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Une loi « bien trop petite »
La pornographie, si aisément accessible sur internet, est un sujet de préoccupation légitime, dont le législateur s'est récemment emparé(1). Du côté des publications traditionnelles, c'est-à-dire les publications de presse papier (le print comme on dit désormais) et les livres en librairie, le dispositif de protection est en place depuis longtemps. Une loi de 1949 visant à protéger la jeunesse(2) prévoit, à son article 14, que le ministre de l'Intérieur peut interdire de proposer, de donner ou de vendre à des mineurs les publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse, en raison de contenus à caractère pornographique.
Par un arrêté du 17 juillet dernier(3), le ministre de l'Intérieur a, en application de ce texte, interdit de vendre aux mineurs un roman intitulé « Bien trop petit » de Manu Causse, édité par les éditions Thierry Magnier. Le motif retenu en est « la description complaisante » qu'il comporterait « de scènes de sexe très explicites ». Or, l'auteur du roman en cause explique que, loin de promouvoir le viol, son livre a pour objet de donner des clés aux adolescents pour comprendre les sentiments les plus intimes qu'emporte la découverte de la sexualité, laquelle n'est précisément pas la pornographie que l'on trouve sur internet(4).
Une telle décision du ministre est suffisamment rare pour qu'on la signale. Cette censure légale, même si elle est encadrée par des mesures d'examen contradictoire(5), lors duquel l'éditeur et l'auteur peuvent faire valoir leurs observations, et qui est susceptible d'un recours (non suspensif) devant le Conseil d'État, en premier et dernier ressort(6), apparaît d'un autre âge. Elle ignore en particulier l'indispensable contrôle de proportionnalité qu'impose l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
En l'espèce, le ministre, sans doute emporté par une volonté, qu'on ne peut que louer, d'endiguer l'accès de la jeunesse à la pornographie, et de montrer son action à cet égard, a commis une erreur manifeste d'appréciation. L'histoire de cet adolescent malheureux dont on moque la taille de son sexe, méritait un autre accueil, notamment parce qu'il s'agit d'une œuvre littéraire. La liberté de création est, faut-il le rappeler, plus particulièrement protégée par ledit article 10(7).
À la vérité, c'est cette loi qui paraît « bien trop petite » au regard des enjeux d'aujourd'hui de protection de la jeunesse. Il serait temps qu'on abroge son versant général, c'est-à-dire celui qui ne concerne pas le statut particulier des « publications principalement destinées à la jeunesse »(8) et qu'on impose des règles communes à tous les médias, quelle que soit la nature de leur support. Il en va du principe d'égalité, qui est un rempart à l'arbitraire.