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Tribune


01/02/2010


Quand le journaliste s'invite dans les lois sur la presse et le droit d'auteur



 

Jusqu'à ces derniers mois, la notion de « journaliste professionnel » n'était qu'une notion du Code du travail.
Elle n'apparaissait sinon, depuis la réforme de janvier 1993, qu'à l'article 109 du Code de procédure pénale où elle n'était pour autant pas définie (1).
Curieusement, les lois sur la liberté de la presse et les entreprises de presse ignoraient la notion de journaliste, alors même qu'elles traitent principalement de celle de journal périodique (2). La loi de 1957, sur la propriété littéraire et artistique, intégrée depuis 1992 dans le Code de la propriété intellectuelle, n'évoquait pas plus le journaliste dans ses dispositions. Il n'y était jamais question que des « auteurs » des articles publiés dans un journal ou recueil périodique (3).
Le journaliste est sorti ces derniers mois du seul périmètre du Code du travail, pour s'inviter dans les lois sur la presse et sur le droit d'auteur. C'est, en partie, la conséquence des réflexions et travaux des États généraux de la presse, dont les conclusions, visant à promouvoir et à protéger la presse écrite, ont abouti à la promotion et la protection du journaliste lui-même.
I. La définition du « journaliste professionnel » du Code du travail La définition du journaliste a été adoptée par la loi du 29 mars 1935, dite loi Cressard. Elle a été remaniée et complétée par celle du 4 juillet 1974 et intégrée dans le Code du travail, dont la renumérotation depuis mars 2007, le définit, à l'article L.7111-3 comme étant « toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse et qui en tire le principal de ses ressources », et à l'article L.7111-5, « les journalistes exerçant leur profession dans une ou plusieurs entreprises de communication au public par voie électronique, ont la qualité de journaliste professionnel » au même titre que leurs confrères de la presse écrite.
Les critères légaux ne s'attachent donc qu'au lieu où s'exerce l'activité et à l'importance qu'elle représente dans les revenus du journaliste, puisque c'est le rattachement à l'entreprise de presse ou de communication qui est central pour le législateur, avec la nécessité pour le journaliste d'en tirer le principal de ses ressources.
La jurisprudence y a ajouté des conditions liées à la nature de l'activité, en imposant un travail intellectuel sur des faits d'actualité. Les deux ordres de juridiction ont en effet statué dans le même sens. La Cour de cassation exige « une collaboration intellectuelle et permanente à une publication périodique, en vue de l'information des lecteurs » (4) et pour la juridiction administrative « les journalistes s'entendent de ceux qui apportent une collaboration intellectuelle et permanente à des publications périodiques en vue de l'information des lecteurs » (5).
Le tri entre ceux qui peuvent légitimement prétendre à la qualité de journaliste professionnel et aux droits s'y attachant et les autres, est fait par la Commission de la Carte d'identité professionnelle du journaliste, également instituée par le Code du travail (article L.7111-6).
Celle-ci délivre, selon une procédure ad hoc, les cartes professionnelles aux personnes qui justifient répondre aux conditions légales. Mais cette carte n'institue qu'une présomption simple (6).
La profession de journaliste est une profession “ouverte” dont l'accès est libre, c'est-à-dire sans obligation de formation ni d'obtention d'un diplôme particulier. Il suffit de trouver un employeur qui soit une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle ou en ligne, et d'y effectuer de manière régulière un travail rédactionnel.

II. Le “journaliste” hors du Code du travail A. Dans la loi sur les entreprises de presse du 1er août 1986 C'est d'abord la loi du 12 juin 2009, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite « HADOPI », qui impose la présence des journalistes dans les entreprises de presse en ligne.
Celles-ci sont tenues de diffuser un contenu original, d'intérêt général, qui ait une certaine périodicité et qui présente un lien avec l'actualité.
Pour cela, la loi – qui vient ainsi compléter l'article 1er de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse –, dit que les services de presse en ligne qui veulent pouvoir bénéficier des avantages liés à l'obtention d'un numéro de commission paritaire (CPPAP) doivent publier des informations qui « aient fait l'objet d'un traitement à caractère journalistique »; ceux qui ont « un caractère d'information politique et général », doivent même employer « à titre régulier, au moins un journaliste professionnel, au sens de l'article L.7111-3 du Code du travail ». La distinction qui est ainsi faite entre les deux cas de figure ne paraît pas déterminante. On s'interroge en effet sur ce que serait un « traitement à caractère journalistique » sans journaliste.
On doit donc retenir, qu'à présent, en vertu de l'article 1er de la loi du 1er août 1986, le journaliste est une composante obligatoire des entreprises de presse, dès lors que celles-ci ont une activité éditoriale en ligne.
B. Dans le Code de la propriété intellectuelle C'est aussi la loi HADOPI qui, dans une section nouvelle VI du chapitre II du titre II du livre 1er du CPI, créée désormais un statut particulier des oeuvres « journalistiques », dont les droits d'exploitation sont réglés par les articles L.132-35 à L.132- 45 dudit Code.
Ces dispositions renvoient à la définition posée par le Code du travail. Il est dit, en effet, à propos de la cession automatique à titre exclusif des droits d'exploitation des oeuvres des journalistes qu'emporte la convention avec l'employeur, qu'est concerné le « journaliste professionnel ou assimilé au sens des articles L.7111-3 et suivants du Code du travail qui contribue de manière permanente ou occasionnelle, à l'élaboration d'un titre de presse » (article L.132-36 nouveau du CPI).
On retrouve la notion à propos des photographes-pigistes, à qui il est réservé un statut particulier, (à l'article L.132-41 du CPI) dès lors qu'il s'agit d'un photographe qui est « journaliste professionnel qui tire le principal de ses revenus de l'exploitation de telles oeuvres et qui collabore de manière occasionnelle à l'élaboration d'un titre de presse ».
Le législateur a donc ouvert le nouveau régime particulier du droit à la négociation collective pour l'exploitation des oeuvres publiées dans un journal, aux seuls auteurs qui sont journalistes professionnels.
C. Dans la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 C'est enfin dans la loi la plus emblématique, celle sur la liberté de la presse, que la notion de « journaliste » figure à l'avenir. Et, c'est pour y poser son droit le plus fort, en l'occurrence celui de taire ses sources d'information, qu'il y fait son entrée pour la première fois. Dès lors qu'il s'agit de “la pierre angulaire” de la liberté de la presse, il était naturel que, dès l'article 2 de la loi, la question du secret des sources soit réglée.
C'est ainsi que le texte promulgué le 4 janvier 2010, après avoir dit que « le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public », donne une définition du journaliste.
Elle ne se rapporte pas expressément à celle du Code du travail, mais en adopte quasiment la même rédaction.
Elle vise : « toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d'informations et leur diffusion au public ».
Si, définissant ce que serait « une atteinte indirecte » au secret des sources, le législateur interdit aussi « les moyens d'investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d'identifier ses sources », encore faut-il qu'il y ait des journalistes « professionnels » au bout de la chaîne.
Tous ceux qui, à des titres divers, seraient, comme eux, (mais sans eux !), rendus destinataires ou dépositaires d'informations sensibles en vue de leur diffusion, n'auraient pas le droit de se taire sur l'origine de leurs sources, ni ne se verraient reconnaître le dispositif protecteur en cas de perquisitions que pose la loi nouvelle, et qu'elle a même étendu aux domiciles personnels des journalistes.
À l'heure où la profession de journaliste se dit sinistrée, elle se réjouira certainement de voir son statut déborder le cadre traditionnel qui régit ses relations en droit du travail, pour s'imposer de manière transversale, également dans ses rapports avec les pouvoirs publics.
C'est une incontestable reconnaissance de la place particulière qu'occupent, dans la cité, ces “chiens de garde de la démocratie”, qui sont aussi – ce n'est donc plus désormais contestable!– les auteurs d'oeuvres de l'esprit.
1er février 2010 - Légipresse N°269
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