribunal, pour permettre au juge, avec toutes les garanties possibles, d'apprécier « l'abus(4) à la liberté d'expression » qui lui est soumis, on est confondu.
Le Conseil constitutionnel a été saisi de deux recours contre ce nouveau délit « d'outrage public en ligne ». Il faut espérer qu'il y trouvera à redire, tant il risque de mettre en péril le débat démocratique.