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Tribune


01/12/2007


Interrogations et incertitudes sur la mise en oeuvre du droit de réponse en ligne



 

Le décret sur les modalités d'application du droit de réponse sur internet était attendu. À défaut, l'article 6-IV de la loi du 21 juin 2004 était inapplicable, le seul renvoi à l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 étant insuffisant à mettre en oeuvre ses dispositions. Mais cette nouvelle technique de diffusion de la pensée qu'est l'internet reste manifestement difficile à appréhender par le pouvoir réglementaire. La lecture des dispositions du décret du 24 octobre 2007 (1) laisse en effet un goût d'inachevé. Elle laisse, en tout cas, place à maintes incertitudes quant à la mise en oeuvre de ce nouveau droit, dont, fautil le rappeler, le non-respect est constitutif d'un délit.
Alors que le législateur confirmait en 2004 son intention de caler les dispositions sur la communication publique en ligne dans le corpus des règles applicables à la communication audiovisuelle, au point d'en donner une définition générale englobant les deux notions (2), il n'a pas, pour autant, considéré qu'il fallait lui étendre les règles applicables au droit de réponse en matière audiovisuelle telles que posées par l'article 6 de la loi du 29 juillet 1881 (et son décret d'application du 6 avril 1987), lequel restreint son application aux seules mises en cause « susceptibles » de constituer une diffamation.
Il lui a préféré celui plus large et plus ancien du droit de réponse en matière de presse écrite.
Celui-ci est, selon la formule traditionnelle de la jurisprudence, « général et absolu » (3). Il serait même « discrétionnaire » (4) alors que pour les concepteurs de la loi de 1881, il devait s'agir d'un « droit de rectification » (5). À défaut de ne poser comme autre critère que la seule condition de désignation, un droit de réponse peut, en effet, être exercé même lorsque les propos sont exacts voire élogieux. Il est, pour cette raison, souvent mal reçu par les organes de presse écrite périodique qui l'éprouvent comme une « expropriation pour cause d'utilité privée du propriétaire d'un journal des colonnes de son propre journal » (6). Et c'est la résistance de ces organes de presse à “l'absolutisme” du droit de la réponse qui est à l'origine de la jurisprudence qui pose les exigences, quant au contenu, auxquelles doit satisfaire la demande d'insertion, notamment la théorie de l'abus en matière de droit de réponse (7).
Ce rappel introductif sur la nature du droit de réponse dans la presse périodique, comme sur celui de sa finalité, n'est pas inutile puisqu'il s'agit du premier socle auquel se superpose l'article 6 IV et ses règles d'application nouvellement posées par le décret du 24 octobre. Voici, dans l'ordre des articles du décret, quelques réflexions et interrogations non exhaustives d'un praticien du droit de réponse.
1. La disparition du droit lorsque l'utilisateur dispose déjà d'une libre expression sur le site.
On est perplexe sur la légalité du deuxième alinéa de l'article 1er. Alors que la loi ouvre un droit à « toute personne », ce droit n'existerait plus lorsque l'utilisateur est en mesure de « formuler directement les observations qu'appelle de sa part un message qui le met en cause ». L'idée, sans doute louable, de considérer qu'il n'y a plus d'utilité à droit de réponse quand il y a possibilité de répondre en ligne, se heurte à une réalité manifestement mal appréhendée par le pouvoir réglementaire: la seule existence d'un “chat” en ligne, d'un “forum” d'expression ou d'un service “wiki” fait-elle disparaître le droit de réponse? On croit deviner que tel n'est pas le cas lorsque le forum est modéré a priori, c'est-à-dire lorsque l'éditeur du site assume la responsabilité directe des propos mis en ligne. Ne seraient concernés que les seuls forums modérés a posteriori. Mais cette modération peut intervenir dans les secondes qui suivent la mise en ligne. Ces secondes suffisent-elles à priver l'intéressé de l'exercice d'un vrai droit de réponse? Ou est-ce simplement la réponse à des propos euxmêmes diffusés dans un forum de discussion qui est visée? Une interprétation large de ces dispositions prive de tout sens l'exercice du droit de réponse. Une interprétation trop restrictive les rend vraisemblablement sans objet.
Qu'en est-il aussi du souhait expressément exprimé au 1er alinéa de l'article 1er selon lequel le destinataire du site doit être « garanti » de l'identité du demandeur, quand on sait que les réactions qui sont adressées dans les forums et chats

le sont par courriels et le plus souvent sous pseudonyme, en tout cas dans des conditions insusceptibles d'avoir une telle garantie…? 2. L'article 2 impose au demandeur des obligations qui n'existent pas en matière de presse écrite et qui empruntent au mécanisme posé par le décret de 1987 pour le droit de réponse en matière audiovisuelle. C'est d'abord celle d'« indiquer les références du message (son adresse URL) et ses conditions d'accès, (c'est-à-dire si l'accès est libre ou après abonnement ou création d'un compte d'utilisateur) ».
Le demandeur doit aussi préciser, à défaut d'irrecevabilité de sa demande (8), s'il s'agit d'un écrit, de sons ou d'image, en indiquant « la mention des passages contestés et la teneur de la réponse sollicitée ». À l'aune de ces dispositions, la difficulté fondamentale pour un demandeur (outre trouver le nom et adresse physique des sites ou de leurs hébergeurs, ce qui n'est jamais chose aisée) consiste à conserver la preuve de sa mise en cause (9). On observera aussi que va se poser une dualité de régime pour les services de télévision et de radio qui peuvent refuser le droit de réponse lorsqu'ils sont diffusés sur leur antenne dès lors que le propos n'est pas « susceptible » d'être diffamatoire, mais ne pourront les refuser sur le net lorsqu'ensuite, comme ils le font le plus souvent, leurs émissions sont mises en ligne.
3. L'article 3 ramène au régime de la presse écrite, en ce qu'il impose une réponse écrite, au demeurant logique. Il n'y a pas de minimum pour la taille de la réponse, mais un maximum de 200 « lignes ». Quelles sont ces « lignes »? Le critère posé à l'article 13 de la loi de 1881 se conçoit, dès lors que les « lignes » sont celles du journal. Il est curieux que l'administration ait cru devoir s'en tenir à cette ancienne formule. N'étaitil pas plus simple de mentionner un nombre de caractères? 4. L'article 4 entre enfin dans le vif du sujet. L'article 6 – IV de la loi de 2004 était inapplicable jusqu'alors, car on ignorait comment, et surtout combien de temps, la réponse devait être mise à la disposition du public. On apprend donc qu'elle doit être « publiée à la suite du message en cause ». Est-ce immédiatement après, ou est-ce sur la même “page” internet laquelle, on le sait, peut être une suite très longue d'écrans qu'il faut faire dérouler. Elle est sinon, au choix au directeur de la publication, « accessible à partir de celui-ci », c'est-àdire par un lien identifié comme tel.
Et lorsque le message auquel il est répondu n'est plus en ligne, le directeur de la publication doit publier la réponse (mais à quelle place?) en accompagnant celle-ci d'une référence du message d'origine (sous quelles formes?). Mais l'alinéa suivant prévoyant que la réponse demeure accessible « durant la même période » que celle pendant laquelle l'article ou le message reste en ligne, et non pas pendant lequel il a pu être mis à la disposition du public, ce droit de réponse n'a plus à être « accessible » que pendant une journée, quand bien même il l'aurait été pendant les trois mois de la durée légale d'exercice du droit de réponse. Le souhait, semble-t-il exprimé là aussi, de mettre fin aux polémiques en invitant directement un éditeur à supprimer les messages litigieux, autorise une différence de traitement selon les cas de figure, qui laisse songeur quant aux conditions d'égalité devant la loi.
Le troisième alinéa de l'article 4 prévoit les conditions d'insertion d'un droit de réponse dans un courrier électronique périodique (newsletter). On a le sentiment que les auteurs y retrouvent alors leur latin : c'est en effet le seul service de communication publique en ligne effectivement assimilable à la presse écrite périodique. Se posera toutefois la question de la garantie donnée par l'éditeur d'une diffusion identique de ladite newsletter, dès lors que 200 « lignes » de l'article 4 risquent d'occuper l'intégralité de celle-ci… Enfin, par un nouveau retour au schéma du droit de réponse en matière audiovisuelle, l'article 4 prévoit que le « directeur de publication » doit répondre au demandeur pour lui dire « la suite qu'il entend donner à sa demande et les modalités selon lesquelles il y est donné suite ». On s'interroge sur la mise en oeuvre d'une telle obligation qui n'existe pas pour les organes de presse écrite. Quelle sera la sanction d'un manquement à cette obligation ? Sans doute sera-t-il retenu comme un élément de mauvaise foi dans l'appréciation que pourrait avoir à en connaître ensuite le tribunal correctionnel… 5. L'article 6 IV de la LCEN avait prévu un droit de rectification et de suppression qui pouvait être exercé sans préjudice de l'exercice du droit de réponse. Il reste que les conditions d'exercice de celui-ci, tant que le message restait en ligne, ont été censurées par le Conseil constitutionnel comme ignorant la prescription trimestrielle et le caractère instantané des délits (10). L'article 5 du décret du 24 octobre 2007 donne des éléments d'explication sur le sens de ces dispositions : il s'agit de la possibilité laissée pour le directeur de la publication de supprimer ou rectifier le message auquel il est répondu comme alternative à la publication du droit de réponse. Mais cette alternative ne lui est offerte que si la personne qui adresse un droit de réponse sollicite cette suppression ou cette rectification.
Le dispositif procède de la même logique de mettre fin aux polémiques. Il ignore que techniquement la suppression à laquelle procède un éditeur de site n'est pas nécessairement enregistrée comme telle partout, notamment par les moteurs de recherche (11).
6. Enfin, l'article 6 du décret concerne l'application du droit de réponse envers les sites anonymes. L'article 6 IV deuxième alinéa de la loi prévoyant la possibilité d'exercer un droit de réponse auprès de la société d'hébergement, il convenait de préciser comment cette dernière doit ainsi gérer les demandes qui lui seraient adressées. Le décret pose une infraction particulière, contraventionnelle celle-là (de la 4e classe), lui imposant de transmettre « dans un délai de 24 heures » ladite demande de droit de réponse. Rien n'est dit sur les formes d'une telle transmission; même s'il sera sans doute recommandé d'y procéder aussi par la voie postale avec accusé de réception, avec l'augmentation des délais qui en résultent, notamment pour le point de départ de l'action pour refus d'insertion. Ces dispositions vont, sans doute, amener les sociétés d'hébergement à être particulièrement rigoureuses lors de l'inscription de leurs clients, en s'assurant de leur identité et de leur adresse physique, pour avoir la certitude de pouvoir les toucher ensuite dans de tels cas.
1er décembre 2007 - Légipresse N°247
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