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Droit voisin : éviter la dépendance aux plateformes et favoriser le pluralisme
Dès l’été 2016, les éditeurs du Spiil ont exprimé leurs réticences sur la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse, notamment en raison d'un risque de dépendance accrue vis-à-vis des plateformes (réseaux sociaux et moteurs de recherche).
Depuis, le Parlement européen a voté le 12 septembre 2018 en faveur de ce droit voisin, à travers les articles 11 et 13 du projet de directive “Copyright”. Le premier instaure un droit voisin au droit d’auteur au bénéfice des éditeurs de presse en ligne et des journalistes. Les modalités de cette rémunération, payée par les plateformes aux éditeurs et journalistes, restent à définir par chaque pays. Le second, l’article 13, cherche à encourager la signature d’accords de licences entre les sociétés de perception et les plateformes.
Dès lors, il importe aujourd’hui pour le Spiil de penser la suite, à savoir la transposition en droit français de la directive. Puisque ce droit voisin devrait voir le jour, quel modèle pour en limiter les effets négatifs ?
Une société de gestion collective unique, gage d’une dépendance plus limitée
Dans un débat médiatique surinvesti par les défenseurs du droit voisin et souvent caricaturé en “ami ou ennemi des GAFA”, peu de place a été laissée à l’analyse des effets concrets sur l’écosystème de la presse de ce nouveau droit.
Les partisans d’un droit voisin pour les éditeurs de presse ont martelé qu’un journalisme de qualité et indépendant est indispensable à la démocratie. Bien sûr. Mais le faire financer par les plateformes, par l’intermédiaire du droit voisin, c’est justement le mettre en situation de dépendance !
Les plateformes jouissent déjà d’une influence forte sur les éditeurs de presse à travers leur rôle d’indispensable intermédiaire entre les journalistes et les citoyens. Environ 60 % de l’audience des principaux journaux français et américains vient de deux plateformes, Google et Facebook. Leur pouvoir de façonner les pratiques éditoriales est d’ores et déjà considérable. Le droit voisin leur donne un nouveau levier d’influence, économique, direct, en créant une ligne de revenus, garantie par la loi. La dépendance éditoriale de la presse en ligne vis-à-vis des plateformes va se doubler d’une dépendance économique.
Pour limiter cette dépendance, une organisation collective du pouvoir de négociation avec les plateformes semble préférable, à travers une société de gestion collective unique. Celle-ci assurerait la négociation d’un barème unique, quel que soit l’éditeur concerné, permettant d’éviter de donner aux plateformes un levier d’influence sur les publications de presse via la modulation de leur référencement.
Cependant, cette société de gestion collective unique ne peut être légitime qu’à deux conditions :
- Première condition : une représentation de tous les éditeurs dans l’organisation et la gouvernance, favorisant ainsi le pluralisme. Il ne faut pas qu’une partie de la presse, notamment la plus visible, s’étant battue pour le droit voisin, s’arroge un droit de gouvernance du collecteur unique
- Deuxième condition : une équité et une transparence totale sur les règles et les périmètres de collecte du droit.
Ne pas renforcer l’oligopole des plateformes
Le coût de mise en œuvre de cette nouvelle licence peut être conséquent, et inaccessible aux plus petits acteurs. Cela peut avoir l’effet néfaste de limiter l’intensité concurrentielle des plateformes. La volonté exprimée par les défenseurs du droit voisin de limiter le pouvoir des plus grandes plateformes pourrait ainsi, paradoxalement, renforcer leur prédominance, car elles seules auront les moyens de financer les coûts de mise en œuvre de ce droit.
Or la concentration de la distribution des contenus de presse numérique dans les mains d’un nombre très restreint d’acteurs est, déjà aujourd’hui, un enjeu démocratique. Les modalités de collecte doivent donc veiller à ne pas renforcer l’oligopole existant en matière de distribution des contenus de presse. Il ne s’agit pas non plus d’exonérer les plus petits acteurs du droit voisin. Une piste pourrait être d’adapter les barèmes de collecte à la taille des acteurs.
Limiter l’effet boomerang
L’argument a été brandi par les plateformes dans le débat bruxellois. Il ne faudrait pas en effet que l’existence de ce coût de licence désincite les plateformes à référencer les contenus de presse.
Le choix des modalités de collecte doit être attentif à cet effet. Il ne faudrait pas que le droit voisin ait pour effet concret de limiter l’usage de l’information créée par des journalistes professionnels. Il ne faudrait pas non plus que cet effet concret soit de moins référencer les petits éditeurs.
Inventer des modalités de redistribution qui favorisent le pluralisme
Les éditeurs indépendants du Spiil appellent à la vigilance dans la mise en place des règles de redistribution du droit voisin. La mise en place de règles vertueuses pour l’écosystème est indispensable afin de ne pas faire de ce financement une nouvelle rente pour une minorité de médias qui bénéficient déjà de la majeure partie des aides à la presse.
Pour cela, le Spiil met en garde contre des clés de répartition qui se baseraient sur la seule audience des articles, créant ainsi une incitation économique à la création de contenus racoleurs et renforçant leur uniformisation. Ne laissons pas le droit voisin saper la qualité et la diversité de l'information en ligne ! Les plateformes ont déjà une influence considérable sur le modèle économique et les lignes éditoriales des éditeurs de presse, en favorisant les contenus gratuits. Il ne faudrait pas que les règles de redistribution du droit voisin augmentent encore ce biais.
Une attention portée à la valeur créée, pour notre société, par chaque information dans les règles de redistribution permettrait d’éviter cet effet indésirable. Ainsi, celles-ci pourraient se baser sur des indicateurs quantitatifs permettant d’évaluer l’impact du contenu journalistique sur notre société. Plusieurs projets de recherche réfléchissent déjà à ces enjeux, en France, en Europe ou aux États-Unis.
Il nous appartient collectivement d’inventer ces modalités de redistribution qui permettront au droit voisin d’avoir un impact positif sur le pluralisme. Soyons ambitieux !
Ne pas se reposer sur une rente
Le droit voisin n’est pas une solution miracle aux difficultés rencontrées par les éditeurs traditionnels dans leur transition numérique. Cet espoir est plutôt emblématique d’une vision court-termiste, où tout revenu est bon à prendre, quel qu’en soit le coût stratégique - ici, une augmentation de la dépendance aux plateformes.
Pourtant, produire de l’information de qualité est rentable en ligne. Le taux de mortalité des entreprises adhérentes du Spiil, trois fois inférieur à la moyenne nationale, continue de le montrer.
N’attendons pas notre salut d’une nouvelle rente garantie par le législateur. Faisons plutôt de notre indépendance le levier de nos réussites économiques.
J.-C. B