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Infractions de presse
/ Tribune


10/03/2024


La prescription trimestrielle à nouveau sur la sellette



 

La sécurité des élus locaux et la protection des maires(1) justifient sans doute un renforcement des règles en vigueur, tant l'actualité récente démontre que l'exercice d'un mandat d'élu public est devenu un exercice à risque. Lors de la lecture au Sénat de la proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux, un amendement fut présenté par la rapporteure, visant à leur laisser plus de temps pour agir, en portant à un an la prescription de l'action en diffamation et injure publiques contre les élus et candidats(2). Si cette modification était adoptée, il y aurait dès lors deux régimes : le maintien de la prescription de trois mois pour les particuliers, une prescription d'un an pour les élus et candidats.

Un an, c'est le régime de poursuite des publications négationnistes, racistes et discriminatoires depuis 2004(3). La question de savoir si une telle différence de régime n'est pas contraire au principe d'égalité des citoyens devant la loi a été tranchée par le Conseil constitutionnel qui a dit qu'au regard de l'objectif poursuivi, cette « facilitation » de l'engagement des poursuites « ne revêtait pas un caractère disproportionné(4) ». À cette occasion, il a réaffirmé que la courte prescription est une « garantie essentielle de la liberté de la presse ».

La prescription spéciale en matière de presse existe depuis la loi du 26 mai 1819 qui l'avait fixée à six mois. De fait, la courte prescription a plusieurs raisons d’être. Elle repose tout d'abord sur le constat que le journal du lendemain chasse les nouvelles de la veille, lesquelles s'effacent très vite des mémoires. Elle a aussi pour justification le dépérissement des preuves, en particulier celles sur la vérité qu'on ne saurait exiger que les journalistes conservent éternellement. Elle repose enfin sur l'architecture particulière du procès de presse voulue par le législateur de 1881, selon laquelle le juge doit se prononcer en urgence, « dans le délai d'un mois de la première audience » selon l'article 57 de la loi(5).

Elle a donc aujourd'hui des régimes différents selon la gravité des infractions. Faire basculer les diffamation et injure contre les élus dans le régime le plus répressif se conçoit mal. Le principe maintes fois rappelé par la Cour de Strasbourg veut au contraire qu'ils soient les plus exposés à la critique(6). La loi de 1881 prévoyait d'ailleurs jusqu'en 1945(7) que c'était seulement à leur égard que la preuve de la vérité des imputations diffamatoires pouvait être rapportée, consacrant, ce faisant, un droit de contrôle par la presse, plus important qu'à l'égard des simples particuliers. Une telle réforme irait donc à rebours du principe fondamental selon lequel les élus s'exposent naturellement à la critique. C'est ignorer surtout que les élus ont, en pratique, plus de moyens de veille pour savoir ce qui est publié à leur sujet en temps réel que les citoyens. Bref encore une fausse bonne idée…(8)

NDLR : Nous apprenons au moment de boucler que l’amendement n’a finalement pas été retenu par la CMP.

10 mars 2024 - Légipresse N°422
681 mots
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