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L'atteinte portée à la vie privée du président de Lactalis, par la divulgation de sa propriété, était légitimée par le droit à l'information du public
France Télévisions a diffusé, en 2016, dans l’émission Envoyé spécial, un reportage consacré à la crise de la production laitière intitulé « Sérieusement ?! Lactalis : le beurre et l’argent du beurre ». Le président de Lactalis soutenait qu’une séquence de ce reportage faisait mention du nom de sa résidence secondaire, de sa localisation précise et en présentait des vues aériennes, et invoquant l’atteinte portée à sa vie privée, a assigné France Télévisions sur le fondement des articles 8 de la Convention EDH et 9 du code civil, aux fins d’obtenir réparation de son préjudice, ainsi que des mesures d’interdiction et de publication judiciaire. Ses demandes ayant été rejetées par la cour d’appel, il a formé un pourvoi en en cassation.
A l’appui de son pourvoi, l’intéressé reprochait à la cour d’appel de s’être fondée sur les trois premiers critères parmi les six, qu’il estime cumulatifs, dégagés par le Cour européenne des droits de l’homme pour mettre en balance les intérêts en présence en cas de conflit entre les droits garantis par l’article 8 (vie privée) et 10 (liberté d’expression). Ainsi, la cour n’aurait pas examiné, selon lui, la répercussion de la publication, les circonstances des prises de vue et la mesure de la sanction requise. Le requérant observait également que la cour d’appel s’est bornée à affirmer que les éléments litigieux ont déjà été disponibles dans le domaine public sans opposition de l’intéressé, alors que selon lui, la liberté de divulguer des éléments de la vie privée qui seraient déjà disponibles dans le domaine public n’est pas en principe absolue. Enfin, il reprochait aux juges du fond de ne pas avoir apprécié concrètement la nécessité d’une ingérence dans la vie privée prétendant s’autoriser de la liberté d’expression, sous la justification de l’existence d’un débat général sur la « crise du lait ».
La Cour de cassation rappelle que, pour effectuer la mise en balance des droits en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies. Ainsi, il incombe au juge de procéder, de façon concrète, à l’examen de chacun de ces critères.
En l’espèce, il est relevé qu’après avoir retenu que les indications fournies dans la séquence litigieuse, qui permettent une localisation exacte du domicile de l’intéressé, caractérisent une atteinte à sa vie privée, l’arrêt relève, d’abord, que le reportage en cause évoque, notamment, la mobilisation des producteurs laitiers contre le groupe Lactalis, accusé de pratiquer des prix trop bas, et compare la situation financière desdits producteurs à celle du dirigeant du premier groupe laitier mondial. Il ajoute que l’intégralité du patrimoine immobilier du requérant n’est pas détaillée, les informations délivrées portant exclusivement sur le bien que ce dernier possède en Mayenne, où résident les fermiers présentés dans le reportage, de sorte que ces informations s’inscrivent dans le débat d’intérêt général abordé par l’émission. L’arrêt énonce, ensuite, par motifs propres et adoptés juge la Cour, que l’intéressé, en sa qualité de dirigeant du groupe Lactalis, est un personnage public et que, bien que le nom et la localisation de sa résidence secondaire aient été à plusieurs reprises divulgués dans la presse écrite, il n’a pas, par le passé, protesté contre la diffusion de ces informations. Il constate, enfin, que la vue d’ensemble de sa propriété peut être visionnée grâce au service de cartographie en ligne Google maps et que, pour réaliser le reportage incriminé, le journaliste n’a pas pénétré sur cette propriété privée.
La Cour de cassation juge que la cour d’appel a ainsi examiné, de façon concrète, chacun des critères à mettre en œuvre pour procéder à la mise en balance entre le droit à la protection de la vie privée et le droit à la liberté d’expression et n’avait pas à effectuer d’autres recherches. Elle a légalement justifié sa décision de retenir que l’atteinte portée à la vie privée du requérant était légitimée par le droit à l’information du public. Le pourvoi est donc rejeté.