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Tribune


01/03/2011


Faites entrer le dessinateur !



 

Le dessinateur de presse, tel qu'il existait depuis le XVIIIe siècle, était une espèce en voie de disparition. N'aurait dû lui subsister que le caricaturiste, qui est un dessinateur d'un genre particulier, qui commente plus qu'il ne montre.
Cette mort annoncée était la conséquence de l'avènement de la photographie, dont les techniques de prise de vue, comme de reproduction, n'ont cessé de s'améliorer et d'être plus aisées.
S'il a survécu, le dessinateur de presse le doit beaucoup à la loi de 1954, dont l'adoption, consécutive aux excès constatés lors du procès Dominici, a posé à l'article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 l'interdiction de photographier comme de filmer le déroulement des procès dans les salles d'audience, dont l'entrée n'est, depuis, autorisée qu'aux seuls dessinateurs.
Le droit de rendre compte d'un procès est pourtant consubstantiel au principe de la publicité des débats, dont on sait que c'est un principe démocratique fondamental, puisque la justice est rendue au nom de tous, soit, pour ce qui nous concerne, « au nom du peuple français » Cette restriction apparaît donc, à beaucoup, très contestable. (1) Le droit de filmer les procès est dans notre droit positif réservé aux seuls procès qui présentent un intérêt historique et selon certaines conditions de délai et de forme. À défaut, la seule image autorisée, que la justice tolère qu'on garde de son déroulement, est donc celle qu'en donnent les dessinateurs de presse.
L'image fait peur parce qu'elle agit sur un registre émotionnel, dont la justice veut se préserver. Il n'en est pas de même du dessin qui, du fait de la part nécessairement subjective, laissée à l'interprétation du dessinateur, n'est pas une image parfaitement fidèle. Elle a le goût des illustrations surannées, une image un peu effacée, passée, pour ne pas dire compassée, voire poétique.
Une image de la justice qui rappelle toujours un peu Daumier.
Bref, une image qui est restée celle du XIXe siècle ! On tolère aussi la présence du dessinateur de presse à l'audience car, à la différence du photographe ou du caméraman, il est discret et sait se faire oublier. Il s'installe sagement dans un coin de la salle d'audience. Ayant rarement la place d'installer un chevalet, il se contente d'ouvrir un carton à dessins, et croque tout ce qu'il voit : la solennité des magistrats, le défilé des témoins, le désarroi des victimes, la fougue des avocats, la contrition du prévenu… lequel est, c'est vrai, le plus souvent campé dans un box entouré de gendarmes.
Le dessinateur de presse doit rendre compte de tout ce qui se passe. Il doit saisir les moments clé du procès. Comme le greffier d'audience qui doit noter prestement tout ce qui se dit, le dessinateur esquisse, ébauche et retrace, dans autant de croquis qui ne seront pas tous envoyés aux journaux, tout ce qui se voit. Ces moments d'audience qui sont autant de moments de vérité judiciaire, ne sont pas simplement des illustrations, mais donnent parfois les clefs de la décision ensuite rendue.
Le dessinateur Peyrucq explique ainsi son métier : « Rapidité et instantanéité d'exécution sont indispensables.
J'essaie de ne pas oublier : la position des mains, le regard, l'état émotionnel. Chaque procès est un défi pour moi » (2).
Quel avocat croqué lors d'un procès, n'est pas reparti après avoir sympathisé avec un des dessinateurs sur place, avec un dessin le représentant dans la posture préférée de l'avocat : celle où on le devine plaidant, la main à la barre, le doigt pointé vers le ciel, ou, les lunettes sur le bout du nez, lisant une déposition ? Il gardera ensuite ce portrait qui figurera encadré en bonne place dans son bureau.
Le dessinateur de presse est donc, à défaut de caméras et de photographes, un acteur indispensable d'une justice rendue publiquement. Il l'est au même titre que le chroniqueur judiciaire dont il illustre le compte rendu, et dont il est le complément indispensable pour la représentation que le citoyen doit se faire de sa justice.
Mais il faut croire que l'image que donnent ainsi ces dessinateurs des personnes appelées à comparaître en justice est trop fidèle, pour qu'on s'en défie, à leur tour. À deux reprises en effet, un dessinateur de presse, en l'occurrence le susnommé Benoît Peyrucq, s'est dernièrement vu exclure d'un procès. Ce fut d'abord en novembre dernier, devant la Cour d'assises spéciale. Un militant séparatiste basque, qui comparaissait, a obtenu du président de la juridiction que lui soit demandé de sortir de la salle d'audience,

en invoquant le respect du droit à son image. C'est encore plus récemment, en janvier dernier, que Pierre Falcone s'est également opposé à la présence du même dessinateur, car il ne souhaitait pas être dessiné avec des gendarmes assis à ses côtés, toujours au prétexte que son image, sinon, en pâtirait.
Ces incidents sont l'occasion de rappeler que le droit à l'image n'est, sauf dans des situations très particulières liées à des restrictions d'identification ou à la protection de l'intimité de la vie privée, pas un droit que pose expressément la loi française. Et, s'il a été rattaché de manière un peu artificielle par la jurisprudence à l'article 9 du Code civil, cela suppose, pour être fautive que la reproduction de l'image soit révélatrice d'un élément de la vie privée. Or, la comparution à une audience publique ne ressortit pas, par définition, du domaine de la vie privée, telle que protégée par l'article 9 du Code civil.
L'image, lorsqu'elle a une valeur patrimoniale, est également protégée contre les utilisations commerciales qui pourraient en être faites. Rien de tel non plus, en l'espèce. Le dessinateur de presse n'est là que pour illustrer l'information voire la rapporter.
Son activité est donc, en tant que telle, protégée par les principes qui gouvernent la liberté d'information, notamment l'article 10 de la Cedh. Or, la Cour de Strasbourg rappelle que les images peuvent transmettre des messages que l'écrit n'est pas toujours apte à faire passer, et qu'il n'appartient pas « aux juridictions nationales de se substituer à la presse pour dire quelle technique de compte rendu, les journalistes doivent adopter car outre la substance des idées et informations exprimées, l'article 10 protège leur mode d'expression » (3).
Ainsi la liberté d'expression c'est non seulement le droit de raconter, mais également le droit de monter, et en corollaire, pour le public, non seulement le droit de savoir, mais aussi celui de voir (4).
À défaut de la révision de notre législation qui permettrait enfin que le citoyen puisse voir le fonctionnement de sa justice par le prisme habituel des photographies et des images audiovisuelles, il faut veiller à laisser entrer le dessinateur de presse dans les salles d'audience. Il en va, tant du bon fonctionnement de notre justice, que du droit à l'information du public !
1er mars 2011 - Légipresse N°281
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