01/06/2013
Des incidences de la suppression du mot « race » sur l'efficacité de la législation réprimant les comportements racistes
Benoît Derieux
Avocat au Barreau de Paris
Chaintrier Avocats
Si le réalisateur Clint Eastwood a choisi l'acteur Morgan Freeman pour interpréter Nelson Mandela dans son film Invictus, sorti en 2009, c'est parce qu'il avait besoin, pour ce rôle, d'un homme à la peau noire. Cette discrimination, au sens étymologique du terme, s'est bien faite à raison du sexe et de la « race » avec toutes les réserves dont il convient d'entourer cette notion, mais au sens que lui donne la jurisprudence lorsqu'elle réprime les comportements racistes.
Pourtant, pas davantage qu'il n'était sexiste, ce choix ne reposait sur des « raisons racistes ».
Aussi caricaturale que soit cette illustration, elle révèle que toute distinction « à raison de la race » n'est pas nécessairement faite « pour des raisons racistes ».
Partant du principe que la notion de « race » ne correspond, chez les humains, à aucune réalité scientifique, mais que le recours à celle-ci dans la législation pourrait contribuer à légitimer, chez certains, des comportements racistes, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture, ce 16 mai 2013, une proposition de loi « tendant à la suppression du mot race dans notre législation ».
Les auteurs de la proposition de loi ont relevé, dans la législation française, une soixantaine d'occurrences des mots « race » et « racial », principalement dans les Codes pénal et du travail et dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, mais également dans des lois éparses telles que celles du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ou du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.
S'agissant des dispositions pénales, dont celles issues de la loi du 29 juillet 1881, les députés ont choisi de remplacer le mot « race » par la locution « pour des raisons racistes ». Ainsi, par exemple, la diffamation envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une « race » déterminée est remplacée par la diffamation « pour des raisons racistes ». De même, la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence « pour des raisons racistes » remplace celle qui, jusqu'alors, reposait sur l'appartenance, ou non, d'une personne ou d'un groupe de personnes visées à une « race » déterminée.
Dans sa présentation en séance de la proposition de loi, le député rapporteur Alfred Marie-Jeanne a affirmé, soucieux de « sécurité juridique », que la « substitution » serait « juridiquement neutre : tous les comportements racistes incriminés sous l'empire de la législation actuelle le resteront de manière rigoureusement identique avec la loi issue de nos travaux ».
À la lumière de l'exemple donné en ouverture de ces propos et du principe d'interprétation stricte de la loi pénale, cette affirmation paraît bien hasardeuse.
Si, en effet, et au-delà du fait que les notions ne se recoupent pas nécessairement, l'infraction commise « à raison de la race » peut être appréhendée de façon relativement objective, il semble que la recherche de celle qui serait motivée « par des raisons racistes » nécessite une subjectivité bien plus importante dans la détermination de son élément moral. Comment les tribunaux parviendront- ils à établir les « raisons racistes » qui ont pu motiver les actes des personnes qu'ils auront à juger ? De plus, à la lecture du compte rendu de leurs débats, les députés n'ont pas semblé mesurer la portée de l'emploi du pluriel : en stricte application de la nouvelle rédaction de ces textes, c'est d'au moins deux raisons racistes qu'il faudrait prouver que l'auteur des propos ou des actes poursuivis a été animé.
Le rapporteur de la proposition de loi concède que la suppression du mot « race » de la législation « ne fera évidemment pas disparaître le racisme ». Loin des objectifs initiaux, mais du fait d'une rédaction malencontreuse, la poursuite et la répression des infractions racistes pourraient surtout se trouver entravées.
Les premières décisions de jurisprudence permettront de vérifier si ce changement, annonciateur d'une suppression du mot « race » de la Constitution, promesse de campagne du président de la République, est aussi « neutre » qu'annoncé par les rédacteurs de la proposition de loi. Sauf si les sénateurs ou, en deuxième lecture, les députés, trouvent une rédaction plus à même de concilier les objectifs affichés et la sécurité juridique recherchée.
1er juin 2013 - Légipresse N°306