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Le Conseil d’Etat valide la mise en demeure par le CSA de RT France, à la suite d’une séquence contestant la réalité des attaques à l’arme chimique en Syrie
La chaîne RT France, branche francophone de la chaîne russe d'information internationale RT, demandait l’annulation pour excès de pouvoir de la mise en demeure de respecter à l’avenir les stipulations de sa convention, que lui a dressée le CSA en juin 2018, à la suite de la diffusion d’un reportage au cours d’un journal télévisé. Conformément à l’article 2-3-6 de la convention de la chaîne (dans sa version alors applicable) : « L’exigence d’honnêteté s’applique à l’ensemble des programmes. L’éditeur (…) vérifie le bien-fondé et les sources de chaque information. Dans la mesure du possible, celle-ci doit être indiquée. L’information incertaine est présentée au conditionnel. / Il fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information. / Il veille à l’adéquation entre le contexte dans lequel des images ont été recueillies et le sujet qu’elles illustrent. […]Dans les émissions d’information, l’éditeur s’interdit de recourir à des procédés technologiques permettant de modifier le sens ou le contenu des images. […) ». L’article 4-2-1 stipule que le CSA peut mettre l’éditeur en demeure de respecter les obligations qui lui sont imposées.
La séquence litigieuse, d’une durée d’environ dix-huit minutes, a été diffusée pendant un journal télévisé du 13 avril 2018, principalement consacré à la situation en Syrie à la suite d’attaques utilisant des armes chimiques perpétrées une semaine plus tôt contre la population civile de la ville de Douma. Après une présentation des réactions internationales, cette séquence comprenait notamment la diffusion des deux interviews accompagnées de bandeaux comme « certains locaux auraient été forcés de simuler des attaques chimiques » ou « attaques simulées », également d’un « micro-trottoir » recueillant les avis de passants parisiens sur l’opportunité d’opérations aériennes occidentales en Syrie et de l’intervention en plateau d’une personne, présentée comme « conseiller en stratégie internationale ».
Le CSA a, en premier lieu, retenu que la diffusion par RT France, au cours du programme litigieux, d’extraits d’interviews de personnes s’exprimant en arabe syrien et évoquant, dans cette langue, la situation de famine qui sévissait dans la région de Douma, avait été accompagnée d’une traduction simultanée dénuée de lien avec ces propos, et mentionnant une simulation d’attaque à l’arme chimique. Il s’avère que ces derniers propos avaient été tenus dans un autre extrait, non diffusé à l’antenne. En second lieu, le CSA a retenu que la traduction en français, de certains propos des personnes interviewées, qui s’exprimaient en arabe syrien, avait pour effet d’attribuer au groupe armé « Jaych al Islam » des simulations d’attaques à l’arme chimique, alors qu’une telle attribution ne ressortait pas des propos tenus dans leur langue par les personnes interviewées.
Le Conseil d’Etat juge que le CSA a fait une exacte application des stipulations de la convention de la chaîne en estimant que ces éléments relatifs aux interviews constituaient des manquements aux exigences de rigueur ainsi que, pour la seconde, d’honnêteté dans la présentation et le traitement de l’information.
L’article 2-3-1 de la convention de la chaîne impose en outre aux journalistes de « veiller à respecter une présentation honnête des questions prêtant à controverse et à assurer l’expression des différents points de vue ». Le Conseil d’Etat explicite que si ces stipulations ne font pas obstacle à la définition par l’éditeur du service conventionné d’une ligne éditoriale, elles lui imposent cependant de n’aborder les questions prêtant à controverse qu’en veillant à une distinction entre la présentation des faits et leur commentaire et à l’expression de points de vue différents.
Le CSA, pour prononcer la mise en demeure attaquée, a relevé que la séquence litigieuse était empreinte d’un déséquilibre marqué dans l’analyse du sujet et d’un traitement univoque de la question des armes chimiques, alors que la sensibilité et le caractère controversé du sujet imposaient que, conformément aux obligations de la convention de la chaîne, différents points de vue soient exposés. Or, la séquence litigieuse donnait à penser, du fait d’une confusion entre la présentation des faits et leur commentaire et du choix de bandeaux comme « attaques simulées », que le caractère fictif des attaques chimiques intervenues dans la ville de Douma le 7 avril 2018 constituait un fait établi, alors qu’il s’agissait d’un fait incertain et controversé. En outre, la seule intervention en plateau d’un « conseiller en stratégie internationale » affirmant que l’armée syrienne ne faisait pas usage d’armes chimiques, que les djihadistes disposaient de laboratoires de fabrication de telles armes et que l’opinion publique des pays occidentaux était manipulée, sans qu’aucun autre élément du programme ne vienne contrebalancer ses propos, a conduit à une présentation univoque d’une question prêtant pourtant à controverse.
Enfin, contrairement à ce dont se prévalait la chaîne, la décision attaquée ne peut être regardée comme portant une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression. RT France n’et donc pas fondée à demander l’annulation de la mise en demeure du CSA.