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Tribune


01/07/2007


Vive la censure!



 

IL ne se passe de mois voire de semaine sans qu'un colloque, un article, une discussion entre amis ne revienne sur ce phénomène juridique que l'on brocardait jadis sous le doux nom d « Anastasie », j'ai nommé la Censure. À écouter de bonnes âmes assez promptes à s'émouvoir pour ces causes que l'on intitule « justes » la censure est là, elle est omniprésente, elle rôde autour de nous prompte à fondre sur l'écrit, voire le film, pis encore telle oeuvre d'art. Il faut à la fois, chaque jour la déplorer et la combattre. À mon humble avis, elle n'est pas tout à fait là où l'on croit l'apercevoir, ou du moins n'a-t-elle pas, le plus souvent, la forme qu'on lui prête volontiers.
S'émouvoir en la matière, sans doute est-ce le rôle des bonnes âmes précisément, en tout cas de nos amis journalistes érigés par la Cour européenne des droits de l'homme en chiens de garde de la démocratie, et nul ne songerait (moi le dernier) à leur en faire grief. Encore faut-il garder raison comme nous l'enseignaient jadis les Sages. Qu'est-ce à dire?, m'entendsje déjà demander.
Eh bien d'abord, il faut s'accorder sur les termes. La véritable censure, il faut à l'évidence le rappeler, c'est la censure de l'Ancien Régime et des empires napoléoniens, c'est-à-dire l'interdiction pure et simple de toute publication qui n'ait au préalable reçu une autorisation de paraître. À cet égard, je souhaite citer Malesherbes, ce grand commis s'il en fut d'un État qui se confondait alors avec la personne du Roi de France, Malesherbes dont la statue orne notre grande Salle des pas perdus et qui revint de Suisse où il s'était exilé pour échapper à la persécution afin de défendre Louis XVI et avec toute sa famille monter ensuite à l'échafaud. Cette grande figure du Droit (que l'on relise ses Remontrances, ses Mémoires sur la presse et la librairie) avait lui-même été « directeur de la librairie » c'est-à-dire chargé de la censure royale. Il disait « un homme qui n'aurait jamais lu que les livres qui, dans leur origine, ont paru avec l'attache expresse du gouvernement, comme la loi le prescrit, serait en arrière de ses contemporains presque d'un siècle ». On se souvient que c'est Malesherbes encore qui alors en fonction devait cacher à son domicile les épreuves de l'Encyclopédie! Or ce n'est pas sous un tel régime – tant s'en faut – que nous vivons depuis qu'en juillet 1881 le législateur a posé en principe que « la presse et l'imprimerie sont libres ». On publie librement quitte ensuite, mais ensuite seulement, à encourir les foudres de la justice si d'aventure elle se trouve saisie par tel ou tel. Et il est bien vrai que de tels et de tels il s'en trouve à foison et le plus souvent pour des motifs, sinon peu avouables, du moins peu glorieux. Je veux bien que l'on en appelle à la censure ou mieux à des actes de censure lorsque les procédures visent l'interdiction, mais lorsqu'elles n'aspirent qu'à des dommages et intérêts… Ne serait-il pas plus judicieux de donner libre cours à une critique, voire une vindicte, plus rationnelle: ce pourrait être l'occasion d'analyses psychologiques du meilleur effet. À proprement parler, il n'existe donc pas aujourd'hui en France de véritable censure, c'està- dire préalable. La Cour EDH est là, en tout état de cause, pour veiller à ce que rien dans les décisions de nos Cours et Tribunaux n'ose s'en approcher, quelles que soient les velléités moralisatrices des uns et des autres.
Les lecteurs de Légipresse savent qu'il n'en va pas tout à fait de même pour le cinéma, et plus généralement l'audiovisuel, autrement réglementé (autorisations d'exercice, visa d'exploitation, etc.), cette réglementation, il faut le dire aussi, n'allant toutefois pas sans contrepartie financière (soutiens divers, quotas, etc.) au bénéfice de la création. Cela posé, il faut ajouter pour ne pas paraître de parti pris, que cette liberté conquise en 1881 ne va pas sans garde-fous, ni sans contraintes, affirment les bonnes âmes que j'ai dites. Et de donner de la « censure » à toutes les initiatives d'où qu'elles viennent (particuliers, associations ou Ministère public), à tort ou à raison, le plus souvent à tort si l'on veut bien se donner la peine d'examiner la jurisprudence subséquente à ces procédures généralement qualifiées de « liberticides ». Reconnaissons toutefois que, du moins à Paris où se concentre l'essentiel de ce contentieux, lesdites initiatives échouent le plus souvent et que les plaideurs n'en ont souvent pas pour leur argent. Reste que ces initiatives – je veux le souligner, ou simplement écrire tout noir ce que d'aucuns pensent tout bas – ne sont que le résultat d'une autre liberté consacrée, elle aussi, par les textes normatifs qui régissent nos sociétés occidentales (et de ceux là je ne serai pas non plus le seul à me réjouir): le droit d'accès à un juge tout simplement. Alors je peux m'étonner que, plus souvent qu'à son tour, cette donnée, fondamentale elle aussi dans une société démocratique, soit passée sous silence par les contempteurs de ces actions judiciaires.
Aussi bien la statistique nous apprend-elle que les décisions de condamnation sont rares, ayant le plus fréquemment comme but la défense des mineurs. Ces mineurs déjà si peu et si mal protégés des images violentes qui déferlent à longueur de soirée sur nos étranges lucarnes (en dépit des bonnes intentions proclamées par ceux de nos édiles qui prétendent y veiller!). Si l'on a pu parler à propos de la censure au XVIIIe siècle de « sévérité sans éclat » car il s'est agi de mesures de police (confiscations, saisies) plus que de condamnations solennelles, elles n'en ont pas moins conduit plus d'un imprimeur français à la ruine, d'où à l'époque, l'efflorescence d'ouvrages imprimés à l'étranger qui font toutefois aujourd'hui le bonheur des collectionneurs!

Cette sévérité sans éclat, mais pas sans postérité, deux auteurs, Gustave Flaubert et Charles Baudelaire, en ont pâti il y a tout juste un siècle et demi. Ils auraient été heureux de vivre sous l'empire de cette loi de 1881 dont la refonte à tout le moins est si souvent réclamée car ils se seraient – si l'on en juge à l'aune de la jurisprudence contemporaine, (et nos magistrats d'aujourd'hui méritent bien à ce titre un salut de notre part) – épargné les rigueurs de ces causes célèbres qu'ont été successivement le procès de Madame Bovary et des Fleurs du mal.
Alors en effet, une fois oubliée la liberté révolutionnaire qui avait laissé libre cours un temps trop court à un raz de marée de pamphlets dont le caractère parfois libidineux n'a pas échappé à l'Enfer de la Bibliothèque Nationale, le Premier empire et les régimes qui lui ont succédé ont remis l'imprimerie et la librairie, bref l'édition et la presse, sous très haute surveillance. Et ce ne sont pas seulement les libelles politiques qui ont été mis au pas, l'ordre moral était de rigueur. C'en fut fait du colportage qui risquait de diffuser des écrits pernicieux à des esprits ignorants. Car le mauvais livre, disaiton, est un poison dangereux pour la santé morale du peuple! Surtout s'il est de nature à rencontrer le succès. Ainsi devait s'exprimer le « redoutable» (Baudelaire dixit) avocat impérial Ernest Pinard dans son réquisitoire du 18 août 1857 contre les pièces prétendument obscènes des Fleurs du Mal: « On ne poursuivra pas un livre immoral qui n'aura nulle chance d'être lu ou d'être compris; le déférer à la justice, ce serait l'indiquer au public, et lui assurer peutêtre un succès d'un jour qu'il n'aurait point eu sans cela ».
Bel argument en effet, qu'auraient dû méditer les esprits chagrins, qui ces derniers temps ont fait de la publicité à diverses brochures qui se voulaient poivrées, en les poursuivant en vain.
Flaubert ne s'y était pas trompé. Il eut beau être acquitté le 7 février 1857 aux termes d'un jugement qui après l'avoir assez sévèrement étrillé conclut enfin à l'acquittement, motif pris de ce qu' « il n'apparaît pas que son livre ait été, comme certaines oeuvres, écrit dans le but unique de donner une satisfaction aux passions sensuelles, à l'esprit de licence et de débauche, ou de ridiculiser des choses qui doivent être entourées du respect de tous ». Il hésite à publier son roman en volume, demande à son éditeur Michel Lévy, de « tout arrêter », se dit honteux, dégoûté du « mauvais » succès qui attend son roman. « Et puis l'avenir m'inquiète: quoi écrire qui soit plus inoffensif que ma pauvre Bovary traînée par les cheveux comme une catin en pleine police correctionnelle? » écrit-il à Louise Pradier. Et à Schlesinger « mon livre va se vendre de façon inusitée ». APagnerre encore « Je suis aplati, ahuri ».
Baudelaire à l'aune de la motivation de cette décision et de la teneur du réquisitoire de Pinard pouvait s'attendre au pire, tant les fameuses « pièces condamnées » pouvaient en effet « donner satisfaction aux passions sensuelles » ou du moins y inciter. Pourtant, le réquisitoire de M. Pinard fut presque moins sévère, mais plus habile sans doute que contre Flaubert.
« Poursuivre un livre pour offense à la morale publique est toujours chose délicate » ainsi entame-t-il sa péroraison. Mais il terminera en force: « Réagissez (…) contre cette fièvre malsaine qui porte à tout peindre, à tout décrire, à tout dire ».
Et il termine ainsi : « Soyez indulgent pour Baudelaire, qui est une nature inquiète et sans équilibre. (…) Mais donnez, en condamnant au moins certaines pièces du livre, un avertissement devenu nécessaire. ». La longue plaidoirie de l'avocat de Baudelaire, Gustave Chaix d'Ange fut admirable d'analyse et de style (et, comme celle de l'avocat de Flaubert, bien de nature à ramener à la modestie plus d'un praticien du droit d'aujourd'hui!): s'il obtint satisfaction sur la prévention d'offense à la morale religieuse, le Tribunal jugea le 27 août 1857, que « les pièces incriminées conduisent nécessairement à l'excitation des sens par un réalisme grossier et offensant pour la pudeur ». Ce n'est que le 31 mai 1949 que la chambre criminelle de la Cour de cassation devait, on le sait, réhabiliter le poète et son oeuvre.
On voit bien que le livre et la presse ont connu pires époques que la nôtre, qui permet d'en dire et d'en montrer beaucoup (et parfois plus qu'il n'en faut si l'on en croit Jean-François Revel dénonçant il n'y a guère « La connaissance inutile »).
De la tolérance et de la juste mesure de nos tribunaux, on me permettra de prendre pour exemple certains attendus extraits du jugement qui, en novembre dernier, relaxait l'auteur et l'éditeur d'un roman intitulé Pogrom, source d'une vaine poursuite pour provocation à la discrimination, et à la haine ou à la violence raciale. La XVIIe chambre du tribunal de Paris, après avoir rappelé que le principe de la liberté d'expression « doit être d'autant plus largement apprécié qu'il porte sur une oeuvre littéraire, la création artistique nécessitant une liberté accrue de l'auteur qui peut s'exprimer tant sur des thèmes consensuels que sur des sujets qui heurtent, choquent ou inquiètent, que s'il ne peut impunément se livrer à l'apologie expresse et délibérée de crimes, comportements ou pensées unanimement réprouvés, il ne saurait être exigé de lui qu'il soit contraint à les dénoncer ostensiblement ». Et encore « que la notion même d'oeuvre de fiction implique l'existence d'une distanciation qui peut être irréductible entre l'auteur lui-même et les propos ou actions de ses personnages ». Ayant enfin relevé que l'auteur « s'est abstenu de toute dimension apologétique dans la réalisation de son projet de description et d'exploration des formes du Mal », le tribunal, on l'a lu dans les colonnes de cette revue, est entré en voie de relaxe.
Les bonnes âmes qui veillent sur la liberté d'expression constateront qu'elles ne sont pas seules dans un combat qui, j'espère aussi l'avoir montré, n'a rien de douteux. Je leur propose pour leurs méditations estivales un sujet collatéral bien plus dangereux me semble-t-il et surtout pernicieux que ces procédures justement décriées (même si elles font les délices à plus d'un égard de quelques spécialistes au nombre desquels j'ai la faiblesse de me compter) et qui les font s'émouvoir tant: c'est celui de l'autocensure à propos duquel le quasisilence de nos diurnales a quelque chose, à proprement parler, d'assourdissant. Mais voilà que je me montre, me dira-t-on, plus royaliste que le roi.
Enfin à mes éditeurs chagrins de tant de procès immérités, je rappellerai que c'est parfois dans les pays où règne une censure totalitaire que naissent les plus belles oeuvres. Mais ceci comme disait Kipling est une tout autre histoire. Comme l'écrivait Jean Paulhan au sujet du Marquis de Sade : « Le pire est l'ennemi du mal ».
1er juillet 2007 - Légipresse N°243
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