01/11/2008
Presse écrite et droits d'auteur: quelles réformes?
Patrick LANTZ
Directeur juridique de Hachette Filipacchi Presse
La lancinante problématique d'une réforme du droit d'auteur dans la presse écrite (1) s'est trouvée transplantée dans l'ensemble considérable ouvert par les États Généraux, où se trouvent débattus la notion même de presse écrite et son avenir. C'est donc en suivant cette entrée que la question du droit d'auteur sera relayée par deux constats préalables, puis deux observations à l'intersection du droit d'auteur et des fondamentaux de la presse écrite : les notions de publication de presse et d'entreprise éditrice Deux constats préalables: Premier constat : l'idée d'une réforme du droit d'auteur dans la presse, absolument repoussée il y a quelques années, s'impose désormais sans discussion à l'ensemble des acteurs de la profession. Il est essentiel de prendre conscience de ce changement.
Deuxième constat: plusieurs projets sont actuellement en cours et s'articulent tous autour de cinq principes désormais partagés par ces mêmes acteurs: - La garantie nécessaire à l'éditeur dans la conduite et la pérennité de ses exploitations éditoriales, désormais diversifiées, qui passe par une cession légale de droits - La neutralité technologique qui vient compléter la garantie précédente, de façon à ce que le passage d'un support et d'un mode d'exploitation à un autre soit réglé d'entrée de jeu par cette cession légale.
- La garantie corrélative pour les auteurs, collaborateurs permanents et occasionnels, d'un versement de droits complémentaire, ne présentant pas le caractère d'un salaire, et venant rémunérer les exploitations secondes de l'éditeur, définies à partir d'un critère de temporalité.
- La mise en place d'une commission de conciliation et d'arbitrage venant régler les points de blocage sur ces questions de rémunération.
- La validation des accords collectifs (de branche et/ou d'entreprise) par lesquels la majorité des éditeurs ont traité avec les partenaires sociaux la question des droits d'auteur dans leurs entreprises.
La mise en oeuvre de chacun de ces principes passe par la réforme législative, faisant surgir, comme souvent dans ce genre d'exercice, des difficultés, particulièrement résistantes.
Certaines d'entre elles relèvent de questions de réglage ou d'ultime négociation (notamment quel rôle supplétif? temporaire? attribuer aux accords individuels dans le nouvel environnement ?), d'autres en revanche principalement l'étendue de la cession légale agissent comme de vrais révélateurs des interrogations sous jacentes aux évolutions des métiers d'éditeur et de journaliste.
C'est sur ce dernier point que focaliseront ces remarques.
I - La notion de publication de presse.
Il est bien acquis que la cession légale envisagée devrait s'étendre à l'ensemble des exploitations formant la publication de presse, quels qu'en soient ses supports et ses modes d'exploitation, directs notamment via le site de la publication, ou indirects via des sites de tiers (panoramas de presse ou agrégateurs). La diversité de ses modes de consultation dans l'univers numérique est donc bien prise en compte dans ce projet.
Mais l'efficacité d'un tel dispositif dépend de ce à quoi il s'applique : la publication de presse. Dans l'univers papier, sa définition n'a jamais été une évidence. La jurisprudence du Conseil d'État en témoigne dans les domaines d'intervention de la Commission de la carte d'identité des journalistes professionnels et de la Commission paritaire des publications et agences de presse, où se croisent avec un bonheur incertain des critères formels (périodicité) et des critères de contenus (plurithématicité).
Mais cette question de nature peut se révéler autrement délicate dans le futur proche de l'ère numérique ? Comment qualifier l'ensemble des services, issus d'un même titre de presse, dans lequel prévaudrait la production vidéo ou dont le contenu, incorporant fiction et services marchands, dépasserait largement celui du traitement de l'information (2)? Autrement dit à partir de quel seuil l'éditeur de presse écrite se trouvera-t-il transformé en une sorte de producteur audiovisuel pour certaines de ses activités et/ou en diffuseur de programmes? La LCEN ne dit rien de bien éclairant sur le sujet et ne fait que diluer la notion d'information dans celle du commerce électronique (art. 14) et la notion de publication dans celle de service de communication au public en ligne (art. 6), sans référence à un objet ou à un contenu quelconque.
Elle évite de définir l'activité d'éditeur, tout en tentant de la séparer péniblement de celle des hébergeurs et autres opérateurs (3) et pour finir en sous distinguant l'éditeur professionnel de celui qui ne l'est pas. Tant que la part écrite (en ce compris l'image fixe) sera prépondérante dans
ces nouveaux modes d'exploitation, la question ne devrait pas faire grande difficulté et pourrait se trouver réglée par une définition améliorée (4) de l'article 1 de la loi du 1er août 1986. Mais sitôt ce seuil franchi, le risque de verser, sous une forme ou sous une autre, dans l'univers audiovisuel est avéré, comme l'anticipe clairement le concept de Service Media Audiovisuel développé par Bruxelles. Or l'univers audiovisuel (avenant particulier de la convention collective des journalistes, régime des droits cédés, droits voisins des producteurs, rôle joué par les sociétés de gestion collective, sans évoquer le cadre réglementaire propre aux activités de télévision) n'est pas actuellement compatible avec celui de la presse écrite. La fusion de ces univers opérera sans doute à terme dans le creuset numérique et sous des formes encore peu visibles. Pour l'instant et afin d'éviter toute confusions, il semblerait approprié dans ce contexte mouvant (5) d'adopter une position provisoire mais bien tranchée: - de circonscrire la réforme prévue à une publication dont, quels que soient ses supports et le caractère régulier ou non de leur périodicité, dont le mode écrit demeure principal et dont la part essentielle du contenu est le traitement de l'actualité sous tous ses aspects.
- de faire en sorte que le régime de cession de droits mis en place s'impose en toutes circonstances, quelle que soit la qualification retenue pour telle forme de la publication de presse (oeuvre collective, oeuvre de collaboration, sous sa variété audiovisuelle ou non, ou toute autre forme d'oeuvre plurale).
II-La notion d'entreprise éditrice.
L'article 2 de cette même loi du 1er août 1986 définit l'entreprise éditrice comme celle éditant une publication de presse. Cette notion, gigogne de la précédente, développe une problématique qui lui est propre : les textes du Code du travail et ceux du Code de la propriété intellectuelle recoupent ce sujet dans le désordre le plus total en se référant de façon aléatoire aux notions d' « entreprise de presse », ou d' « entreprise de publication », ou de « journal et périodique », vaguement actualisées par un récent et ponctuel renvoi par le Code du travail « aux services de communication au public par voie électronique ». L'emploi de ces termes par l'ensemble de ces textes doit évidemment être mis en cohérence.
Mais la réelle question sous-jacente est de savoir si, pour les besoins de la réforme projetée, le bénéficiaire de la cession légale doit se limiter à la seule entreprise éditrice de la seule publication de presse, identifiée par sa marque, ou s'élargir à un ensemble éditorial plus ou moins paramétré.
Mais alors ou arrêter le curseur? - à la notion de famille de publicationsentendue par déclinaison de marques, quelle que soit la variété des genres, ou au contraire par genre quelle que soit la variété des marques sous lesquelles ces publications sont éditées? - ou à l'ensemble des publications présentes ou à venir éditées par l'éditeur sans distinguer entre marques et genres? - ou plus largement encore au groupe formé par les filiales de l'éditeur ou, encore plus lointain, par des éditeurs agissant sous son contrôle dans le cadre de contrats de licence? Les exploitations numériques auront sans doute besoin de tels développements en étoile (la notion de portail en est l'expression actuelle) et les modalités juridiques selon lesquelles l'éditeur souhaite les articuler doivent rester libres.
Mais la zone est trop mouvante pour la laisser non organisée en présence d'un dispositif aussi puissant qu'une cession légale. Une frontière s'impose en fait naturellement entre deux types d'activité : - celle d'éditeur c'est-à-dire de production d'informations destinées aux publications dont il conserve la responsabilité éditoriale (6).
- celle de multidiffuseur dont la production est destinée par nature à des publications tierces (presse mais également librairie, publicité ou autre forme commerciale) pour lesquelles il n'assume pas directement de responsabilité éditoriale.
Le point est assez clair et s'articule autour de la notion de ligne éditoriale: l'éditeur se distingue du multidiffuseur par la ligne éditoriale qu'il fixe à sa ou ses publications. Le multidiffuseur (agence classique ou prestataire fournisseur de contenus) n'est par définition en rien tenu d'une telle obligation. Or on sait que cette ligne éditoriale est déterminante de l'engagement du journaliste auprès de l'éditeur.
(7). Ce point central du statut du journaliste professionnel est consacré par le Code du travail dans la clause de conscience. Ceci signifie-t-il que les agences de presse, collaborant avec des journalistes professionnels, doivent être écartées du mécanisme de la cession légale ? Pas nécessairement mais il faudrait alors les y incorporer explicitement car elles ne répondent pas à la définition de l'entreprise éditrice.
Si les agences se trouvaient écartées du processus, ceci signifierait-il que les éditeurs ayant centralisé leur production d'informations en une unité fournisseur de contenus interne destinée à alimenter leurs publications seraient à proscrire? Certainement pas, pour autant que l'entreprise éditrice exerce effectivement sa responsabilité éditoriale sur les publications alimentées par cette structure. En revanche il ne serait pas cohérent d'élargir le cercle de la cession légale à des activités de syndication auprès de tiers ou des activités hors presse développées par l'entreprise éditrice elle-même. Mais ceci ne signifie en aucun cas que de telles pratiques soient irrégulières : elles peuvent bien au contraire résulter d'accords spécifiques à l'entreprise, y compris d'accords collectifs, mais non de l'effet automatique de la loi elle-même.
Pour conclure aussi simplement que possible : si l'efficacité d'une réforme du droit d'auteur dans la presse écrite passe par le dispositif d'une cession légale, il est indispensable que ce dispositif ne s'assimile pas à un trou noir. La réforme du droit d'auteur ne peut ainsi que s'accompagner de la révision parallèle des fondamentaux de la presse écrite (8), sur lesquels cette cession légale doit se paramétrer. Et ce, de façon à ce qu'éditeurs et journalistes puissent retrouver dans les textes à venir les éléments clarifiant et renforçant l'identité de leur métier.
1er novembre 2008 - Légipresse N°256