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L'État doit se garder d'intimider les sources d'un journal
Médiapart est devenu le principal poil à gratter de la République. Ses révélations quasi-quotidiennes d'informations qui font scandale donnent à beaucoup de l'urticaire. Les nombreux articles qu'il a consacrés à l'affaire d'Alexandre Benalla en sont un bon exemple. Parmi ceux-ci, Médiapart avait publié un enregistrement clandestin d'une conversation téléphonique que ce dernier avait eu avec un coprévenu, qu'interdisait son contrôle judiciaire. Cette publication en a eu pour conséquence que le parquet dépêcha deux de ses magistrats, accompagnés d'un Commissaire de la brigade criminelle, au siège de Médiapart pour y recueillir les enregistrements en question, au motif d'une violation de la vie privée et d'une écoute illicite. Selon les journalistes alors présents, la délégation se présenta en disant : « Messieurs, c'est une visite domiciliaire ! ». Là où une réquisition aurait dû suffire, le parquet a ainsi préféré organiser une véritable « descente » au journal. Les journalistes(1) ont refusé d'ouvrir leur porte, alors surtout que le matin même, ils avaient déjà fait parvenir la copie de l'enregistrement en question aux juges d'instruction en charge de l'affaire Benalla qui le leur avaient demandé sur simples réquisitions. La délégation repartit donc penaude.
Pour autant, Médiapart a aussitôt saisi le tribunal d'une action contre l'Agent judiciaire du Trésor pour engager la responsabilité de l’État à raison de sa qualité d'usager public de la justice. Il soutenait avoir subi un préjudice « anormal, spécial, et d'une particulière gravité » selon le critère jurisprudentiel applicable, causé directement par cette tentative de perquisition. L'Agent judiciaire a contesté qu'il se soit agi d'une perquisition en arguant que les magistrats n'avaient pas pénétré dans les lieux, ni saisi quoique ce soit, en respectant le refus des journalistes.
Le Tribunal de Nanterre, aux termes d'un jugement rendu le 6 juillet dernier(2), a considéré que cette démarche singulière du parquet ne pouvait s'analyser que comme une perquisition, qui n'avait aucune base légale, et n'était « ni nécessaire dans une société démocratique, ni proportionnée à l'objectif poursuivi ». On doit saluer l'excellente motivation de ce jugement, qui constitue à maints égards un digest très complet des principes qui encadrent et protègent la liberté d'expression. Il y a notamment un rappel de toutes les décisions importantes de la Cour européenne, en particulier l'arrêt Goodwin c/ Royaume-Uni(3) qui rappelle que « la protection des sources est la pierre angulaire de la liberté d'expression », ainsi que Roemen et Schmit c/ Luxembourg(4) qui a dit qu'une injonction de divulgation des sources par l'autorité judiciaire « peut avoir un impact préjudiciable non seulement sur les sources, mais également sur le journal dont la réputation auprès des sources potentielles futures peut être affectée négativement par la divulgation »(5).
Il y a un dernier problème qui n'a pas échappé au tribunal en la circonstance : effectuée sur place, la saisie d'un enregistrement peut entraîner un accès aux métadonnées de l'enregistrement, lesquelles sont de nature à permettre l'identification de la source, et même un risque, certes accidentel, de révéler d'autres sources du journal.
En définitive, le tribunal, pour retenir la responsabilité de l’État, dénonce « l'emploi immédiat d'une mesure intrinsèquement coercitive, ou susceptible de le devenir en cas de refus, significativement intimidante » non seulement pour le journal, mais aussi pour ses sources. Ce jugement a vocation à figurer en bonne place dans le droit positif de la protection du secret des sources des journalistes.