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La loi de 1881…toujours la loi de 1881 !
Ces colonnes pourraient paraître monomaniaques. Si l’on y évoque si fréquemment les mérites de la loi de 1881, c’est qu’en réalité, elle est en chantier permanent. C’est sans doute une de ses forces. Elle sait s’adapter et se moderniser et résister aux assauts de ses pourfendeurs.
A l’heure où nous rédigeons ces lignes, est débattue avec force et passions, l’introduction en son sein d’un article 35 quinquies, qui prévoit : « Sans préjudice du droit d’informer, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification, autre que son numéro d’identification individuel, d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de police municipale, lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police ».
Ce nouvel article viendra contredire l’article 39 sexies qui interdit déjà l’identification des policiers et gendarmes dont la sécurité impose l’anonymat, mais dont le non-respect n’est puni que d’une peine d’amende. La peine de prison du texte nouveau va, dans les faits, autoriser les policiers, en vertu des règles de procédure pénale sur la flagrance, à intervenir aussitôt pour interpeller ceux qui prennent des photos et filment, car ils seront toujours légitimes à suspecter leurs intentions malveillantes. Il s’agit d’une atteinte évidement injustifiée au droit à l’information, qui ne devrait pas, elle non plus, passer le filtre constitutionnel. Ce serait surtout un mauvais service rendu à la police, dont il faut rétablir l’autorité, non en imposant le secret sur ce qu’elle fait, ce qui entraînera forcement la suspicion et la défiance, mais en montrant au contraire qu’elle est exemplaire.
Par ailleurs, le projet de loi destiné à « lutter contre les séparatismes », comporte un chapitre sur la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne. C’est une nouvelle tentative après le recalage de la loi Avia par le Conseil constitutionnel, en juin dernier.
Ce projet crée un nouvel délit sous l’article 223-1-1 du code pénal, de « mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations » puni de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Ces sanctions sont d’ailleurs aggravées lorsque les faits visent une personne dépositaire de l’autorité publique, parmi lesquelles les policiers. Comme quoi, ils seront donc doublement protégés.
En outre, le projet ouvre, par exception aux délais de comparution de la loi de 1881, la procédure de comparution immédiate pour les provocations à la haine prévus à son article 24, sauf pour les éditeurs et journalistes expressément exclus.
Enfin, le texte propose des dispositions complémentaires à l’article 6 de la loi LCEN du 21 juin 2004, pour permettre l’effectivité des décisions de justice constatant l’illicéité d’un site internet et ordonnant son blocage ou son déréférencement, et pour lutter contre les sites miroirs.
Le projet devrait être débattu devant le Parlement en début d’année prochaine. Un vaste chantier, ambitieux, qui appelle déjà deux observations.
Le gouvernement reste donc en apparence attaché à loi sur la presse, sa philosophie et sa vitalité Mais il y conforte un régime d’exception pour les auteurs des infractions les plus graves, au centre desquelles la provocation à la haine. Après la loi de 2004 qui a allongé la prescription, celles de 1990 et 2006 qui ont aggravé les peines et celle de 2017 qui a allégé les règles de procédure, on en comptera une en 2021 qui va donc ouvrir la procédure de flagrant délit. Mais celle-ci ne pourra pas viser les journalistes et leurs directeurs de publication. La constitutionnalité de cette inégalité devant la loi risque de ne pas passer devant les sages de la rue de Montpensier. ;
Le nouveau délit de « mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations » va se superposer à celui de provocations aux crimes et délits des articles 23 et 24 de la loi de 1881. On sera curieux de voir comment les juges pourront éviter des requalifications aux visas de la loi spéciale, qui ne manqueront pas de s’imposer dans certains cas.
En bref, on risque d’avoir à reparler de cette « vache sacrée » qu’est la loi de 1881…