01/05/2013
L'effectivité des exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins : les usages, la loi, la régulation Conclusions du colloque organisé par la Hadopi le 19 avril 2013
Faisant suite au chantier mené par la Hadopi et Jacques Toubon (1) sur les exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins, un colloque s'est tenu le19 avril à la Maison de la Chimie.
Nous reproduisons ici les conclusions de Marie-Françoise Marais à l'issue de cette riche journée de débats.
Marie-Françoise MARAIS
Conseiller à la Cour de cassation
Lorsque le chantier consacré aux exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins a été créé sous la direction de Jacques Toubon, je n'avais pas perçu combien le terme « chantier » était approprié à la question traitée. Mettre en chantier, c'est avant tout entreprendre, quand le besoin s'en fait sentir, une vaste réflexion pour permettre l'aménagement, la modification et la reconstruction de ce qui existe mais ne répond plus, ou répond mal, à une situation donnée et crée un déséquilibre que personne ne peut plus supporter.
Le foisonnement des idées aujourd'hui exprimées par les autorités scientifiques les plus autorisées et les analyses auxquelles il a été procédé, traduisent l'intérêt majeur du sujet qui passionne autant qu'il divise. Comment rétablir l'équilibre lorsqu'en raison des possibilités, toujours plus grandes, offertes par la technique, les uns aspirent à la satisfaction immédiate de leurs envies par une utilisation de plus en plus débridée des oeuvres, quand d'autres cherchent au contraire à en contrôler l'accès de façon drastique en imposant des limitations et des contraintes toujours plus lourdes et de plus en plus mal supportées ? Trois années d'expérience de la Hadopi conjuguées à l'analyse des nombreuses contributions reçues par le chantier et aux réflexions d'une doctrine aussi riche que divergente, font ressortir l'impérieuse nécessité de procéder à un réexamen global et cohérent des exceptions existantes accompagné de la mise en place d'une régulation rénovée et renforcée.
Une approche globale et cohérente des exceptions L'approche des exceptions, conçues non comme un droit mais comme une tolérance, destinée a assurer un équilibre entre le monopole des droits de propriété intellectuelle et les attentes les plus légitimes du public, s'est effectuée, et s'effectue encore trop souvent, de façon pointilliste et fragmentaire, à l'occasion de l'étude de tel type d'oeuvres ou tel autre. Or seule une vision globale et cohérente des exceptions peut permettre de fixer des règles claires et précises sans lesquelles l'utilisateur ne peut se retrouver. Ce besoin de clarification est essentiel : il y va de l'effectivité des exceptions proclamée avec force par la communauté européenne dans ses directives, et de la survie même du droit d'auteur.
Ainsi que le soulignait le professeur Caron (2), les exceptions ont pour vocation de créer une zone de liberté permettant au droit fondamental de la propriété intellectuelle de s'articuler harmonieusement avec d'autres libertés également fondamentales, comme la liberté d'expression et de la presse ou le respect de la vie privé. Or l'intrusion du numérique et de l'internet a fait de cette zone de liberté une zone de turbulences, turbulences que le droit d'auteur ne peut ignorer sans risquer d'exploser.
Encore faut-il, pour procéder, avec succès, au réexamen des exceptions et assurer un équilibre, se garder de toute instrumentalisation, non seulement de la part des bénéficiaires, dont les
attentes se font de plus en plus pressantes, mais également de la part de ceux qui les subissent et cherchent à les réduire à leur plus simple expression. Une régulation rénovée et renforcée est, à mon sens, le meilleur moyen de trouver une solution.
Une régulation rénovée et renforcée La question n'est pas nouvelle. L'affaire Mulholland Drive (3), plusieurs fois évoquée au cours de ce colloque, est riche d'enseignements.
Cette affaire, dont j'étais le rapporteur, est exceptionnelle et semble, à bien des égards, avoir été montée pour les besoins de la cause. Il s'agissait d'apprécier si le recours à une mesure technique de protection (Mtp), interdisant la copie du film Dvd sur une cassette Vhs, était légitime et pouvait être validé. Pour statuer, nous ne disposions que de la directive du 22 mai 2001, non encore transposée, exigeant que l'appréciation des exceptions se fasse à la lumière du nouvel environnement numérique, en tenant compte des risques potentiels de diffusion illicite pouvant conduire à une appréciation restrictive de ces exceptions. Était également rappelée la nécessité de respecter le test des trois étapes (à savoir le respect d'un équilibre entre utilisateurs et titulaires des droits préservant, dans ce cas particulier, l'exploitation normale de l'oeuvre et l'intérêt légitime de l'auteur).
Je me souviens fort bien qu'au cours de la discussion, aidés en cela par nombre de commentateurs de la directive, nous avons déploré l'absence d'un régulateur dont l'intervention, en raison des investigations requises, paraissait mieux adaptée que celle d'un juge. Que la question d'un régulateur ait pu être évoqué au titre des mesures appropriées ou adéquates, que la directive invitait les États membres à prendre, traduit bien l'importance en l'occurrence d'une telle institution.
Les lois Dadvsi et Hadopi devaient ultérieurement, certes de façon limitée, recourir à une telle mesure. Je demeure convaincue que l'encadrement de ce secteur, où les usages, les techniques et les attentes qu'elles suscitent, sont en perpétuelle évolution, exige de plus en plus une telle régulation, peu important l'autorité qui pourrait en avoir la charge.
Mais qu'entendre par régulation ? Marie-Anne Frison-Roche (4), en donne une parfaite définition : « la régulation intervient comme une sorte d'appareillage propre à un secteur, intégré dans celui-ci, dont la réglementation n'est qu'un des outils qui entrelace règles générales, décisions particulières, sanctions, règlements des conflits, et qui inclut généralement la création d'un régulateur indépendant.
Par cet appareillage juridique, le système de régulation crée et maintient un équilibre entre la concurrence et un autre principe que la concurrence dans des secteurs économiques qui ne peuvent les créer ou les maintenir de leurs propres formes ».
L'avis que nous avons rendu, le 8 avril dernier, à la demande de l'association VideoLan (5) sur une question d'interopérabilité, a démontré que dans le domaine foisonnant des exceptions et des Mtp, souvent le diable se niche dans les détails. La loi ne peut pas tout prévoir. Il ne paraît ni possible ni souhaitable d'essayer de fixer des règles générales pour régler à un moment T des situations en perpétuelle évolution. Parvenir à des décisions raisonnablement acceptables, préservant l'équilibre requis, exige une souplesse que seul un régulateur peut assurer. Encore faut-il doter celui-ci des pouvoirs nécessaires en facilitant sa saisine, en élargissant son champ d'investigation et en le dotant des pouvoirs qui sont ceux de tout régulateur, pouvant aller jusqu'au prononcé de recommandations ou d'injonctions, assorties, le cas échéant, de sanctions dans les cas les plus extrêmes.
Au-delà des divergences et des contradictions mises en lumière par nos travaux, on voit bien que la question de l'effectivité des exceptions est au coeur du problème. Une régulation rénovée et renforcée est la condition sine qua non d'un développement d'une offre légale forte, diversifiée et accessible. Elle permettrait de donner, dans le monde d'internet, au droit d'auteur tout son relief et de le préserver.
1er mai 2013 - Légipresse N°305