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Tribune


01/04/2008


Le projet de loi sur le secret des sources: un progrès ou une régression?



 

Pourquoi le secret des sources est-il si fondamental à la liberté de la presse? À en croire les réactions suscitées par les discussions actuellement en cours du projet de loi relatif à la protection du secret des sources des journalistes, la question ne semble pas forcément aller de soi. Elle mérite donc un petit rappel.
La presse a un rôle de « chien de garde de la démocratie » , cet édifice fragile qui nécessite un contrôle de tous les jours.
C'est la raison pour laquelle, déjà, les auteurs de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ont dit que la liberté de la presse était « l'un des droits les plus précieux de l'homme » (1).
Pour pleinement remplir ce devoir de surveillance et d'information, le journaliste doit être en mesure d'être le plus complètement informé, notamment sur la bonne marche des institutions, qu'elles soient politiques, administratives, judiciaires, policières, syndicales ou autres. Cet accès à l'information ne lui est, cela étant, pas toujours réservé. Il lui est même, quelquefois, en principe interdit.
N'ayant pas les moyens d'investigations comparables à celles des forces de police, il convient de laisser aux journalistes le droit d'être informés par des informateurs anonymes (2). Et c'est le confort qu'offre la certitude que cet anonymat ne sera pas levé, qui fait que les gens confient volontiers les informations à la presse. Il appartient à ce titre au journaliste de vérifier la qualité des informations qu'on lui confie ainsi, en croisant ses sources, en se faisant remettre éventuellement les pièces qui en corroborent la vérité.
La source du journaliste n'est, pour cette raison, pas seulement constituée du nom de l'informateur mais aussi de tous les documents et de toutes traces de ses investigations personnelles (coups de téléphone – courriels – déplacements et autres) qu'il a mises en oeuvre pour vérifier cette information.
Et c'est cette certitude de l'inviolabilité des sources du journaliste qui a amené la Cour européenne des droits de l'homme à ériger le principe comme étant « la pierre angulaire » de la liberté de la presse et du droit à l'information du public (3).
La Cour européenne l'a redit dans son arrêt le plus récent : « le droit des journalistes de taire leurs sources ne saurait être considéré comme un simple privilège qui leur serait accordé ou retiré en fonction de la licéité et l'illicéité des sources, mais un véritable attribut du droit à l'in - formation, à traiter avec la plus grande circons - pection » (4).
C'est à l'aune des principes ainsi dégagés par la Cour européenne qu'il convient d'apprécier les dispositions du texte du projet de loi actuellement en discussion.
I. Le support textuel Les dispositions de l'article 109 du Code de procédure pénale, qu'avait introduit la loi du 4 j a nvier 1993, ne visaient certes que la procédure d'enquête et d'instruction. Mais, de fait, elles débordaient largement le chapitre dans lequel elles se trouvent au sein du Code de procédure pénale, pour être, en pratique, respectées tant par les autorités policières et du parquet que par les juridictions de jugement ou les autorités administratives (comme par exemple dans le cadre des enquêtes de l'AMF). Sa vocation universelle n'avait en effet pas échappé à ces dernières qui en faisaient une application mutatis mutandis.
On louera toutefois l'idée d'incorporer ce texte au titre des dispositions préliminaires de la loi de 1881, en lui donnant une rédaction générale qui a le mérite de consacrer non seulement le principe, mais aussi de réaffirmer l'attachement du pouvoir exécutif à la loi de 1881 (5).
II. À qui profitera le droit au secret des sources? On doit saluer aussi l'idée d'étendre le bénéfice du droit à tout collaborateur professionnel des journalistes et pas seulement à ceux qui le seraient au sens des dispositions du Code du travail (6).

Il y a en effet une chaîne de personnes qui interviennent dans l'élaboration et la diffusion de l'information, qui ne se limitent pas aux seuls journalistes qui ont enquêté, et qui peuvent être amenées à avoir connaissance des sources en question. Ces personnes méritent bien évidemment aussi d'être protégées de la même façon.
III. Les informations qui bénéficieront de la protection Les informations concernées ne seraient pas toutes sur un pied d'égalité. Le texte du projet de loi limite le droit à celles qui portent « sur des ques - tions d'intérêt général ». La notion n'est pas inconnue en droit (7). L'appréciation de l'intérêt général qui serait donc réservée au juge nous paraît bien restrictif : doit-on en tirer la conclusion qu'il y aurait une bonne presse qui serait en droit d'enquêter en toute quiétude, et une mauvaise presse (la presse people?) qui ne se verrait pas accorder les mêmes droits? Ce critère a priori nous semble bien discutable notamment au regard de la généralité du principe dégagé par la Cour européenne des droits de l'homme.
Mais c'est surtout la restriction apportée par le deuxième alinéa de ce qui deviendrait l'article 2 de la loi de 1881 qui nous paraît présenter le plus de difficultés. Le droit de se taire s'éteindrait selon « la nature de l'infraction et sa part i c u l i è re gra - vité ». Même si c'est « à titre exceptionnel » que serait ainsi justifiée une exception au principe de protection, la subjectivité des notions que sont « la nature de l'infraction et sa gravité » pourrait donner l'impression que, loin de fermer définitivement la porte aux curiosités inévitables des juges à ce qu'ils pourraient trouver dans les salles de rédaction, cette disposition au contraire la leur ouvrirait en toute licéité dès lors que leur enquête trouverait un habillage répondant aux critères de “gravité” que pose ce texte. Suffirait-il que l'incrimination retenue soit par exemple l'association de malfaiteurs dans un but terroriste, ou le trafic de stupéfiants, pour voir les garanties légales disparaître? La Cour européenne ne fait pas un tel départage: si elle ne considère pas le journaliste comme un citoyen au-dessus des lois, ni son domicile comme un sanctuaire qui échapperait à toute investigation, elle a dit et répété que, dès lors que c'est la source de l'information qu'on vient chercher, c'est-à-dire « la provenance des informations relatées par le journaliste dans ses art i c l e s » (8) la mesure tombe « à ne pas douter dans le domaine de la protection des sour - ces journalistiques » (9).
De ce point de vue, l'ancien article 109, en ce qu'il ne posait pas d'exception au principe autorisant le journaliste à se taire, était finalement plus protecteur que les dispositions nouvelles proposées. Et la loi nouvelle serait une régression.
IV. Les perquisitions Enfin, les perquisitions sont désormais plus sérieusement encadrées par le texte proposé au Parlement. Pour autant, celui-ci ne pose pas une interdiction de principe dès lors que la perquisition aurait pour objet d'aller chercher la source du journaliste.
La Cour Européenne a, pourtant, chaque fois qu'elle en fut saisie, condamné de telles initiatives, estimant à juste titre que ce serait sinon vider le droit reconnu au journaliste de taire l'origine de ses sources.
La loi du 4 janvier 1993 avait imposé la présence du magistrat qui, aux termes de l'article 56, devait s'assurer que les investigations ne « constituent pas un obstacle ou n'entraî - nent pas un re t a rd injustifié à la diffusion de l'informa - tion ».
Le texte proposé prévoit que la personne au domicile de laquelle la perquisition a lieu, – donc le journaliste – peut s'opposer à la saisie d'un document à laquelle le magistrat a l'intention de procéder, si elle estime que cette saisie est « irrégulière ». Le document doit alors être placé sous scellés fermés aux termes d'un procès-verbal mentionnant les objections du journaliste, et le tout est transmis « sans délai » au juge des libertés et de la détention, qui statue dans les cinq jours sur la contestation liée donc à la régularité de la saisie à laquelle s'est opposé le journaliste.
Le schéma est calé sur celui des avocats. S'il est vrai que pour ces derniers, la question se pose différemment, puisqu'il s'agit d'un secret professionnel absolu, c'est-à-dire d'une obligation et non pas d'une liberté, l'idée de s'en remettre au juge au terme d'une procédure contradictoire, est évidemment une avancée certaine. On peut cependant regretter que sa décision ne soit pas susceptible de recours.
Par contre, l'appréciation de la notion de « saisie irrégulière » dont il n'est pas donné de définition laisse perplexe: l'irrégularité en question consistera-t-elle pour le juge des libertés à tenter de procéder à l'équilibre des enjeux en présence entre la « gravité » de l'infraction poursuivie et l'atteinte au secret des sources comme le commande la Cour européenne? N'est-ce pas trop lui demander? Ne risque-t-elle pas de se limiter à vérifier que l'objet saisi se situe bien dans le cadre de la saisine du juge, en d'autres termes que celui-ci n'a pas saisi des éléments extérieurs au dossier sur lequel il enquête? On peut regretter que s'agissant de limiter l'exercice de la liberté d'expression, le critère ne soit pas plus précis et prévisible.
Bref, c'est un texte qui, en l'état de sa rédaction au stade de projet de loi, suscite quelques interrogations voire quelques inquiétudes.
1er avril 2008 - Légipresse N°250
1799 mots
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