01/04/2005
Les procès à la télévision, l'improbable équation
Basile Ader
Avocat au Barreau de Paris
Fort des exemples de pays voisins (les États-Unis, mais aussi l'Écosse, l'Italie, la Finlande ou la Norvège) où les procès sont, sous certaines conditions, diffusés à la télévision en bonne intelligence, le garde des Sceaux a souhaité qu'une Commission sur l'enregistrement et la diffusion des débats judiciaires, en l'occurrence présidée par Madame Linden, premier président de la cour d'Angers, revoie les conditions d'interdiction posée depuis 1954 à l'article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881(1). Cette Commission vient de rendre son rapport. Celui-ci rappelle que la justice est rendue au nom du peuple français. C'est ce qui justifie le principe de publicité des débats, principe auquel est attachée aussi la Cour européenne des droits de l'homme, comme garant du procès équitable.
De fait, la salle d'audience doit sauf dans les cas expressément prévus par la loi où la publicité des débats est interdite ou réglementée toujours être ouverte au public. Et, lorsque celui-ci vient trop nombreux, la salle d'audience peut être aménagée spécialement dans un endroit plus vaste.
Il arrive aussi que des débats soient filmés et retransmis en direct dans la salle des pas perdus pour que le public, qui n'a pu accéder à la salle d'audience proprement dite, puisse suivre le procès sur des récepteurs aménagés à cet effet. Mais la loi actuelle ne permet pas le prolongement suivant qui consisterait, lorsque l'intérêt public serait tel, à porter l'image par la voie des canaux de télévision directement au domicile de tout un chacun. Un esprit simple pourrait aussi, et légitimement, s'étonner qu'on puisse, par l'écrit et le dessin, librement rapporter et commenter le déroulement d'un procès, mais que cela soit prohibé par l'image ; qu'il soit permis de décrire mais interdit de montrer. C'est là le dilemme fondamental : d'un côté il n'apparaît plus possible de continuer de fermer les salles d'audience aux caméras. Il en va du besoin confusément éprouvé par le justiciable, comme par le juge et ses auxiliaires, de rapprocher la justice du public pour qu'elle soit mieux connue, comprise et par là même mieux acceptée. De l'autre, l'image télévisuelle fait peur. Selon la Commission, elle modifie « fondamentalement la réception de l'information, en abolissant la distance qu'il est nécessaire de mettre entre l'événement et celui qui le regarde pour lui permettre de ne pas se situer exclusivement sur des registres émotionnels »(2). L'image a ses règles, ses codes, son format et sa logique économique. Le téléspectateur est habitué à un produit particulier, vivant, monté et commenté, qu'il regarde en zappant s'il n'y trouve pas un intérêt immédiat.
La Commission avait le mérite de réunir des professionnels du droit et de la communication. Elle avait un objectif assigné par le ministre : lever l'interdiction. Elle s'y est donc astreinte. Toutefois, si elle n'est pas défavorable à un système de liberté encadrée, elle préconise, au moins à titre transitoire, un régime d'autorisation préalable, laquelle serait donnée par l'institution judiciaire, afin d'éviter l'arbitraire.
Les règles préconisées par la Commission touchent tant les conditions de captation de l'image que celles de diffusion de celles-ci.
I Les règles de captation La Commission propose que soit institué un juge de l'image qui serait soit le président de la juridiction, soit le président d'audience, dont le rôle viserait à assurer une double protection : celle des personnes intervenant dans le procès, d'une part, et la protection de la sérénité et du bon déroulement des débats judiciaires, d'autre part.
1 - La protection des personnes Elle concerne tout d'abord les justiciables, en imposant des règles comparables à celles déjà posées par la loi de 1881 ou l'ordonnance de 1945, c'est-à-dire que soient préservés les intérêts des mineurs et des incapables majeurs, en garantissant leur anonymat et en recueillant l'autorisation préalable du juge compétent, ainsi que celle de leurs représentants légaux. Cette protection devrait, pour la Commission, concerner aussi les témoins, les jurés et les forces de l'ordre, dont elle préconise l'anonymisation, pour garantir leur sécurité. Par contre, les acteurs du procès, juge, victime, prévenu, avocats, ne pourraient refuser d'être filmés dès lors que l'autorité ad hoc aurait donné son autorisation ; et ce, pour éviter les traitements inégalitaires et prévenir la tentation de monnayer leur consentement.
2 - La préservation des débats judiciaires La Commission, rappelant que l'interdiction posée en 1951 a été consécutive aux conditions anarchiques et bruyantes dans lesquelles les journalistes assistaient au procès Dominici, pose tout d'abord que la captation des débats ne doit jamais porter atteinte à leur sérénité, et qu'il faut pour cela que les cameramen et preneurs de sons soient discrets, comme leurs matériels.
Elle préconise aussi que seules devraient être autorisées les captations intégrales effectives des débats, et que les images captées fassent l'objet d'un dépôt légal. La Commission suggère même que la loi prévoie que tout incident relatif aux conditions dans lesquelles le procès a été filmé, ou interdit de caméra, soit sans portée sur la régularité de la procédure pénale.
Consciente de la réalité du fonctionnement de certaines émissions de télévision, la Commission propose également que soit prohibée toute forme de rémunération directe ou indirecte par les médias de tous ceux qui, à un titre ou un autre, interviennent dans un procès.
II Les règles de diffusion Si le pouvoir d'autorisation et de contrôle des conditions de captation des images a été laissé, assez légitimement, à l'autorité judiciaire, la Commission n'a pas pour autant laissé à l'autorité audiovisuelle (CSA) le pouvoir de contrôle des règles concernant leur diffusion. Et, c'est à ce chapitre, sans doute, que son rapport peut apparaître, à certains, timide voire décevant.
1 - L'interdiction de montage Trop effrayée par les risques que représenterait la possibilité de coupure et de montage au regard de l'exigence d'impartialité que ces débats devraient avoir, la Commission préconise que seule la diffusion de l'intégralité des débats judiciaires, et non pas de simples extraits, puisse être autorisée.
Alors que les quelques expériences d'audiences filmées, comme les films de Daniel Karlin (3) ou de Raymond Depardon (4), communément admises comme ayant eu des effets bénéfiques, ont très vraisemblablement incité la Chancellerie à lancer ses travaux de réflexion, la Commission propose des règles de diffusion si strictes que ces films ne seraient plus aujourd'hui possibles ! En effet, le travail d'auteur qu'ils avaient pu faire pour adapter l'image de la justice aux formats d'un film ou d'une émission de télévision, serait désormais interdit. Ceci pour endiguer le risque de dérive d'une logique économique qui transformerait « la justice en spectacle ou en justice réalité » (5) et conduirait, selon la Commission, «à transformer le territoire national en une vaste salle d'audience dans laquelle tous les spectateurs seraient juges » (6). Il y aurait donc encore une divergence fondamentale de traitement entre l'écrit et l'image : la grande liberté laissée aux chroniqueurs judiciaires ne serait plus de mise pour le réalisateur judiciaire.
Les règles de diffusion des procès historiques (7) constituent certes un précédent utile. Mais leur vocation est différente.
Leurs images sont d'abord filmées pour leur intérêt historique, c'est-à-dire pour être consultées dans l'avenir par les historiens dans leurs travaux, et non pas pour des programmes audiovisuels. Les procès ordinaires qui n'ont pas l'intérêt de ceux pour crimes contre l'humanité ou pour crimes terroristes, s'exposent à provoquer, faute d'avoir un format télévisuel digeste, plus de désintérêt que de voyeurisme.
Et, il risque d'en être ainsi de leur émission comme des pièces de théâtre à la télévision, programmées dans la nuit (seul moment où les longues heures d'audience pourraient d'ailleurs trouver place !) en exécution des obligations de quota de diffusion posées par le CSA
2 - L'époque de la diffusion La deuxième règle importante posée par la Commission quant aux règles de diffusion est celle consistant à interdire la diffusion du procès avant le prononcé de la décision, et d'obliger cette diffusion à bref délai pour « conserver à la publicité des débats cet aspect évanescent, en se déterminant sur des délais de diffusion brefs » (8), tout en préservant le « droit à l'oubli » des personnes réhabilitées après avoir purgé leurs peines. Ces préconisations semblent interdire les rediffusions, comme l'exploitation des images sur des supports commercialisés tels que les DVD ou cassettes.
Quant au choix de n'autoriser la diffusion qu'une fois les débats clos et la peine prononcée, il apparaît légitime pour préserver la sérénité du débat judiciaire, mais il méconnaît à nouveau l'intérêt que pourrait avoir la diffusion de certaines images pendant le déroulement du procès, comme illustration des chroniques judiciaires, alors surtout que certains procès peuvent durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Et, dans sa logique, cette règle méconnaît, à l'inverse, le principe du droit d'appel et son effet suspensif.
Alors qu'il s'agit d'une obligation impérative pour la diffusion des procès pour crime contre l'humanité, comme cela a été rappellé pour la diffusion du procès Papon (9), où il a fallu attendre l'arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation (statuant après réexamen de la condamnation à la suite de la décision de condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme !), pour considérer que la condamnation étant définitive, le procès pouvait être diffusé. On pourrait ainsi imaginer, si les préconisations de la Commission venaient à être adoptées, que la diffusion des procès de première instance soit précisément organisée par les chaînes au moment où l'affaire serait appelée devant la juridiction d'appel
Quelle serait alors l'interférence de cette diffusion sur le déroulement du deuxième procès ? * * * En bref, la question des procès à la télévision ne nous paraît encore pas prête d'être tranchée ; même si on doit saluer le travail de réflexion effectué par la Commission Linden et, surtout, le consensus qui semble avoir été trouvé entre ses membres sur la nécessité de faire évoluer la législation en la matière.
1er avril 2005 - Légipresse N°220