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Facebook présente son Conseil de surveillance
Facebook a annoncé, le mois dernier, la mise en place d’un Conseil de surveillance, organisme indépendant auprès duquel les utilisateurs pourront faire appel des décisions prises par la plateforme concernant le maintien ou le retrait de contenus, en application des Standards de la Communauté.
Pouvez-vous nous présenter le projet de Conseil de surveillance, les raisons ayant présidé à sa création ?
La création du Conseil de surveillance repose sur un constat simple. Donner une voix à 2,4 milliards d’utilisateurs à travers le monde tout en garantissant leur sécurité sur nos plateformes est une mission complexe. Chaque semaine, les équipes de Facebook sont amenées à prendre des millions de décisions difficiles, sur le maintien ou le retrait de contenus, en application des Standards de la Communauté.
Comme Mark Zuckerberg l’a déclaré en novembre 2018, nous estimons que des entreprises privées – et notamment Facebook – ne devraient pas prendre seules des décisions aussi importantes en matière de liberté d’expression et de sécurité de nos utilisateurs. C’est la raison pour laquelle nous avons appelé les gouvernements à établir des règles claires pour définir ce qui constitue un contenu problématique. C’est également pourquoi nous avons entamé il y a un an un processus collaboratif pour mettre en place cette nouvelle possibilité offerte à nos utilisateurs de faire appel des décisions en matière de contenus auprès d’un organisme indépendant.
Quels types de contenus seront concernés ? Qui pourra saisir le Conseil ?
Ce Conseil, qui n’a aucun équivalent dans le reste de l’industrie, aura pour mission de revoir les cas les plus difficiles et les plus significatifs concernant des messages, photos, vidéos, commentaires, comptes, groupes, pages, événements… et statuer s’ils violent ou non nos règles. Il pourra également, dans certains cas, transmettre à Facebook des recommandations d’évolution de ses politiques en la matière.
Concrètement, aujourd’hui, si vous n’êtes pas d’accord avec une décision prise par Facebook sur un contenu, vous pouvez faire appel auprès de nos équipes, ce qui vous permet d’obtenir un nouvel examen de notre décision initiale. Avec ce Conseil, si vous avez déjà fait appel de celle-ci, vous pourrez soumettre ce cas au Conseil. Cette possibilité sera également offerte à Facebook. Il reviendra alors au Conseil de choisir – parmi l’ensemble des cas qui lui seront soumis – ceux sur lesquels il souhaite statuer, principalement ceux qui sont à même d’avoir des implications à l’échelle planétaire, par exemple ceux relatifs aux questions de liberté d’expression ou de droits de l’homme. Les décisions de ce Conseil seront définitives et contraignantes, même si elles déplaisent à quelqu’un chez Facebook.
Nous sommes convaincus que ce Conseil sera un outil essentiel pour garantir à la fois la protection de notre Communauté et la liberté d’expression de nos utilisateurs à travers le monde. Nous espérons qu’il deviendra une référence et un modèle pour le reste de l’industrie, et qu’avec le temps, son champ d’application sera étendu pour inclure pourquoi pas d’autres entreprises.
Comment ce Conseil sera-t-il composé ?
Mettre en place ce Conseil, et l’ensemble des outils pour garantir l’efficacité de son travail a constitué un réel challenge. Pour y parvenir, et pour nous assurer qu’il réponde aux attentes des parties prenantes externes, nous avons initié un très large processus de consultation, et avons reçu des commentaires et recommandations de plus de 2 000 personnes de 88 pays, dotées d’expertises allant de la vie privée aux droits de l’homme, en passant par le journalisme ou le droit constitutionnel. La structure de gouvernance et la composition du Conseil, détaillés dans la Charte publiée en septembre 2019, sont les résultats de ces travaux. Notre objectif est que le Conseil soit composé au minimum de onze membres, et qu’il en compte à terme une quarantaine. Ces membres, dont le mandat sera de trois ans, devront représenter une large diversité géographique, culturelle, avec des parcours et horizons variés. C’est parmi cette quarantaine de membres que seront sélectionnés les panels, composés de cinq personnes, qui travailleront sur les cas individuels soumis au Conseil.
Comment pouvez-vous garantir l’indépendance des membres du Conseil ?
Nous pensons que l’indépendance de ce Conseil demeure la clé de son succès et de sa crédibilité. Cette indépendance permet en effet de se prémunir contre une concentration trop importante du pouvoir de décision entre les mains de nos équipes. Elle est source d’une plus grande responsabilité et d’une meilleure supervision des décisions, tout en offrant à nos utilisateurs l’assurance que ces décisions sont prises dans l’intérêt de notre Communauté.
Des garanties ont ainsi été mises en place pour assurer aux membres du Conseil l’indépendance de leurs décisions. Tout d’abord, Facebook va mettre en place et financera un trust irrévocable qui sera chargé d’héberger et de financer les activités courantes du Conseil. Les membres du Conseil auront un contrat avec ce trust et seront rémunérés par une structure entièrement intégrée. Et Facebook s’engage à financer ce trust à hauteur de plusieurs millions de dollars au cours des trois prochaines années minimum.
Un comité dédié sélectionnera les cas sur lesquels le Conseil se penchera, et Facebook ne pourra en aucun cas influencer cette sélection. Enfin, les décisions du Conseil seront contraignantes et Facebook sera tenu de les mettre en œuvre sans délai, sauf dans le cas où cela conduirait à enfreindre une loi.
Comment garantissez-vous la diversité des parties le composant ?
Nous avons entendu très clairement, au cours de nos consultations préalables, que ce Conseil devait avoir des membres extrêmement divers, mais également pouvoir recourir à des expertises spécialisées, puisque l’exercice de ses fonctions nécessitera une compréhension, au plan local, du contexte, des normes et des nuances pour statuer sur des contenus spécifiques. Cela ne se limite pas uniquement à une diversité géographique, ethnique ou de genre. Cela devra être vrai également en matière d’opinions politiques, d’origines sociales ou d’appartenance religieuse. Nous procéderons à un examen des candidats afin de nous assurer qu’ils répondent aux attentes en matière de diversité, et ce n’est qu’ensuite que sera proposé à certains d’entre eux de rejoindre le Conseil.
Le Conseil sera-t-il globalisé et mondial ?
Évidemment. Cela n’aurait pas de sens de mettre en place un Conseil qui exclurait une partie de notre Communauté.
Comme nous l’avons dit plus haut, ce Conseil est le résultat d’une très large consultation qui nous a donc permis de recueillir les observations et recommandations de plus de 2 000 personnes originaires de 88 pays, grâce à vingt-huit ateliers et tables rondes, des discussions individuelles et une consultation publique sur internet. Recourir à un processus de consultation aussi large garantit que des perspectives diverses de toutes les régions du monde ont pu être intégrées à cette initiative. Ce sera donc une structure internationale qui prendra des décisions sur des cas soumis par Facebook et nos utilisateurs, quelle que soit la nationalité de ceux qui ont posté les contenus en question. Évidemment, ses décisions – comme celles prises aujourd’hui par Facebook – s’appliqueront à l’échelle mondiale, à condition cependant qu’elles n’enfreignent aucune réglementation locale.
Quels fondements juridiques seront mis en œuvre pour statuer ?
Pour déterminer ce qui est autorisé et ce qui doit être retiré, Facebook a développé un ensemble de règles, les Standards de la Communauté, qui sont le « code de la route » de nos plateformes et services. Chaque décision que nous prenons pour maintenir ou supprimer des contenus s’appuie uniquement sur les politiques de contenus de Facebook et les valeurs sur lesquelles ces dernières sont développées. Le rôle du Conseil sera ainsi de revoir et de décider si des décisions prises sont en adéquation avec ces Standards et valeurs. Il sera également capable de faire des recommandations à Facebook d’évolution de ses politiques de contenus.
Quels pouvoirs aura le Conseil vis-à-vis des utilisateurs ? Vis-à-vis du réseau social ?
Le Conseil sera la seule autorité à pouvoir sélectionner les cas soumis par les utilisateurs ou par Facebook sur lesquels il se penchera ensuite. Pour cela, un comité dédié procédera à cette sélection et attribuera ensuite ces cas à des panels de cinq membres, chargés de les examiner. Une fois un cas sélectionné, le Conseil seul interprétera les Standards de la Communauté et décidera si le contenu en question doit être maintenu ou retiré. Cette décision sera mise en œuvre, quelle que soit la position de l’entreprise, sauf si elle aboutit à enfreindre une loi. Pour garantir un processus efficace et des décisions éclairées, le Conseil aura notamment la possibilité de demander à Facebook de lui fournir les informations complémentaires requises par les panels pour prendre des décisions.
En complément, le Conseil disposera d’un autre pouvoir essentiel – et c’est certainement l’un des plus importants – celui de pouvoir faire des recommandations à Facebook en matière de politiques de contenus, et ce si des membres considèrent qu’une évolution des règles est nécessaire. Dans ce cas, ces recommandations non contraignantes seront transmises à notre “Product policy forum”, et intégré au processus en vigueur en matière de mises à jour de nos politiques de contenus, pour examen et décision concernant leur mise en œuvre ou non. Ici également, nous communiquerons de manière transparente sur chacune des décisions prises. Soulignons également que la Charte prévoit que Facebook puisse solliciter auprès du Conseil des recommandations concernant ses politiques en vigueur.
N’existe-t-il pas un risque de justice privée et d’atteinte à la souveraineté des États ?
L’éligibilité de tout appel, qu’il soit initié par un utilisateur ou par Facebook, sera vérifiée avant de pouvoir être soumis au Conseil. Ainsi et comme précisé par la Charte, les cas où un changement de la position prise par Facebook aboutirait à une mise en cause de la responsabilité pénale de l’entreprise, ou à des sanctions réglementaires, ne seront pas éligibles à un examen par le Conseil. Parallèlement, dans l’hypothèse où le Conseil prendrait une décision ou émettrait une recommandation dont l’application pourrait conduire à enfreindre la loi, Facebook ne les appliquera pas.
Avec la loi allemande ou la proposition de loi Avia française, on risque de voir se multiplier les contestations de retrait par Facebook. Comment vont s’articuler les procédures judiciaires étatiques et celles menées en « internes » par ce Conseil ?
Ce Conseil de surveillance a pour seul objectif d’offrir aux utilisateurs la possibilité de faire appel, auprès d’un organisme indépendant, des décisions prises par Facebook en application des Standards de la Communauté. Il ne sera pas en capacité de rendre des décisions sur des contenus enfreignant des lois. Si nous recevons des notifications juridiques valides de la part des autorités compétentes concernant un contenu, nous prendrons les mesures adéquates sans aucune possibilité de faire appel de cette décision auprès du Conseil.
Que pensez-vous de l’arrêt de la CJUE du 3 octobre dernier (aff. C-128/19), qui autorise les juridictions internes à enjoindre à Facebook (ou tout autre hébergeur) de retirer des contenus identiques à certains déclarés précédemment illicites, ou de bloquer l’accès à ceux-ci, et ce même au niveau mondial ?
Cette décision soulève des questions critiques concernant la liberté d’expression et le rôle que les entreprises de l’internet devraient jouer dans le monitoring, l’interprétation et la suppression des discours qui peuvent être illégaux dans certains pays. Chez Facebook, nos Standards de la Communauté définissent d’ores et déjà ce que les utilisateurs peuvent et ne peuvent pas partager sur notre plateforme, et nous avons des processus en place pour restreindre l’accès à des contenus qui enfreignent des lois locales. Cet arrêt va bien au-delà.
Il porte atteinte au principe établi de longue date, selon lequel un pays n’a pas le droit d’imposer ses lois en matière de liberté d’expression à d’autres pays. Il ouvre également la porte au fait d’imposer aux entreprises de l’internet des obligations en matière de monitoring proactif des contenus. Elles pourraient également devoir interpréter si ces contenus sont équivalents à d’autres contenus jugés illégaux. Il faudra pour cela que les juridictions nationales définissent très clairement de ce que « identiques » et « équivalents » signifient en pratique. Nous espérons que les juridictions adopteront une approche mesurée et proportionnée, pour éviter que cette jurisprudence limite la liberté d’expression.
Propos recueillis le le 15 octobre 2019, par Amélie Blocman